Une affaire néo-calédonienne, certes très spécifique puisqu’il s’agit du cas particulier du président du Sénat Coutumier de Nouvelle-Calédonie, conduit à noter que, pour le juge des référés, il peut y avoir urgence à ne PAS suspendre l’éviction d’un élu qui semait le trouble.
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Il résulte du premier alinéa de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (ci-après CJA) que :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.»
Deux conditions doivent donc être remplies pour qu’il soit fait droit à la requête présentée sur ce fondement :
- une condition d’urgence ;
- l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
La « condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » et exige en conséquence que le « juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, [apprécie] concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue » (CE, Section, 19 janvier 2001, Confédération nationale des Radios libres, rec. p. 29)
Il y a donc à prendre en compte, sur l’urgence :
- l’immédiateté du préjudice
- la gravité du préjudice au sens de l’arrêt « Confédération nationale des Radios libres » précité.
C’est sur ce tout dernier point que la décision du juge des référés du TA de la Nouvelle-Calédonie est intéressante.
Il est constant que « l’urgence s’apprécie objectivement et globalement » (voir par exemple CE, S., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes c/ SEA, rec. p. 109) notamment dans l’appréciation de la prise en considération de l’ensemble des intérêts en présence.
Le juge prend en compte aussi, dans l’appréciation de l’urgence, « l’intérêt public qui s’attache à l’exécution immédiate » de l’acte querellé (voir CE, 5 novembre 2001, Commune du Cannet des Maures, n° 234396, rec p. 540 ; dans le même sens voir CE, Ord., 13 septembre 2001, Fed. CFDT des synd. de Banques, rec. p. 422…).
Et il est assez piquant de voir le juge oser entrer dans le fond des polémiques locales pour noter que franchement, à un certain niveau de bazar créé par un élu, l’urgence n’est pas qu’il revienne… mais qu’il ne revienne pas.
Citons mot pour mot le communiqué du TA, car celui-ci a, à l’évidence, été calculé au trébuchet :
« Par une ordonnance du 16 mars 2023, le juge des référés du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande de suspension, présentée par M. Vhemavhe, de la délibération de l’assemblée générale du sénat coutumier du 17 janvier 2023 le révoquant de sa fonction de président du sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie et nommant M. Gogny en remplacement pour la mandature 2022/2023. Le juge des référés a estimé que la condition d’urgence requise en référé pour suspendre cette décision n’était pas remplie et que cette démission était exécutoire depuis sa publication au journal officiel de la Nouvelle-Calédonie. Il est en effet apparu au cours des débats que le caractère contradictoire des instructions données à l’administration du sénat, par les deux parties conduisait à une situation de blocage de l’institution et que c’était, d’une part l’attitude même de M. Vhemavhe qui faisait obstacle au bon fonctionnement de celle-ci, et d’autre part, l’opposition d’une très large majorité de ses pairs à son retour à la présidence, ainsi qu’à toute décision que prendrait M. Vhemavhe, opposition réitérée lors de l’assemblée générale du 24 février 2023. Il y avait donc urgence à ne pas suspendre la décision de révocation de M. Vhemavhe afin que le sénat coutumier retrouve rapidement un fonctionnement normal.»
Sur le fond du dossier, voir :
- https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/senat-coutumier-hugues-vhemavhe-ne-retrouvera-pas-son-fauteuil-de-president-1375630.html
- https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/hugues-vhemavhe-devant-le-tribunal-administratif-1375374.html
- https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-sud/noumea/senat-coutumier-hugues-vhemavhe-remplace-par-victor-gogny-a-la-presidence-1365338.html
Bref, l’urgence au sens du référé suspension, n’est pas constituée car l’appréciation de la gravité du préjudice sur ce point conduit plutôt à maintenir l’isolement, l’éviction, du fauteur de troubles !
Pour cet élu du Caillou, on frise la lapidation médiatisé-juridique.
Voici cette décision :
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