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đŸŽŒ Il Ă©tait un petit navire [bis] que la collectivitĂ© ne voulait pas laisser naviguer [bis] [ohĂ© ohé  Montego Bay]

Une collectivitĂ©, mĂȘme ultramarine, ne peut instaurer un rĂ©gime d’autorisation prĂ©alable Ă  la circulation des navires en mer : cela contrevient aux articles 17 et 24 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer signĂ©e le 10 dĂ©cembre 1982 Ă  Montego Bay, lesquels articles sont d’application directe, vient de poser la CAA de Paris.

Cette dĂ©cision prolonge un avis contentieux du Conseil d’Etat rendu cet Ă©tĂ© qui ne portait pas prĂ©cisĂ©ment sur ce point, mais qui confirmait les vastes marges de manƓuvre dont disposent en droit le provinces nĂ©o-calĂ©doniennes. 

En l’espĂšce, il en rĂ©sulte une censure trĂšs partielle de la dĂ©cision de la province nĂ©o-calĂ©donienne en question, entraĂźnant un traitement diffĂ©renciĂ© entre navires français et étrangers qui peut Ă  tout le moins interroger. 


 

 

La CAA de Paris vient de poser que son d’effet direct en droit français deux articles de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (signĂ©e le 10 dĂ©cembre 1982 Ă  Montego Bay), Ă  savoir :

 

Source : https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf

Il peut en rĂ©sulter des complexitĂ©s cela dit notamment quand se succĂšdent Ă  peu de milles nautiques de distance, une succession d’Etats cĂŽtiers distincts (pour un exemple Ă©difiant au large du cotentin, voir ici).

NB : sur ces principes conciliĂ©s avec le droit europĂ©en quand se posent des questions de sauvetage en mer MĂ©diterranĂ©e,  voir CJUE, 1er aoĂ»t 2022 – Sea Watch;, affaire C-14/21 (Affaires jointes C-14/21, C-15/21).

En l’espĂšce, les pouvoirs dĂ©volus Ă  l’Etat CĂŽtier au sens de cette convention ont Ă©tĂ© exercĂ©s par la province des Ăźles LoyautĂ© de Nouvelle-CalĂ©donie.

Cette collectivitĂ© ultramarine a instituĂ© rien de moins qu’un rĂ©gime d’autorisation prĂ©alable de la circulation des navires dans le domaine public maritime.

Cette province se fondait sur les larges pouvoirs qui lui sont attribués par :

 

Par un jugement n° 2000440 du 17 mai 2021, le Tribunal administratif de Nouvelle-CalĂ©donie a censurĂ© cette dĂ©libĂ©ration de 2020 de la Province des Ăźles LoyautĂ©. La CAA de Paris sur ce point, avant dire droit, a demandĂ© un avis contentieux au Conseil d’Etat, lequel a Ă©tĂ© rendu cet Ă©tĂ© :

 

La Haute Assemblée avait donc en juillet 2022 posé, par cet avis contentieux, que :

 

De larges compétences donc.

Mais ces compétences ont-elles été légalement exercées ? NON car la province doit respecter diverses rÚgles de droit à ce titre :

« 4. Dans l’exercice des compĂ©tences qui leur sont ainsi dĂ©volues par les dispositions prĂ©citĂ©es, les provinces sont tenues de respecter, d’une part, la Constitution, et notamment son prĂ©ambule et son titre XIII, les engagements internationaux de la France et les principes gĂ©nĂ©raux du droit et, d’autre part, les rĂšgles Ă©dictĂ©es par l’État dans l’exercice de ses compĂ©tences propres. Les provinces sont Ă©galement tenues de respecter les rĂšgles Ă©dictĂ©es par la Nouvelle-CalĂ©donie dans l’exercice des compĂ©tences qui lui sont limitativement dĂ©volues par la loi organique statutaire et, Ă  ce titre, celles Ă©dictĂ©es par les lois du pays. Dans l’exercice des compĂ©tences qu’elles tiennent des dispositions de la mĂȘme loi, les provinces peuvent librement instituer des rĂ©gimes juridiques nouveaux et mettre en oeuvre des politiques qui leur sont propres, alors mĂȘme qu’ils diffĂšrent de ceux dĂ©cidĂ©s par l’État ou par la Nouvelle-CalĂ©donie, pourvu que, ce faisant, elles respectent les rĂšgles et principes rappelĂ©s ci-dessus. »

 

La CAA Ă©numĂšre toutes les rĂšgles qui ont Ă©tĂ© respectĂ©es par ladite province, en rĂ©ponse aux moyens soulevĂ©s, et ce d’une maniĂšre prĂ©cise (ce qui est logique s’agissant d’une censure seulement partielle de la dĂ©libĂ©ration en cause).

