« Requins et […] tortues marines sont des entités naturelles sujets de droit »… dans une partie de la France (Iles Loyauté), ce qui innove et, en droit, interroge

Crédits : coll. personnelle (EL - MU 2023)

Les droits de la Nature deviennent reconnus en Bolivie ou en Equateur, voire cheminent en ce sens en Espagne. La Nouvelle-Zélande déclare la personnalité juridique d’un fleuve…

Ces mouvements, amples et notables, peuvent agacer ou enthousiasmer, selon les points de vue des divers humains que nous sommes. Reste qu’en réalité, ce mouvement s’avère fort hétérogène comme l’a démontré le Professeur Sacha Bourgeois-Gironde dans ces deux articles, soulignant que « ce mouvement en faveur des droits de la nature prend des formes diverses et non équivalentes d’un cas à l’autre, d’un contexte culturel à l’autre » :

Voir aussi :

Ce chemin n’est pas emprunté en France, que l’on parle de l’Hexagone, de la Corse ou des DOM.

Oui… oui mais dans les collectivités d’outremer (COM ; ex-TOM)… les collectivités disposent de bien plus de marges de manoeuvre.

Aussi est-ce avec intérêt (et amusement, ravissement ou froncement de sourcil selon les pointons opinions de chacun) que l’on notera que, en Nouvelle-Calédonie, la Province des Iles Loyauté est en train de réformer son Code de l’environnement. Voici la version antérieure de ce code (délibération de 2016 ; document ci-dessous à jour d’avril 2019) :

 

Ce code a déjà un riche historique juridique puisque, à tort, cette collectivité ultramarine s’était crue autorisée à instaurer un régime d’autorisation préalable à la circulation des navires en mer.. alors que cela contrevient aux articles 17 et 24 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer signée le 10 décembre 1982 à Montego Bay, lesquels articles sont d’application directe, vient de poser la CAA de Paris.

 

🎼 Il était un petit navire [bis] que la collectivité ne voulait pas laisser naviguer [bis] [ohé ohé… Montego Bay]

Voir aussi :

 

A comparer avec le Projet de délibération portant diverses modifications du code de l’Environnement de la province Sud (2022) :

Revenons aux Iles Loyauté. Voici qu’une nouvelle mouture de ce code confère un statut « d’entité naturelle juridique » aux tortues et aux requins :

  • Article 110-3. « Le principe unitaire de vie qui signifie que l’homme appartient à l’environnement naturel qui l’entoure et conçoit son identité dans les éléments de cet environnement naturel constitue le principe fondateur de la société kanak. Afin de tenir compte de cette conception de la vie et de l’organisation sociale kanak, certains éléments de la Nature pourront se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. »
  • Article 242-16. « Sur le territoire de la province des îles Loyauté, en application du principe unitaire de vie édicté à l’article 110-3 et afin de tenir compte de la valeur coutumière dans la culture kanak, les éléments de la nature, espèces vivantes et sites naturels énumérés à l’article 242-17 se voient reconnaître la qualité d’entité naturelle sujet de droits. Des droits fondamentaux leur sont reconnus. Elles n’ont pas de devoirs. Ni les entités naturelles sujets de droit, ni leur porte-parole, ni la province des îles Loyauté ne peuvent être tenus responsables d’éventuels dommages qu’elles pourraient causer. » « Chaque entité naturelle sujet de droit dispose d’un intérêt à agir, exercé en son nom par le président de la province des îles Loyauté, par un ou plusieurs porte-paroles, conformément aux articles 242-22 et 242-23, par les associations agréées pour la protection de l’environnement et les groupements particuliers de droit local à vocation environnementale dont il est fait mention aux articles 124-1 à 124-3 du présent Code. »
  • Article 242-17. « Les requins et les tortues marines sont des entités naturelles sujets de droit au sens de la présente section. D’autres éléments du vivant ainsi que des sites et monuments naturels pourront être reconnus comme entités naturelles sujets de droit par l’assemblée de la province des îles Loyauté au titre de la présente section, sur proposition d’autorités coutumières par acte coutumier, de GDPL à vocation environnementale ou à l’initiative du président de l’assemblée de province après avis des autorités coutumières. »

 

Le texte de la délibération a été publié au Journal Officiel de Nouvelle-Calédonie (n° 10602 du 18 juillet 2023, pages 14809 et suivantes – en particulier la page 14818 pour la personnalité juridique des requins et tortues) lien https://juridoc.gouv.nc/JuriDoc/JdJonc.nsf/0/495ACCC0E0ED07F24B2589F000190E3D/$File/10602.pdf?OpenElement

 

 

 

Voir aussi les pages 40 et 41 de cette publication de la province des Iles Loyauté :

 

Reste à savoir si ce document (fait avec le soutien de la structure publique nationale qu’est l’IRD, comme pour la mouture précédente) sera légal ou non…

Il ne me semble y avoir, pour cette délibération, aucun risque d’inconventionnalité (i.e. de contradiction avec les conventions internationales, comme pour la censure précédente).

Mais est-ce conforme avec le minimum de droit national qui s’applique sur place et qui tout de même limite la liste de qui peut être sujet de droit ?

A suivre, pour le cas où requins et tortues, sortis des lagons pour enrichir des délibérations, viendraient à occuper aussi, ensuite, les prétoires…

Crédits : coll. personnelle (EL – MU 2023)