CRC des Haut-de-France : l’indemnité d’imprévision Covid doit être suffisamment justifiée !

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/communaute-urbaine-de-dunkerque-nord-enquete-regionale-sur-limpact-de-la-crise-sur-les

C’est une lecture fort intéressante qui a été publiée par la Chambre Régionale des Comptes des Hauts-de-France le jeudi 28 avril 2022 concernant l’impact de la crise sanitaire sur les délégations de service public de la Communauté Urbaine de Dunkerque (ci-après CUD). Celle-ci s’intéresse à deux établissements en particulier : le « Kuursal », palais des congrès historique de la ville, et la toute nouvelle patinoire Michel Raffoux ouverte en 2019.

Ces deux établissements ont été fortement impactés par la crise sanitaire, se voyant dans l’obligation de cesser toute activité durant de longs mois de l’année 2020. Cela étant, cette crise, n’a pas eu sur eux le même impact financier : le premier n’a pas sollicité d’indemnisation de la part de la CUD et cela, grâce à une situation financière saine, à des exonérations de charges et aux aides de l’État, le second a, lui, sollicité une indemnisation dès le mois d’août 2020, indemnisation qui est aujourd’hui reprochée par la CRC Haut-de-France.

 

I. Différents contrats de DSP, différents impacts de la crise

 

Le rapport qui nous intéresse se divise en deux parties détaillant précisément les situations des deux établissements avant la crise sanitaire, l’impact de celle-ci sur leurs finances et les recommandations de la CRC afin de préparer l’avenir de ces DSP.

 

1.  Le palais des congrès Le Kuursal a résisté à la crise

 

Le palais des congrès est géré en délégation de service public passé avec une association, « Dunkerque Congrès », et dont le plus grand questionnement avant la crise sanitaire était sur son devenir, car son état de vétusté étant avancé, son maintien nécessiterait des travaux estimés à 12M€.

Ainsi pour répondre à ces questions, le contrat, devant arriver à échéance le 12 janvier 2020 avait été prolongé de deux ans.

 

Comme dans toute délégation de service public, la rémunération du délégataire est assurée par l’exploitation du palais, il perçoit donc l’intégralité de ses recettes. Cependant, ne maîtrisant pas complétement ses ressources, la tarification relevant du conseil communautaire, la CUD lui octroie une des compensations.

 

L’impact de la crise a été particulièrement fort pour le palais des congrès puisque le rapport fait état d’une perte de 41% de ses jours de location et d’une chute du chiffre d’affaires de l’association de 1,7 millions d’euros.

 

Cependant, celle-ci n’a pas fait de demande d’indemnisation d’imprévision auprès de la CUD, cela s’explique, selon la CRC Haut-de-France, par trois facteurs :

  • D’une part la santé financière préalable de l’association, s’expliquant par une redevance d’occupation du domaine public « au montant anormalement bas » ayant été décidé par la CUD ;
  • Le recours aux aides de l’État, notamment celle de la DIRECCTE pour les dispositifs de chômage partiels ;
  • La prise en charge par la collectivité de la TEOM et des assurances, dont la CRC Haut-de-France met en garde sur le fait qu’elle pourrait constituer un avantage consenti au délégataire sans contrepartie de sujétion particulières, contrevenant à l’article L. 2224-1 du CGCT.

 

La CRC note ainsi que si l’association délégataire du palais des congrès a vu ses finances résister à la crise sanitaire, et ne pas demander d’indemnisation, cela est en partie dû à des conditions mises en place par la CUD très favorables.

 

2.  La patinoire Michel Raffoux « une rentabilité artificielle dépendante des aides publiques »

 

Dans le cas de la patinoire Michel Raffoux, nouvel établissement inauguré le 1e Août 2019, la CRC a affaire à un contrat de DSP en affermage conclu avec la société Vert Marine, société leader dans le secteur, gérant sur le plan national, 80 équipements. Comme cela se fait souvent, une société (« SAS Vert Marine ») au capital social de 8 000 € a été spécialement créée pour la gestion de la patinoire.

 

Comme précédemment, le contrat stipule que le délégataire gère l’établissement à ses risques et périls. La rémunération est assurée par les recettes commerciales des usagers et les produits annexes (boutiques, confiserie, distributeurs, publicité, etc.). De la même manière, la SAS Vert Marine perçoit des contributions financières versées par la collectivité au titre des compensations pour les contraintes de service public et institutionnelles (notamment sur la fixation des tarifs).

Cependant, la CRC Haut-de-France note, en observant le calcul du montant de la compensation pour contraintes institutionnelles et sujétions de service public, que celle-ci « vient combler, purement et simplement le déficit prévisionnel d’exploitation ». Ce qui contrevient à l’alinéa 2-1° de l’article L. 2224-2 du CGCT. D’où le rappel au droit formulé par le rapport.

 

La Crise sanitaire a résulté en une chute drastique de l’exploitation de la patinoire : sur l’entièreté de l’année 2020, celle-ci a enregistré autant d’entrées que durant ces 5 premiers mois d’exploitation de l’année précédente, année d’ouverture. Cependant, le délégataire SAS Vert Marine est bénéficiaire sur l’année 2020 notamment grâce à l’aide de l’État, mais aussi à l’indemnité ici critiquée par le rapport.