Citons notamment les intéressants points 22 et 23 :

« 22. En premier lieu, les atteintes Ă  la libertĂ© d’aller et de venir, notamment sur le domaine public, Ă  la libertĂ© d’entreprendre et Ă  la libertĂ© du commerce et de l’industrie, constitutionnellement garanties, doivent ĂȘtre justifiĂ©es par un motif d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et proportionnĂ©es Ă  l’objectif poursuivi, en tenant compte de l’orientation Ă  valeur constitutionnelle fixĂ©e par les points 1.1. et 1.4. du document d’orientation de l’accord de NoumĂ©a, citĂ©s ci-dessus au point 2 du prĂ©sent arrĂȘt.

« 23. En l’espĂšce, le rĂ©gime d’autorisation ou de dĂ©claration prĂ©alable applicable aux activitĂ©s sur le domaine public maritime de la province des Ăźles LoyautĂ© instituĂ© par la dĂ©libĂ©ration litigieuse en dehors des servitudes Ă©cologiques et coutumiĂšres vise Ă  assurer la prĂ©servation de l’environnement et le respect des usages coutumiers, en tenant compte de la situation particuliĂšre et des caractĂ©ristiques gĂ©ographiques, dĂ©mographiques et culturelles propres des Ăźles qui la composent. Eu Ă©gard Ă  l’instauration d’un systĂšme de servitudes Ă©cologiques et coutumiĂšres destinĂ© Ă  concilier tant, selon les termes de l’article 232-7 du code de l’environnement de la province des Ăźles LoyautĂ©,  » l’accĂšs de tous Ă  la nature  » que les pratiques culturelles qui lui sont associĂ©es, le rĂ©gime ainsi crĂ©Ă© opĂšre une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnĂ©e entre ces diffĂ©rents objectifs et ne mĂ©connait ainsi pas les dispositions constitutionnelles garantissant les libertĂ©s susmentionnĂ©es. Le moyen doit donc ĂȘtre Ă©cartĂ©.»

Mais lĂ  oĂč l’arrĂȘt nouveau s’avĂšre vraiment notable, c’est lorsqu’il aborde le moyen tirĂ© de la mĂ©connaissance de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 dĂ©cembre 1982 :

28. Le haut-commissaire de la RĂ©publique soutient que la dĂ©libĂ©ration litigieuse, en instituant un rĂ©gime d’autorisation prĂ©alable de la circulation des navires dans le domaine public maritime de la province des Ăźles LoyautĂ©, mĂ©connait les stipulations de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer relatives au droit de passage inoffensif des navires Ă©trangers.

29. L’article 232-3 du code de l’environnement de la province des Ăźles LoyautĂ©, tel qu’il rĂ©sulte de la dĂ©libĂ©ration litigieuse, prĂ©voit que :  » tout accĂšs de navires au domaine public maritime provincial est soumis Ă  dĂ©claration ou Ă  autorisation  » et que les navires doivent communiquer Ă  chaque mouvement leur itinĂ©raire et leur manifeste aux autoritĂ©s portuaires. L’article 232-5 du mĂȘme code prĂ©voit que tous les navires autres que les navires de transport rĂ©gulier de personnes et de marchandises entre la grande terre et les Ăźles et entre les Ăźles et les bateaux de croisiĂšres sont soumis Ă  autorisation, la demande d’autorisation devant ĂȘtre dĂ©posĂ©e par voie Ă©lectronique, accompagnĂ©e de la production  » de la carte de la navigation, de la dĂ©claration de l’état du navire, des marchandises transportĂ©es  » et de la prĂ©cision  » du nombre de personnes Ă  bord « , et l’autorisation Ă©tant dĂ©livrĂ©e dans le dĂ©lai d’un mois.

