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Aide ou action sociale, logement, chômage… Extension du domaine du plein contentieux

Nos divers blogs ont souvent commenté le big-bang qui a fait exploser la galaxie étrange des contentieux sociaux au premier janvier dernier. Voir :

 

Le Conseil d’Etat vient, par 4 décisions, de préciser le mode d’emploi de cette réforme déjà fort complexe.  Avec une extension du généraliser le régime des recours de plein contentieux aux requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi.

Voyons ce qui change avec ces décisions (I), avant que de rappeler au passage la réforme applicable depuis le premier janvier 2019.

 

 

I. L’apport des 4 arrêts du Conseil d’Etat en date du 3 juin 2019 : extension du domaine du plein contentieux

 

Par 4 arrêts rendus le 3 juin 2019, le Conseil d’État a décidé de généraliser le régime des recours de plein contentieux aux requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi (ce qui reprend les positions du CE antérieures en matière d’indu : CE, 16 décembre 2016, n° 389642).

Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d’une personne en matière d’aide ou d’action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d’emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient donc au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice administrative (CJA). Ce point est nettement exposé par l’arrêt n° 423001.

Au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l’intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement.

Il en va de même lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d’un indu d’une prestation ou d’une allocation versée au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi. En ce cas, en tant que juge de plein contentieux, le juge devra notamment examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d’être accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre décision (voir sur ce point l’arrêt n°415040).

Cela s’applique aussi pour les cas de refus de prise en charge d’un jeune majeur par l’ASE (voir l’arrêt n°419903 ; voir aussi ici). En pareil cas, le juge va donc apprécier s’il lui appartient d’annuler, s’il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l’intéressé s’il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu’un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l’action sociale et des familles (CASF) relatives à la protection de l’enfance et en renvoyant l’intéressé devant l’administration afin qu’elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement.

Le Conseil d’Etat l’a aussi appliqué (affaire n° 419903) aux recours portant sur une demande de carte de stationnement pour personnes handicapées ou de carte mobilité inclusion mention stationnement pour personnes handicapées.

 

Citons la remarquable phrase de synthèse de M. Jean-Marc Pastor dans le Dalloz actualités (voir ici) :

« Le justiciable prime sur l’acte »

« […] en étendant le plein contentieux subjectif, le juge administratif statue alors directement sur les droits du requérant […], sans s’intéresser aux « vices propres » de la décision de refus […] »

 

Voir ces arrêts à publier au rec. en intégral :

 

 

C’est donc une extension du domaine de la lutte, mais non plus en REP, mais en plein contentieux, qui est opérée. Un auteur célèbre a déjà décidé d’écrire à ce sujet :

 

Enthousiasmant, non ? Voici par exemple la réaction passionnée d’un administrativiste bien connu découvrant ce nouvel arrêt :

Source : Wikipedia.

 

 

II. Rappel au passage : la réforme applicable au premier janvier 2019

 

II.A. Economie générale de la réforme

 

L’article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXe siècle avait profondément remanié l’organisation juridictionnelle du traitement des contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale.

Ainsi, aux termes de cette réforme passée sous le quinquennat de F. Hollande :

 

Voici un schéma réalisé à cet effet par le Ministère :

 

Soit pour la partie judiciaire :

 

 

Cette réforme a requis nombre de textes d’application, qui sont autant de prétextes pour décortiquer certains détails de cette réforme qui est donc entrée en vigueur au premier janvier 2019.  

 

II.B. Le sort des personnels administratifs des juridictions sociales (ordonnance 2018-359 du 16 mai 2018 et décret 2018-360 du 16 mai 2018)

 

Les personnels administratifs des juridictions sociales (TASS etc.) sont passés, aux termes de l’ordonnance 2018-359 du 16 mai 2018, sous la houlette du Ministère de la Justice, prélude à l’intégration pour partie de ces juridictions au sein des TGI de droit commun.

La mue a ensuite été organisée ensuite par deux autres textes qui organisaient ce transfert des personnels administratifs des juridictions sociales au sein du ministère de la Justice, en conséquence de cette réforme.

Il s’agit donc, là encore, d’une étape avant la suppression au 1er janvier 2019 des tribunaux des affaires de sécurité sociale, des tribunaux du contentieux de l’incapacité et des commissions départementales d’aide sociale, qui seront remplacés par la constitution d’une formation collégiale au sein de tribunaux de grande instance spécialement désigné (voir l’article 12 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016).

Voici ces deux textes :

 

 

II.C. L’ordonnance n° 2018-358 du 16 mai 2018 (mise en oeuvre procédurale de la réforme)

 

Plus ample fut l’ordonnance n° 2018-358 du 16 mai 2018 relative au traitement juridictionnel du contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale.

Son article 1er est divisé en trois parties.

L’article 2 :

 

L’article 3 procède aux coordinations nécessaires dans le code rural et de la pêche maritime en modifiant les références aux juridictions supprimées.