II.  Le Cas d’une indemnisation d’imprévision précipitée selon la CRC Haut-de-France

 

Ainsi, une indemnité d’imprévision d’un montant de 30 000 € est accordée par la CUD à la SAS Vert Marine au titre du déficit d’exploitation consécutif à la période de fermeture de l’établissement, du 17 mars au 31 mai, en application de l’article 1er de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19. Celle-ci est ici vivement critiquée par la Chambre Régionale des Comptes Haut-de-France à deux titres : elle aurait été accordée sur la base d’éléments insuffisants et sans protocole transactionnel, qui aurait, toujours selon la CRC, « protégé les intérêts de la collectivité ».

 

1.  Une crise sanitaire répondant aux conditions de l’imprévision

 

L’indemnisation d’imprévision est une indemnisation du cocontractant, codifiée au 3° de l’article L. 6 du Code de la Commande Publique

« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité »

Sa finalité est de permettre la continuité du service public. Ainsi, le délégataire peut être partiellement indemnisé afin qu’il soit en mesure de poursuivre son activité.

Le Conseil d’État avait ainsi accepté que l’équilibre du contrat puisse être considéré comme bouleversé lors d’une augmentation drastique des charges ou d’une forte diminution des ressources d’exploitation due à l’évènement extérieur (CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, no 419155, que nous avions traité en article ici).

Dans ce cas, la CRC reconnaît que les effets de la Crise du Covid 19 sont conformes à la définition de l’imprévision.

 

2. Une indemnisation « prématurée » sur la base d’éléments insuffisants

 

Cependant, la CRC déplore le fait que, malgré que la crise sanitaire ait relevé de la théorie de l’imprévision, la SAS Vert Marine n’a  pas directement évoqué ce cadre pour demander son indemnité.

En effet, La société Vert Marine a effectué une demande d’indemnisation en Août 2020 sur la base d’une note économique, faisant état alors de pertes importantes correspondant aux périodes d’activité de la patinoire impactée par la crise (59 441 € pour la période allant du 15 mars au 26 juin et 28 287 € pour celle allant du 27 juin au 31 Août).

Or, la CRC remet en cause la méthodologie de note économique sur la base de laquelle s’est fondée cette demande d’indemnisation, celle-ci ne remettant pas en perspective le déficit d’alors de la société, avec celui d’une année d’activité normale.

« Elle ne compare pas le résultat au budget des trois mois et demi en question. Le délégant n’a pu donc mesurer l’étendue de sa perte effective sur la période considérée. La CUD, tout au plus, a pu constater le solde négatif des charges et des produits, sans pouvoir le mettre en perspective avec celui d’une année normale. Aussi, le soutien public communautaire a été attribué sur la base d’une information incomplète. »

À cela s’ajoute que la CUD possédait contractuellement d’autres outils que cette indemnisation d’imprévision pour indemniser son délégataire, outil qu’elle a écarté et qui sont repris par la CRC.

Premièrement l’article 8 du contrat permettait uniquement au délégataire, dans le cas d’un élément extérieur empêchant l’exécution du contrat, e ne pas se voir appliquer les sanctions ou pénalités financières liées à la mauvaise exécution. Ou encore l’article 10 du contrat prévoyait que si la situation correspondait bien à un événement extérieur au service affermé, elle ne pouvait être assimilée à une nouvelle contrainte de fonctionnement imposée par le délégant.

Enfin, la CRC note, mais cela au bénéfice de la CUD, que celle-ci n’a pas fait appel aux mesures ouvertes par l’ordonnance no 2020-319 du 25 mars 2020, permettant une certaine adaptation des règles de passation de procédure ou d’exécution des contrats. En effet, ses dispositions n’étaient pas applicables en l’espèce, la fermeture de la patinoire résulte d’une mesure de police administrative, et non d’une modification d’exécution du contrat à l’initiative de la communauté urbaine.

3. Une indemnisation sans protocole transactionnel

 

Dans un second reproche développé par la CRC, ce rapport déplore l’absence dans la procédure d’indemnisation de protocole transactionnel. En effet, au vu du bénéfice d’exploitation dont le montant était de 56 983€, la chambre considère que la CUD aurait dû négocier avec Vert Marine, une possible récupération de tout ou une partie de l’indemnité. D’autant plus que le relevé de conclusion du comité technique évoquait la possibilité d’un contrôle ex-post sur le versement décidé. La CRC considère qu’avec le reversement de l’indemnité à la CUD, le bénéfice d’exploitation aurait été de 26 983€ en 2020, ce qui, sur toute la durée de la délégation, aurait tout de même permis à la société Vert Marine d’atteindre l’équilibre financier.

 

4.   Les recommandations

 

Ainsi, la CRC formule des recommandations à la CUD afin qu’elle puisse améliorer ses relations contractuelles avec la Société Vert Marine renforçant son suivi annuel voire infra-annuel et en revoyant, avec son délégataire, le contrat d’affermage de la patinoire, « dont le caractère artificiel du compte d’exploitation prévisionnel n’est pas en phase avec la réalité de la délégation. ». Elle lui propose notamment d’actualiser, par voie d’avenant les conditions de l’équilibre financier du contrat de DSP pour les années 2021 à 2024. Elle rappelle de même la CUD au droit en l’incitant à définir la nature des sujétions de service public et leur mode de calcul justifiant la compensation forfaitaire adossée, conformément aux dispositions de l’article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales.

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De notre côté nous conseillons aux acheteurs publics d’être extrêmement prudents sur les demandes d’indemnisations Covid, de bien demander les justifications nécessaires aux sociétés cocontractantes et évidemment, d’accorder une indemnisation seulement lorsque cela est nécessaire et justifié sur la base des preuves tangibles en concluant toujours un protocole transactionnel afin de protéger vos intérêts.

 

*article rédigé avec la collaboration de Lucas Blondiaux, stagiaire

 


 

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