Législatives : il y aura peu de triangulaires et cela pousse aux rapprochements dès avant le 1er tour… Explication juridique

Déjà en 2017 le phénomène avait marqué les observateurs Certains observateurs ou médias s’interrogeaient alors et s’inquiètent encore à ce jour  : mais pourquoi si peu de triangulaires et de quadrangulaires ?

En droit la réponse est simple (et elle était la même que celle qui avait conduit à peu de triangulaires aux dernières départementales, au contraire de ce qui se passait pour les régionales, par exemple).

La réponse est à chercher du côté du droit électoral propre aux élections législatives (et à quelques autres élections, les départementales par exemple). 

Je m’explique.

 

I. Conditions pour être élu

 

La plupart du temps, il y a besoin d’un second tour. En effet, l’article L. 126 du Code électoral impose, pour qu’il y ait élection au premier tour, que le candidat ait obtenu :

  • 1° La majorité absolue des suffrages exprimés ;
  • ET
  • 2° Un nombre de suffrages égal au quart du nombre des électeurs inscrits.

Autant dire que cette seconde exigence impose un second tour, même en cas de nette victoire d’un duo de candidats, dès lors que la participation est mauvaise… et il n’est pas certain que la participation soit élevée aux prochaines élections.

Bref, il faut un second tour.

Oui mais pourquoi pas avec des triangulaires ?

J’y viens. Enfin.

Au second tour de scrutin, l’élection a lieu à la majorité relative, quel que soit le nombre des votants. Cela résulte, là encore, de l’article L. 126 du Code électoral.

Pour se qualifier au second tour, les candidats doivent obtenir un nombre de suffrages au moins égal à 12,5% des inscrits dans la circonscription. Cela résulte de l’article L. 162 du Code élecroral qui en son 3e alinéa dispose que :

« Sous réserve des dispositions de l’article L. 163, nul ne peut être candidat au deuxième tour s’il ne s’est présenté au premier tour et s’il n’a obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % du nombre des électeurs »

Précisions :

  • dans le cas où aucun candidat ne remplit ces conditions, les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages au premier tour peuvent se maintenir au second.
  • un candidat ne peut présenter pour le second tour de scrutin un remplaçant autre que celui qu’il avait désigné dans sa déclaration de candidature lors du premier tour.
  • la dérogation de l’article L. 163, évoquée à l’article L. 162 susmentionné, porte sur le cas des candidats qui décèdent postérieurement à l’expiration du délai prévu pour le dépôt des déclarations de candidatures.

 

II. Lien avec le taux de participation, lequel augmente presque constamment depuis plus de 40 ans et les moments où l’élection législative peut entraîner une alternance ne changent que peu cette dégradation civique… avec — donc — à chaque fois une diminution des triangulaires

 

Il faut donc bien souvent obtenir un score équivalant à environ 25% des inscrits pour avoir le droit de participer au second tour si la participation est à 50 %.

Rappelons la montée considérable de l’abstention ces dernières années pour les législatives (les chiffres qui suivent sont ceux de l’abstention, pas de la participation, avec à chaque fois le premier puis le second tour) :

  • 2017 : 51,3 % puis 57,36 %
  • 2012 : 42,78 % puis 44,59 %
  • 2007 : 39,6 % puis 40,0 %
  • 2002 : 35,6 % puis 39,7 %
  • 1997 : 32 % puis 28,9 %
  • 1993 : 30,8 % puis 32,4 %
  • 1988 : 34,3 % puis 30,1 %
  • 1986 : 21,5 % (un seul tour)
  • 1981 : 29,1 % puis 24,9 %
  • 1978 : 16,8 % puis 15,1 %

 

A d’infimes oscillations près, la montée de l’absentionnisme à ces élections est donc nette au delà des stratégies et des affichages des états-majors et l’inversion du calendrier entre élection législative et présidentielle n’a pu qu’accélérer cette évolution (l’élection vraiment la plus importante devançant l’élection législative). A noter pour tous ceux qui traitent d’un éventuel « 3e tour » : même les années où l’élection législative a pu donner lieu à alternance (via les cohabitations), à savoir 1988 et 1993, la participation n’a varié que marginalement.

Revenons à notre droit électoral : une triangulaire n’est donc possible qu’en cas de forte participation (puisqu’il faut alors pour une triangulaire avoir eu 3 candidats ayant eu moins que la majorité absolue mais plus que 12,5 % des inscrits) . Voire une quadrangulaire en cas de participation très massive et de faible éparpillement entre candidats.

Donc en cas de faible participation, surtout s’il y a beaucoup de candidats, l’on ne trouve en général que 0, 1 ou 2 prétendants au Palais Bourbon ayant eu 12,5 % des inscrits à voter pour eux au premier tour. Et donc ce sont les deux finalistes, même en deçà de ce seuil, ET EUX SEULS qui se retrouvent au second tour.

CQFD.

Avec même une précision : 3e, au premier tour, à moins de 12,5 %… c’est une place qui n’ouvre pas au 2nd tour… même si le 2e se désiste (TA Toulouse, 14 juin 2017, n°1702671)

Enfin, on rappellera incidemment l’importance de élections législatives en termes de financement des partis politiques (financement en fonction du nombre de députés, pour moitié à raison de leurs résultats au premier tour des dernières élections législatives avec des règles de calcul un peu complexes ; pour moitié en proportion du nombre de députés pour les parties bénéficiant de la première fraction).

 

III. Conclusions politiquement correcte et coup de gueule incident au delà du politiquement correct

 

Conclusions :

  1. cela explique l’empressement de nombre de partis politiques pour se regrouper même s’il faut, pour cela, aller à Canossa
  2. il y aura donc :
    • soit peu de triangulaires,
    • soit un sursaut en termes de participation

 

Mais supposer un reversement total de tendance en termes de participation est… optimiste quant au sursaut civique de ceux de nos concitoyens qui préfèrent pêcher à la ligne.

Nota bene politiquement incorrect et totalement personnel qui n’engage que moi sur cette image de ceux qui préfèrent pêcher à la ligne… c’est une métaphore datée et aujourd’hui politiquement incorrecte : il faut maintenant s’interroger gravement, avec commisération, sur le mal-être de ceux qui ont perdu le sens civique… ce que je comprends bien et partage en partie en mon for intérieur. Mais pas à 100 % car zut c’est un peu facile aussi de ne pas blâmer les inciviques et de les laisser s’enfermer dans un misérabilisme complaisant… de laisser certains geindre qu’ils n’ont pas de choix citoyen alors qu’on a une offre politique pléthorique de l’extrême-droite à l’extrême gauche en passant par toutes les plus moins grandes modérations ! Derrière le dégoût affiché et « poseur », il y aussi une perte de responsabilité individuelle, faite aussi de flemme, au regard des engagements collectifs ! Donc oui je plaide pour que ne pas aller voter soit un peu compris, mais aussi pour que ce soit stigmatisé comme étant un comportement indigne de l’honneur d’être citoyen. Non mais… Retrouver le goût de l’effort et de la citoyenneté cela passe aussi par la valorisation des engagements civiques (de tous bords et de toutes natures) et symétriquement par la non valorisation des attitudes inverses. 

Y’a plus qu’à voter…