Néonicotinoïdes : l’exception de la betterave à sucre perdure ; le principe de non-régression frise la déconfiture

Le principe de non-régression n’a, en droit, jamais été absolu (I). 

Mais il a pris une relativisation particulière en matière de néonicotinoïdes, entre 2020 et 2021 : les deux ailes du Palais Royal ont, en effet, admis l’interdiction tout en validant l’exception en dépit du fait que celle-ci est intervenue après coup, ce qui la conduisait potentiellement à être contraire au principe de non-régression (II).

Or, voici que le débat… ne rebondit pas avec une décision rendue le 25 février 2022. Certes, le droit et les pratiques continuent de progresser, mais lentement. Le débat juridique, lui, est au point mort, conduisant le juge des référés du Conseil d’Etat à valider le maintien du même statu quo pour la campagne de 2022 (III). Le principe de non-régression, lui, recule d’autant.  

 

I. Un principe de non-régression qui n’a jamais été absolu 

 

Aux termes du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, les autorités s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, du :

« principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »

Le juge fait prévaloir une interprétation raisonnée, non absolue voire parcimonieuse, de ce principe :

… Avec quelques sursauts parfois de la part du juge (voir par exemple )Annulation d’une partie de la (relative) dérégulation des ICPE au nom du principe de non-régression en matière environnementale ).Pour un exemple, en transport aérien, où il a été dit le principe de non-régression avait fait une envolée alors que cela se discute, voir CE, 9 juillet 2021, n° 439195, arrêt que j’avais commenté ici).

 

 

II. En matière de néonicotinoïdes, entre 2020 et 2021, les deux ailes du Palais Royal ont admis l’interdiction tout en validant l’exception en dépit du fait que celle-ci est intervenue après coup, ce qui la conduisait potentiellement à être contraire au principe de non-régression… lequel décidément est apprécié avec souplesse par le juge… 

 

En matière de néonicotinoïdes, le Conseil d’Etat avait l’an passé validé l’interdiction générale des néonicotinoïdes, y compris au regard du droit européen. Il l’avait d’ailleurs fait au terme d’un arrêt qui lui permettait de mieux préciser les procédures applicables entre l’Etat français et la Commission lorsqu’il s’agit d’adopter une « mesure conservatoire provisoire nécessaire à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement », ainsi que le contrôle du juge en ce domaine (limité à un contrôle restreint). Voir :

Reste la betterave sucrière, qui a donné lieu à une exception… mais une exception qui pose problème même en se limitant au droit national.

En effet, au lieu de ménager cette exception ab initio, cette exception est venue après coup, ce qui dès lors fait un peu tache au regard du principe de non régression.

A la base, les deux ailes du Palais Royal avaient été au diapason.

Le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution, compte tenu de l’ensemble des garanties dont elle était assortie et en particulier de son application limitée exclusivement jusqu’au 1er juillet 2023, la possibilité de déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes. A cette occasion, le Conseil constitutionnel avait développé d’intéressants développements sur la charte de l’environnement et il avait précisé un cadre strict pour cette régression/mesure transitoire, mais il s’était refusé à aller au delà en dégageant ce qui eût pu être un principe plus fort de non régression en la matière.

Voir Décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 :

Puis vint une ordonnance du Conseil d’Etat… allant sans grande surprise dans le même sens. Dans la foulée de la décision de l’aile Montpensier du Palais Royal, le Conseil d’Etat avait en effet estimé que l’arrêté ministériel pris à la suite de cette loi validée par le Conseil constitutionnel, qui se bornait à préciser les modalités de leur utilisation pour l’année 2021, n’est contraire ni à la Constitution ni au droit européen.

Le juge des référés du Conseil d’État relèvait que l’utilisation de ces substances, en principe interdites, a été autorisée temporairement par la loi du 14 décembre 2020 pour les betteraves sucrières, qui représentent 1,5 % de la surface agricole utile française. Cette dérogation a été accordée pour protéger ces cultures menacées par des infestations massives de pucerons responsables de maladies virales et pour une durée limitée, le temps que soient mises au point, d’ici à 2023 au plus tard, des solutions alternatives satisfaisantes.

Le juge des référés estime donc que l’arrêté attaqué, qui se borne à mettre en œuvre cette autorisation pour la campagne 2021, ne porte, par lui-même, aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie et au droit de propriété des éleveurs d’abeille.

