Zonages tarifaires des services d’eau et d’assainissement collectif : spectaculaire confirmation de la jurisprudence « Narbonne Libertés 89 »

Zonages tarifaires des services d’eau et d’assainissement collectif : le Conseil d’Etat confirme de manière éclatante sa jurisprudence « Narbonne Libertés 89 », admettant des différences tarifaires en cas de différences de situations entre usagers (même sur des micro-zonages) ou de nécessité d’intérêt général en lien avec le service… 

  • I. Le principe d’égalité n’interdit pas sous certaines limites des traitements différents en cas de différences de situation au regard du service 
  • II. Pour les services des eaux (alimentation en eau potable et assainissement collectif en tous cas), les zonages tarifaires ont donné lieu à une jurisprudence fort claire 
  • III. La jurisprudence « Narbonne Libertés 89 » vient dans ce cadre de connaître une brillante confirmation, y compris sur des micro-zonages. Avec même une extension des cas de zonages tarifaires, non seulement aux différences de situation au regard du service (ce qui n’est pas nouveau), mais aussi en cas de nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service, ce qui ainsi formulé et appliqué est assez nouveau 

 

 


 

I. Le principe d’égalité n’interdit pas sous certaines limites des traitements différents en cas de différences de situation au regard du service 

 

C’est un des grands principes qui régissent le droit des services publics  : les usagers doivent être traités sur un pied d’égalité, sans discrimination, s’ils dans la mesure où ils se trouvent dans des situations comparables au regard du service. Cette égalité des usagers est en premier lieu l’égalité d’accès aux services publics locaux. Cette égalité s’applique aussi en matière fiscale, mais avec un cadre différent et sans exigence de proposition au service rendu.

Mais certaines discriminations sont autorisées quand elles répondent à des différences de situation face au service : fixation des tarifs des tickets de restauration scolaire selon le quotient familial ou selon le lieu d’habitation et/ou de contribution… De même une commune a-t-elle pu fixer des tarifs distincts selon que les repas étaient, ou non, commandés avec une certaine avance.

Sources : CE Sect., 9 mars 1951, Soc. concerts du conservatoire, 92004 ; CE 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec. p. 274 ; CE 20 novembre 1964 Nanterre, n° 57435 ; CE 9/3/98 Marignane, 158334 ; TA Versailles 10/4/98 Aussant c/ Sannois, n° 97654 ; CE 25/10/02, X c/ Orange,  n° 251161 ; CE, 3ème sous-section jugeant seule 23 octobre 2009, req. n° 329076… Sur les modulations tarifaires au quotient familial en cas de service public administratif facultatif, voir art. 147 loi n°98-657 du 29/7/98 ; CE, 20 janvier 1989, CCAS de la Rochelle, Rec. p. 8 ; CE, 18 mars 1994, Mme Dejonckeere, Rec. p. 762 et CE, 29 décembre 1997, Communes de Gennevilliers et de Nanterre, Rec. p. 499.

L’usage de la voirie, notamment des ponts, a souvent alimenté ces contentieux  (CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n° 88032 ; CE, 16 février 1979, Comité d’action et de défense des intérêts de l’île d’Oléron, n° 03949 ; CE, 9 novembre 1992, Président du Gouvernement du Territoire de la Polynésie française et Président de l’Assemblée territoriale de la Polynésie française, n° 107469 ; CE, 10 juin 1998, Association pour la protection de l’environnement et le développement économique de l’île d’Oléron « Oléron environnement et développement » et autre, n° 178812; décision 2017-631 QPC du 24 mai 2017, NOR : CSCX1715509S).

Cela dit, en matière fiscale, le juge est parfois plus souple (pas de différence au service rendu ; plus grande acceptation de critères discriminants) :

En matière de voirie, voir l’article L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales et TA Pau, 29 septembre 2020, n° 1801241,1801357 :

Attention : des règles particulières existent pour certains services publics, comme par exemple celui des déchets ménagers et autres déchets non dangereux. 

Voir :

 

 

II. Pour les services des eaux (alimentation en eau potable et assainissement collectif en tous cas), les zonages tarifaires ont donné lieu à une jurisprudence fort claire 

 

Il n’en reste pas moins que la liberté de fixer des tarifs différents sur le périmètre intercommunal demeure s’il « existe entre les usagers des différences de situation appréciables » (résultant de découpages de compétences, ou de différences de contrats issus de communes différentes, par exemple…), ou « qu’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service commande cette mesure »… et l’arrêt Narbonne Libertés 89 est de ce point de vue une sorte de mètre-étalon des règles en la matière. On devrait le mettre à Sèvres mais en attendant le voici ici : CE, 26 juillet 1996, Ass., Narbonne Libertés 89, rec. T 696.