30. Aux termes des stipulations de l’article 17, lesquelles sont d’effet direct, de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui a Ă©tĂ© ratifiĂ©e en vertu de la loi n° 95-1311 du 21 dĂ©cembre 1995 et publiĂ©e au Journal officiel de la RĂ©publique française par le dĂ©cret n° 96-774 du 30 aoĂ»t 1996 et qui ne comporte aucune restriction quant Ă  son application en Nouvelle-CalĂ©donie :  » Droit de passage inoffensif. Sous rĂ©serve de la Convention, les navires de tous les États, cĂŽtiers ou sans littoral, jouissent du droit de passage inoffensif dans la mer territoriale. « . Aux termes de l’article 24 de ladite convention :  » Obligations de l’État cĂŽtier. / – 1. L’État cĂŽtier ne doit pas entraver le passage inoffensif des navires Ă©trangers dans la mer territoriale, en dehors des cas prĂ©vus par la Convention. En particulier, lorsqu’il applique la Convention ou toute loi ou tout rĂšglement adoptĂ© conformĂ©ment Ă  la Convention, l’État cĂŽtier ne doit pas : / a) imposer aux navires Ă©trangers des obligations ayant pour effet d’empĂȘcher ou de restreindre l’exercice du droit de passage inoffensif de ces navires ; [
] « . Ces stipulations garantissent ainsi un droit de passage inoffensif aux navires Ă©trangers, et non pas seulement une tolĂ©rance, sans prĂ©judice des mesures, prĂ©vues par le 1 l’article 21 de la convention, susceptibles d’ĂȘtre mise en oeuvre par l’État cĂŽtier dans les domaines suivants :  » a) sĂ©curitĂ© de la navigation et rĂ©gulation du trafic maritime ; / (
) / d) conservation des ressources biologiques de la mer ; / e) prĂ©vention des infractions aux lois et rĂšglements de l’État cĂŽtier relatifs Ă  la pĂȘche ; / f) prĂ©servation de l’environnement de l’État cĂŽtier et prĂ©vention, rĂ©duction et maĂźtrise de sa pollution. « . L’article 8 de l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 dĂ©cembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souverainetĂ© ou de la juridiction de la RĂ©publique française, applicable en Nouvelle-CalĂ©donie en vertu du I de l’article 55 de la mĂȘme loi, dispose en outre que :  » Le droit de passage inoffensif dans la mer territoriale est rĂ©gi par les articles L. 5211-1 Ă  L. 5211-5 du code des transports. « .

31. Le rĂ©gime d’autorisation prĂ©alable de la circulation des navires dans le domaine public maritime de la province des Ăźles LoyautĂ© instituĂ© par la dĂ©libĂ©ration litigieuse doit, eu Ă©gard aux contraintes administratives qu’il fait peser sur les navires Ă©trangers, ĂȘtre regardĂ© comme ayant pour consĂ©quence d’entraver le passage inoffensif des navires Ă©trangers dans la mer territoriale et de leur imposer des obligations ayant pour effet d’empĂȘcher ou de restreindre l’exercice de ce droit de passage inoffensif au sens et pour l’application des stipulations, citĂ©es au point 30, de l’article 24 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

32. Le haut-commissaire de la RĂ©publique en Nouvelle-CalĂ©donie est donc fondĂ© Ă  soutenir que les dispositions des articles 232-3 et 232-5 du code de l’environnement de la province des Ăźles LoyautĂ©, rĂ©sultant de l’annexe Ă  la dĂ©libĂ©ration n° 2020-45/API du 30 juin 2020 de l’assemblĂ©e de la province des Ăźles LoyautĂ© auquel renvoie l’article 1er de cette derniĂšre, sont illĂ©gales en tant qu’elles s’appliquent aux navires Ă©trangers et doivent, dans cette limite, ĂȘtre annulĂ©es.

D’oĂč une censure trĂšs partielle, fondĂ©e seulement sur ce point prĂ©cis (censure partielle cependant qui entraĂźne une distorsion, une rupture d’égalitĂ©, entre navires français et Ă©trangers, ce qui Ă  tout le moins interroge).

Source :

CAA de Paris, 10 janvier 2023, n° 21PA04622, C+

 

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