Les règles d’appréciation de l’urgence en référé-suspension relèvent d’une subtile appréciation au cas par cas (I) et, justement, une affaire portant sur une unité d’incinération des ordures ménagères (UIOM) en Corse vient d’illustrer, de manière intéressante (II) cette démarche casuistique du juge des référés.

I. Rappel des règles d’appréciation de l’urgence en référé-suspension
Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »
En outre, il est jugé que (CE, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, Rec. 29 ; CE, 28 mai 2001, Centre hospitalier universitaire de Toulouse hôtel dieu Saint-Jacques, req. n° 230244) :
« la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; qu’il en va ainsi, alors même que cette décision n’aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d’annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire ; qu’il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue »
Il en résulte que l’urgence à suspendre une décision est appréciée selon :
- la gravité de l’atteinte aux intérêts des requérants ;
- le caractère immédiat de cette atteinte.
Il est constant que « l’urgence s’apprécie objectivement et globalement » (voir par exemple CE, S., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes c/ SEA, rec. p. 109) notamment dans l’appréciation de la prise en considération de l’ensemble des intérêts en présence.
… avec donc une appréciation au cas par cas qui impose aux avocats et autres parties de déployer des faits de manière ordonnée, convaincante, pas trop surabondante… et surtout très, très tactique.
Cette appréciation opérée de manière casuistique par le juge est globale : celui-ci prend en compte aussi, dans l’appréciation de l’urgence, « l’intérêt public qui s’attache à l’exécution immédiate » de l’acte querellé (voir CE, 5 novembre 2001, Commune du Cannet des Maures, n° 234396, rec p. 540 ; dans le même sens voir CE, Ord., 13 septembre 2001, Fed. CFDT des synd. de Banques, rec. p. 422…).
Pour une illustration amusante, où l’urgence s’agissant de l’éviction d’un élu… est que celui-ci ne revienne surtout pas : voir TA Nouvelle-Calédonie, ord., 16 mars 2023, n°2300096.
Enfin, pour apprécier si la condition d’urgence est satisfaite, le juge des référés tient notamment compte de la diligence avec laquelle les conclusions visant à la suspension d’une décision ont été introduites (CE, 15 novembre 2005, Société Fiducial Audit et Société Fiducial Expertise, req. n° 286665, Rec. T. 1028) :
« Considérant que lorsque le juge des référés saisi de conclusions tendant à la suspension d’une décision administrative, recherche si la condition d’urgence est remplie, il lui appartient de rapprocher d’une part, les motifs invoqués par les requérants pour soutenir qu’il est satisfait à cette condition et, d’autre part, la diligence avec laquelle ils ont, par ailleurs, introduit ces conclusions ».

II. Intéressante application en Corse pour une UIOM
Le juge des référés du tribunal administratif de Bastia vient dans ce cadre de rejeter la demande de suspension du permis de construire un centre de tri et de valorisation de déchets ménagers non dangereux délivré par le maire de Monte au Syvadec.
Une telle unité d’incinération des ordures ménagères (UIOM), pour recourir aux vocables historiques, n’est jamais dotée d’un emplacement exempt de polémiques et autres manifestation du syndrôme NYMBI.
En l’espèce, ladite localisation était-elle judicieuse ? Ce point est discuté : voir à ce sujet la position de Localtis, ici.
Mais ce qui intéressera techniquement le juriste, c’est le fait que le juge des référés a estimé que la condition d’urgence n’était pas remplie dans la mesure où le projet de centre de tri et de valorisation de déchets présente un intérêt public et que l’exécution de ce projet ne porte pas atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation des requérants ou aux intérêts qu’ils entendent défendre :
« 5. Les requérants font valoir que l’exécution du permis litigieux, située sur une parcelle présentant un fort potentiel agronomique, va entrainer des atteintes à la biodiversité et des pollutions par le transport des déchets et la perspective de leur incinération, ainsi qu’un coût excessif, alors que des alternatives à l’incinération des déchets existent. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier que, si le projet de centre de tri et de valorisation de déchets ménagers non dangereux litigieux, situé au sein des espaces stratégiques agricoles tels que délimités par le PADDUC, s’implante sur un terrain d’une surface de cinq hectares, dont près de 70 % seront artificialisés, il s’inscrit, d’une part, dans le cadre du plan territorial de prévention et de gestion des déchets de Corse, approuvé par l’Assemblée de Corse le 25 juillet 2024, visant à créer un ou deux centres de tri des déchets ménagers et assimilés reposant sur la réalisation de combustible solide de récupération et, d’autre part, dans un contexte de risque d’arrêt de la collecte des déchets ménagers à la fin de chaque été, conduisant les préfets de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud à prendre simultanément, le 17 juillet 2023 puis le 10 juillet 2024, des arrêtés de réquisition des deux seuls centres d’enfouissement des déchets ménagers non dangereux existants en Corse, afin d’augmenter leur capacité de traitement de ces déchets. Dès lors l’exécution de l’arrêté du maire de Monte autorisant la création d’un centre de tri et de valorisation de déchets provenant des territoires de 14 intercommunalités situées en Corse, doit être regardée comme présentant un intérêt public. En outre, s’il ressort des avis rendus respectivement par la mission régionale d’autorité environnementale et par le conseil national de la protection de la nature, les 6 août 2024 et 27 septembre 2024, que la réalisation de cette installation va entraîner la destruction d’espèces floristiques et d’habitats d’espèces protégées, le permis litigieux a été précédé de l’arrêté du 24 février 2025 par lequel le préfet de la Haute-Corse a autorisé le SYVADEC à exploiter le centre de Monte, conduisant d’ores et déjà à l’enlèvement de terre végétale sur le terrain d’assiette du projet. Ainsi, alors qu’il est constant que ce projet ne prévoit pas, à ce stade, l’incinération de combustible solide de récupération, il n’est pas établi que la réalisation du centre de Monte entraînerait des nuisances et aurait un coût excédant ceux résultant de l’absence de création d’une telle installation. Dès lors, l’exécution du permis litigieux ne porte pas atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation des requérants ou aux intérêts qu’ils entendent défendre, au regard de l’intérêt public s’attachant à la création de ce centre. Il s’ensuit que les éléments apportés en défense sont de nature à renverser la présomption d’urgence prévue par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme.»
Source :
TA Bastia, ord., 18 avril 2025, A Spirata et alii c. Monte et Syvadec, n° 2500506

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