Il y avait d’un côté la ville, la vieille ville, et de l’autre Narbonne plage, la ville nouvelle, la ville avec des dépenses récentes. Avec une comptabilité analytique pour chaque partie, le juge a admis qu’il y ait deux tarifs différents, l’un pour la vieille ville, l’autre pour Narbonne plage… alors que si on était arrivé (presque) au même résultat par une tarification spéciale résidences secondaires ladite tarification eût été illégale (CE, 28 avril 1993, Cne de Coux : rec., p. 138 ; JCP G 1993, IV, 1775 ; à comparer avec la légalité sous condition de la tarification propre aux piscines via une cotisation annuelle : CE, 14 janvier 1991, Bachelet : rec., p. 13). Rappelons qu’il ne s’agit pas d’être un gros vilain méchant en tarification mais de tenir compte :

  • des charges fixes propres à certaines habitations (en droit on doit surtout facturer au m3 mais cette règle, qui se comprend d’un point de vue purement environnemental, ne correspond pas du tout à la réalité de la distribution des coûts…), d’une part,
  • et des périodes d’utilisation de l’eau (remplir une piscine l’été et utiliser l’eau surtout l’été est anti-écologique en diable dans les zones à fort stress hydrique, surtout dans les zones à forts conflits d’usages, ce qui est certes un débat énorme en soi), d’autre part.

 

Voir à ces sujets notre vidéo d’un peu plus de 9mn (faite avant la loi engagement et proximité de 2019 mais cela ne change pas sur ces questions de zonages) :

https://youtu.be/hdA6zddYawQ

 

Source : maquette du SDEA d’Alsace Moselle (photographie coll. personnelle)

 

III. La jurisprudence « Narbonne Libertés 89 » vient dans ce cadre de connaître une brillante confirmation, y compris sur des micro-zonages. Avec même une extension des cas de zonages tarifaires, non seulement aux différences de situation au regard du service (ce qui n’est pas nouveau), mais aussi en cas de nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service, ce qui ainsi formulé et appliqué est assez nouveau

 

Le Conseil d’Etat a en effet posé vendredi dernier que :

 « la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d’usagers d’un service public implique, à moins qu’elle ne soit la conséquence nécessaire d’une loi, soit qu’il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service commande cette mesure

En l’espèce, une délibération de 2015 d’un syndicat mixte modifiait le montant de la redevance d’assainissement collectif mise à la charge de cinq habitations (!), lesquelles étaient déjà raccordées à la station d’épuration, mise en place par le syndicat mixte en 1977, d’une base de loisirs, avant la construction du réseau d’assainissement de la commune ayant permis, à partir de 2013, de raccorder les quatre-vingt-huit autres habitations de la commune à cette station d’épuration.

Dans ces conditions, pose la Haute Assemblée,  compte tenu de cette desserte antérieure par un réseau existant, la délibération litigieuse, en fixant pour ces cinq habitations un tarif de redevance d’assainissement de 0,5 euro par mètre cube d’eau consommée, correspondant au seul coût de fonctionnement des installations déjà existantes, à l’exclusion du coût de remboursement des travaux nécessaires à la création du nouveau réseau d’assainissement collectif de la commune, n’a pas méconnu le principe d’égalité des usagers devant le service public (application donc de Narbonne Libertés 89… une comptabilité analytique, un historique et un cycle d’investissements différents pouvant fonder une différence de situation suffisante pour fonder une différence tarifaire… y compris, on le voit, sur un micro-zonage).

Oui mais n’est-ce pas contraire à l’article L. 210 du code de l’environnement, qui prévoit « le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous » ? Non le droit à l’eau étant un sujet différent de la question relative à sa tarification, pose le Conseil d’Etat très logiquement. Un tel moyen « ne peut être utilement invoqué pour contester la légalité d’une délibération fixant le prix de l’eau ou le montant d’une redevance d’assainissement».

Source : CE, 22 octobre 2021, n° 436256, à mentionner aux tables du recueil Lebon