Le droit de l’Union européenne (règlement [CE] n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques)  interdit l’utilisation des néonicotinoïdes mais prévoit des dérogations temporaires lorsqu’il existe de graves risques pour l’agriculture et en l’absence d’autre solution. Le juge des référés observe que l’arrêté attaqué respecte cette dérogation, en raison du risque sérieux d’une nouvelle infestation massive par des pucerons porteurs des maladies de la betterave au printemps 2021. Les pertes importantes de production subies à cause de ces maladies en 2020 montrent qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables pour maîtriser ce danger, tout au moins pour la campagne 2021.

 

Voici cette décision :

CE, ord., 15 mars 2021, 450194-450199

 

 

III. Depuis, le droit et les pratiques progressent mais lentement. Le débat juridique, lui, est au point mort, conduisant le Conseil d’Etat, le 25 février 2022, à valider le maintien du même statu quo pour la campagne de 2022. Le principe de non-régression, lui, recule d’autant.  

 

Le Gouvernement a depuis lors avancé en ce domaine avec l’arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des autres insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (NOR : AGRG2134356A) et, plus largement, avec le fameux « plan pollinisateurs » qui vise à stopper le déclin de ces insectes tout en « respectant le travail des agriculteurs », et ce après une évolution inquiétante ces dernières années et une année catastrophique (voir ici). Voir :

 

Mais sur les betteraves sucrières et les néonicotinoïdes, rien de concret permettant de trouver une solution alternative à ces pesticides… semble-t-il.

Alors le Conseil d’Etat en référé a, le 25 février 2022, admis un nouveau report de l’exception… ce qui rend encore  un peu plus souple l’appréciation du principe de non-régression…

Voici le communiqué du Conseil d’Etat :

« Plusieurs associations et représentants du monde agricole ont demandé au Conseil d’État de suspendre pour 2022 l’autorisation provisoire d’utilisation des néonicotinoïdes pour la culture des betteraves sucrières. Le juge des référés relève que la loi a expressément prévu cette possibilité de dérogation pour ces cultures, si certaines conditions sont remplies, tenant notamment aux risques pour ces cultures. Il estime que, au vu des éléments transmis par les parties, le risque d’une infestation massive de pucerons porteurs de maladies est réel et sérieux et qu’il n’existe à ce jour, malgré les recherches en cours, aucun autre moyen suffisamment efficace pour protéger ces cultures.
Le 30 janvier 2022, la ministre de la transition écologique et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont fixé par arrêté les modalités d’utilisation provisoire de semences de betteraves sucrières traitées avec des pesticides contenant des néonicotinoïdes (« imidaclopride » ou « thiamethoxam ») pour la campagne 2022.
Plusieurs associations environnementales ou représentant des apiculteurs et agriculteurs ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre cet arrêté.
L’autorisation provisoire des néonicotinoïdes est prévue par le droit français et européen
Le juge des référés du Conseil d’État relève que le droit de l’Union européenne1 interdit l’utilisation des néonicotinoïdes, mais prévoit des dérogations temporaires lorsqu’il existe de graves risques pour l’agriculture et en l’absence d’autre solution.
La loi du 14 décembre 2020 a autorisé temporairement l’utilisation de ces pesticides pour les betteraves sucrières (1,5 % de la surface agricole utile française). Cette dérogation a été instituée pour protéger ces cultures menacées par des infestations massives de pucerons responsables de maladies virales et pour une durée limitée, le temps que soient mises au point, d’ici à 2023 au plus tard, des solutions alternatives satisfaisantes.
Le juge des référés du Conseil d’Etat estime qu’il résulte de l’instruction et notamment des échanges lors de l’audience publique que le risque d’une nouvelle infestation massive par des pucerons porteurs des maladies de la betterave au printemps 2022 est sérieux et qu’il n’existe pas encore, à ce stade, malgré les recherches en cours, de solutions alternatives suffisamment efficaces pour éviter les dommages graves subis en 2020 par ces cultures.
Le juge des référés relève par ailleurs que l’usage des semences, autorisées pour les seules betteraves sucrières, est limité à 120 jours en 2022 et qu’il est soumis au respect des règles encadrant l’utilisation des pesticides, notamment pour le respect des distances par rapport à des zones d’habitation ou à des cours d’eau.
Comme il l’avait déjà jugé pour la campagne 20212 , le juge des référés estime donc que l’arrêté attaqué ne fait que préciser les conditions de mise en œuvre cette autorisation pour la campagne 2022.»

… qui résume bien l’ordonnance que voici :