L’article 4 rectifie des dispositions du code de l’organisation judiciaire issues de la loi du 18 novembre 2016 précitée en revenant sur des rédactions qui nécessitaient d’être précisées. Est ainsi abrogé l’article L. 218-9 du code de l’organisation judiciaire prévoyant que l’assesseur dûment convoqué qui ne se présente pas est réputé démissionnaire. En effet, celui-ci relève de la procédure disciplinaire de droit commun. Une référence erronée au « tribunal des affaires sociales » est également supprimée. Enfin, le processus de désignation des assesseurs de la cour d’appel spécialement désignée pour connaître du contentieux de la tarification est clarifié. Il précise à ce titre que les assesseurs qui y siégeront seront choisis sur les mêmes listes que les assesseurs des pôles sociaux des tribunaux de grande instance du ressort de ladite cour.

Les articles 5 et 6 modifient les références aux juridictions supprimées dans le code de la santé publique et dans le code du travail.

L’article 7 :

L’article 8 fixe la date d’entrée en vigueur des articles 1er à 6, par référence à l’article 114 précité, date qui ne peut dépasser le 1er janvier 2019.

Voici cette ordonnance no 2018-358 du 16 mai 2018 relative au traitement juridictionnel du contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale (NOR : JUSC1807961R) :

 

Ce mouvement s’est poursuivi avec le décret 2018-772 du 4 septembre 2018 désignant les tribunaux de grande instance et cours d’appel compétents en matière de contentieux général et technique de la sécurité sociale et d’admission à l’aide sociale (NOR : JUSB1820756D).

Comme son nom l’indique, ce décret vise donc à déterminer, à compter du 1er janvier 2019, ceux des tribunaux de grande instance et des cours d’appel qui seront territorialement compétents pour connaître en première instance et en appel des litiges relevant :

 

Voici ce texte :

joe_20180906_0205_0008

 

II.E. Le décret 2018-928 du 29 octobre 2018

 

Puis vint le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale (NOR: JUSC1814381D) consistant en :

Voici ce nouveau texte :

D 2018-928

 

Autre point à souligner : en de nombreux domaines, le recours administratif préalable (RAPO) devient largement obligatoire. Citons sur ce point le Ministère :

« La réforme prévoit aussi d’élargir considérablement les cas de recours préalables obligatoires qui permettront à chaque particulier, avant de saisir la justice, de voir la décision qu’il conteste réexaminée par son auteur, au besoin dans le cadre d’une commission médicale. Cette saisine préalable permet d’organiser un dialogue entre les services publics et leurs usagers, lorsque ceux-ci ne comprennent ou n’admettent pas une décision, afin qu’une solution puisse être trouvée ou les explications nécessaires données avant que le juge ne soit saisi. L’objectif est de faciliter le règlement amiable des litiges. Pour autant, cette procédure n’a aucunement pour effet de priver le demandeur de son droit à saisir le juge.

« Jusqu’ici seules les décisions relevant du contentieux général de la sécurité sociale et les contestations sur l’état d’incapacité permanente résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle faisaient l’objet, avant saisine du TASS, d’un recours préalable devant la commission de recours amiable des organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole.

« Dorénavant, ce recours est étendu au contentieux technique de la sécurité sociale, hors tarification, et aux litiges en matière d’aide sociale. Ainsi, les contestations des décisions relatives à la reconnaissance de l’état ou du degré d’invalidité ou de l’état d’inaptitude ou à l’attribution d’un taux d’incapacité permanente à la suite de la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle devront faire l’objet d’un recours préalable devant une commission médicale de recours amiable, composée de trois médecins. De même, les décisions de la commission des droits de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) devront faire l’objet d’un recours préalable à l’occasion duquel la commission pourra prendre en compte l’évolution de la situation du requérant. »

 

 

II.F. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (clarifications pour le RSA notamment)

 

Puis est intervenu l’article 96 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.

Selon la circulaire CIV/04/2019 de la Chancellerie, en date du 25 mars 2019, (NOR JUSC1909309C), ce texte ne consiste qu’en un toilettage à droit constant :

L’article 96 clarifie à droit constant les conditions de contestation en matière de revenu de solidarité active (I, 1°) ainsi que la compétence du juge judiciaire en matière sociale en présence d’obligés alimentaires (I, 2°).

Mais de nombreux praticiens y ont vu des ajustements pour certains contentieux, le RSA notamment.

 

II.G. le sort des contentieux relatifs aux obligés alimentaires

 

Il n’en demeure pas moins que ces précisions de la loi 2019-222 étaient indispensables pour comprendre ce que le contentieux du RSA allait, pour certaines de ces composantes, devenir, comme l’indique la décision qui a immédiatement suivi cette loi, rendue par le tribunal des conflits (même s’il ne s’agit que de précision, le résumé à Légifrance, probable résumé du recueil Lebon, ayant bien pris soin de mentionner que cette évolution résulte de la loi de 2016 elle-même).

Notamment :

« sont transférés à la juridiction judiciaire les recours des obligés alimentaires contestant les décisions prises par l’Etat ou le département pour obtenir le remboursement des sommes avancées par la collectivité au titre de l’aide sociale, les recours contre les décisions relatives à l’admission à l’aide sociale continuant en revanche de relever de la juridiction administrative même en présence d’obligés alimentaires.»

 

Source :

Tribunal des Conflits, , 08/04/2019, C4154, Publié au recueil Lebon

 

 

 

 

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