L’avocat n’est pas dispensé… d’avocat (mais est-ce compatible avec la CEDH ? Oui selon le CE)

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Un avocat ne peut se représenter lui-même en Justice dans les instances où s’impose le ministère d’avocat…

Cette règle (en théorie bien connue des praticiens, mais pas de ce requérant confrère semble-t-il) vient d’être rappelée par le Conseil d’Etat qui, sur ce point, est au parfait diapason de la position du juge judiciaire, des instances ordinales.. et de ses propres positions antérieures.

Mais ce nouvel arrêt aura les honneurs des tables du recueil Lebon car la Haute Assemblée précise à ce sujet que cette règle ne méconnaît en rien l’article 6 de la CEDH.

Cela peut sembler aller de soi. Sauf qu’à voir une décision antérieure de la CEDH, la question pouvait être débattue. Et le sera peut-être en cas de saisine de la CEDH par l’intéressé. . 


 

 

Qui a dit que le droit était un monde sérieux, voire rabat-joie ? Le monde des avocats sait au contraire faire montre de fantaisies et d’amusements. A preuve cette affaire où un confrère :

  • subit un blâme à titre disciplinaire « à raison d’un manquement de ce dernier à ses obligations de prudence, de délicatesse et de loyauté à l’égard de ses clients », et ce par décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2016
  • estime ensuite que le fait d’avoir subi ce blâme était une faute de l’Etat justifiant sa demande d’une « somme d’un million d’euros en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi à ce titre »
  • n’obtient pas (ô comme c’est bizarre) réparation de ce préjudice devant le TA de Marseille (en 2024)
  • fait appel de ce jugement devant la CAA de Marseille.. et ce sans prendre d’avocat alors que le ministère d’avocat s’impose pour un tel recours

 

Très très fort.

Car la règle selon l’avocat ne peut pas plaider pour lui-même quand s’impose en droit le ministère d’avocat est une règle bien connue (et d’ailleurs si l’avocat plaide pour lui-même quand le ministère d’avocat ne s’impose pas… en recours pour excès de pouvoir par exemple, alors il prendra la parole sans porter sa robe).

Citons en judiciaire :

« Considérant qu’il convient de rappeler que la déclaration d’appel faite au nom de M. B Z et transmise au greffe de la cour le 31 juillet 2013 mentionne qu’il exerce la profession d’avocat et qu’il élit domicile au cabinet de Maître B Z , avocat au barreau de Paris, lequel se constitue pour le sus nommé et déclare interjeter appel ;
Que M. Z, qui s’est ainsi constitué pour lui même, ne peut assurer sa propre représentation, puisque la représentation en justice implique l’existence d’un mandat donné à cet effet à un avocat distinct de la partie représentée ;»
Source : CA Paris, 29 sept. 2015, n° 13/15894. 

NB : de même un salarié, défenseur syndical, partie à une instance prud’homale, ne peut-il pas assurer sa propre représentation en justice devant la chambre sociale de la cour d’appel (Cass. soc., 17 mars 2021, 19-21.349, au Bull.).

Citons devant le juge administratif :

« En vertu tant des dispositions relatives au mandat, résultant du code de justice administrative et du code civil, que du principe d’indépendance de l’avocat, ce dernier doit être une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne sont pas en cause dans l’affaire soumise au juge. Ainsi, un requérant exerçant la profession d’avocat ne peut, dans une instance à laquelle il est personnellement partie, assurer sa propre représentation au titre de l’article R. 431-2 du code de justice administrative.»
Résumé des tables sur CE, 22 mai 2009, n° 301186, au rec.

NB : confirmé ensuite par CE, 10 juillet 2019, n° 417985

Cette question n’est pas à confondre avec celle où le ministère d’avocat s’impose et où c’est en cours d’instance que soudain la partie au procès administratif n’a plus de conseil. Sur cette hypothèse, voir :

 

A peine était-je entré dans cette profession que je croisais un confrère suspendu pour avoir défendu sa mère dans une instance contentieuse… alors se défendre soi-même quand s’impose le ministère d’un avocat… bien sûr que c’est impossible. Tout praticien a connu le risque d’avoir trop d’empathie pour son client au point sans s’en rendre compte de mal voir les arguments adverses possibles, par exemple. Tout avocat est obligé de prendre de la distance par rapport à son client pour retrouver la manière de raisonner qui serait celle d’un juge saisi de l’entier litige.

 

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Bref l’avocat doit être indépendant émotionnellement de son client. Sauf à le desservir. Et sauf à violer son serment.

Car tout avocat a prêté serment « d’exercer [s]es fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » (article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée ; voir aussi le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, notamment son article 3).

L’indépendance est une vertu cardinale de notre profession, ce qui impose de la distance technique et émotionnelle avec le client.

Cette règle n’est pas que nationale.

Bref, cette règle est connue. Ou aurait du l’être. Mais certains se font connaître en ce qu’ils osent tout.

