Le tribunal administratif de la Guyane a été saisi d’un référé liberté, là encore en matière de masques, de médicaments (hydroxychloroquine et azithromycine), de tests… Au diapason de la très grande majorité des juridictions administratives s’étant prononcées sur ce sujet, le TA a rejeté cette requête, le 6 avril 2020.
Nous avions signalé cette ordonnance mais ne l’avions pas commentée, faute d’en avoir le texte.
C’est chose faite ce soir et cela « valait la peine » d’attendre car cette ordonnance de 13 pages s’avère d’une grande précision dans sa motivation.
Les demandes des requérants étaient proches de celles :
- acceptées par le TA de la Guadeloupe, mais ce fut par une ordonnance qui a ensuite été cassée par le Conseil d’Etat :
- TA de La Guadeloupe, ord., 27 (28 selon ce tribunal, 27 selon le texte de l’ordonnance…) mars 2020, n°2000295 : COVID 19 : un TA impose à son CHU la commande de tests de dépistage et de traitements par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine !
- • CE, ord., 4 avril 2020, n° 439904, 439905 :
Chloroquine : le Conseil d’Etat siffle la fin de la dissidence du TA de La Guadeloupe
- rejetées par le Conseil d’Etat (voir la décision précitée du 4 avril 2020 mais aussi : CE, ord., 28 mars 2020, n° 439765, n° 439693 et n°439726 [3 esp. distinctes]. Voir : le Conseil d’Etat, par trois ordonnances, refuse des demandes d’injonctions faites à l’Etat en matière de matériel professionnels de santé, de tests dépistage et d’hydroxychloroquine )
- déboutées, également, par le TA de la Martinique (ord., 1er avril 2020, n° 2000186) :
Dépistage systématique, chloroquine et matériels de protection : rejet des demandes par le TA de La Martinique (conforme à la position du CE ; contraire à la position du TA de La Guadeloupe) - refusées par le TA de Bastia (ord., 3 avril 2020, n°2000357) :
Le TA de Bastia refuse, à son tour, d’imposer un régime marseillais à base de chloroquine - et rejetées aussi par le TA de La Réunion (ord., 6 avril 2020, n°2000289, n° 2000290 et n° 2000292 [3 esp. différentes]
Le TA de La Réunion refuse, à son tour, d’imposer — entre autres — un régime marseillais à base de chloroquine
Le TA commence par poser que le droit au respect de la vie (de l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales), évoqué par les requérants et intervenants pour fonder ce référé liberté (classique) relève bien du bloc constitutionnel (ce qui est parfois débattu, surtout depuis « l’affaire Lambert »).
La partie requérante faisait valoir que les spécificités locales non prises en compte, isolement de certaines communes, multiplicité des ethnies et des langues, sous-équipement informatique, absence de réseau et défaut d’approvisionnement en eau potable, aggravent les risques de propagation du virus et font craindre, compte tenu des défaillances des infrastructures de santé, une catastrophe sanitaire.
Cela conduit la juge des référés à détailler le contexte local, les mesures mises en place, et posant à chaque fois le niveau du contrôle du juge.
Nous conseillons vraiment la lecture de cette ordonnance car d’un point de vue pratique elle montre ce qui est fait sur place tel que relaté par le juge, ce qui en termes de sécurité civile et sanitaire s’avère assez passionnant.
D’un point de vue juridique, cette ordonnance montre bien le niveau de contrôle opéré par le juge :
- contrôle de proportionnalité entre dangers et mesures mises en oeuvre comme toujours en pareil cas (notamment s’il s’agit de pouvoirs de police – sur ce point voir aussi Covid-19 et pouvoirs de police : après une nouvelle rafale de jurisprudences, l’heure des bilans juridiques )
- mais souci du juge de ne pas demander l’impossible et de tenir compte des réalités du terrain, ce qui conduit ce juge en référé liberté à aller des considérations de principe (respect des libertés ; droit à la vie ici ; liberté d’aller et venir ou liberté du commerce et de l’industrie pour d’autres référés en matière de Covid-19…) .. à du très concret puisque le contrôle de proportionnalité impose de rentrer dans le fond des mesures prises : nous sommes dans la logique contentieuse usuelle de ce qu’on appelle « le contrôle des motifs » depuis le Professeur Léon Michoud au début du XXe siècle.(voir notamment
-
Etude sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration, R.G.A, 1914, T. 3, p. 9 ; voir aussi R. Bonnard :
«le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoir»,
RDP, 1923, p. 363 à 392.).
A lire ici :
TA de La Guyane, 6 avril 2020, n°2000309 :
2000309
NB : retour des médias régionaux :