Une chose osée par exemple fut de tenter de poser que cette règle de bon sens, celle de l’indépendance conduisant à ce qu’un avocat prenne… un avocat… quand le droit lui dit de prendre un avocat… pourrait être contraire au droit à un procès équitable, principe posé par l’article 6 de la CEDH.

Enfin… osée… osée. Pas tant que cela.

Car un arrêt de la CEDH au moins pouvait être utilisé à l’appui du requérant. C »est l’arrêt CEDH, 11 février 2014, Maširević c. Serbie, n° 30671/08. Où une application rigide du droit serbe rigide avait interdit à un avocat d’agir en appel contre un de ses clients.  Voir notamment le point 51 dans l’extrait qui suit :

« 49. Turning to the present case, the Court notes that the Supreme Court’s dismissal of the applicant’s appeal on points of law because he was not entitled to lodge it in propria persona (i.e. on his own behalf without being represented by an attorney at law), clearly amounts to an interference with the applicant’s right of access to a court. In so doing, the Supreme Court relied on Article 84 § 2 of the 2004 Act, which entered into force on 23 February 2005 (see paragraphs 25-6 above).
« 50. The Court further notes that the applicant filed his civil claim in 1998 and his appeal on points of law in April 2005. Article 491 § 4 of the 2004 Act provided that, as regards an appeal on points of law lodged in proceedings which had been initiated before the date on which the 2004 Act entered into force, it is the procedural rules which were in force prior to that date which should be applicable. Concerning the question which law should have been applied at the material time and therefore whether the impugned interference was in accordance with domestic law, the Court notes that Article 491 § 4 of the 2004 Act may indeed be open to different interpretations (see paragraph 28 above; see also Momčilović v. Serbia, no. 23103/07, § 31, 2 April 2013). The Court likewise observes that there appears to have been an inconsistency between the Constitutional Court’s and the Supreme Court’s interpretation of the relevant wording of Article 491 § 4 (see paragraphs 28, 7, 14, 17, and 33, in that order). In that regard, the Court reiterates that the authorities should respect and apply domestic legislation in a foreseeable and consistent manner and that the prescribed elements should be sufficiently developed and transparent in practice in order to provide for legal and procedural certainty (see Jovanović v. Serbia, no. 32299/08, § 50, 2 October 2012).
« 51. In any event, even assuming that the Supreme Court had properly applied the 2004 Act, the Court observes that the applicant was himself a practising lawyer qualified to lodge appeals on points of law on behalf of others. In these circumstances, the Supreme Court’s strict interpretation of the domestic law in respect of the applicant’s locus standi precluded a full examination of the merits of his allegations. This barrier imposed on the applicant, therefore, did not serve the aims of legal certainty or the proper administration of justice (see also paragraph 34 above).
« 52. The foregoing considerations are sufficient to enable the Court to conclude that there has been a violation of Article 6 § 1 of the Convention, it being understood that it is not this Court’s task to determine what the actual outcome of the applicant’s appeal on points of law should have been had the Supreme Court accepted to consider it on its merits (see, mutatis mutandis, Vasilescu v. Romania, 22 May 1998, § 39, Reports 1998‑III, and Jovanović v. Serbia, cited above, § 51).»

Mais le Conseil d’Etat rejette, avec une concision qui gagne en élégance ce qu’on y perd en pédagogie… cette argumentation en ces termes :

« un requérant exerçant la profession d’avocat ne peut, en principe, assurer sa propre représentation dans une instance à laquelle il est personnellement partie. D’une part, en effet, la désignation d’un mandataire implique de confier un mandat à un tiers et, d’autre part, l’impossibilité d’assurer sa propre représentation découle de la nécessaire indépendance de l’avocat, laquelle permet d’assurer que les intérêts personnels de celui qui défend et conseille son client ne soient pas en cause dans l’affaire où il intervient comme avocat, concourant ainsi à une bonne administration de la justice sans méconnaître les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.»

 

Sur le fond cela peut sembler aller de soi : un procès équitable au sens de l’article 6 de la CEDH… impose justement pour être bien tenu que soient respectées les règles d’indépendance des conseils des parties, fussent-elles avocates.

Mais à voir la décision antérieure, précitée (CEDH, 11 février 2014, Maširević c. Serbie, n° 30671/08.), de la CEDH, la question pouvait être débattue. Et le sera peut-être en cas de saisine de la CEDH par l’intéressé. . . Ce qui nous donnera encore l’occasion de rire un peu.

Mais bon…. cette histoire pour aussi édifiante et un peu risible qu’elle soit, reste moins comique que celle où un vrai-faux avocat 🥑 avait cru pouvoir plaider pour lui-même devant la CEDH 🤨… au titre d’un contentieux sur… son exercice illégal de la procession d’avocat ? 😂

Source : CEDH, 14 octobre 2021, LH c. France, n° 45340/17

 

Source 

Conseil d’État, 10 novembre 2025, n° 497432, aux tables du recueil Lebon


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