Après une démission ou un décès appeler le suivant de liste… peut parfois imposer de remonter dans la liste

Le Conseil d’Etat vient logiquement de poser que quand on va appeler le suivant de liste, en application de l’article L. 270 du code électoral, dans les communes de mille habitants ou plus… le suivant de liste… c’est le suivant de liste. Même si celui-ci a, alors, une incompatibilité à régler. Et, ce, même si ce suivant de liste a été oublié lors d’une précédente démission (ou décès)… au point que cette personne n’est plus « suivant de liste » dans l’ordre des listes de l’élection municipale et qu’il faut, alors, pour chercher le « suivant  de liste, remonter dans ladite liste. 

Abordons cette nouvelle décision (II) après avoir rappelé les règles de base en ce domaine (I). 

Mairie de Saint-Ambroix (Gard) ; coll. pers. mai 2023

I. Rappel des règles de base en ce domaine pour les communes de mille habitants et plus

 

Le droit a ses mystères insondables qui rapprochent l’art juridique des sciences divinatoires et des inconnues fondamentales de la foi. En voici un exemple. Si un élu d’un sexe donné (H ou F au choix) démissionne et qu’il est adjoint au maire ET élu communautaire ET si en plus sa commune a mille habitants ou plus. Et bien en ce cas :

  • il sera remplacé par le suivant de liste (pas forcément de même sexe donc) au conseil municipal (art. L. 270 du code électoral ; voir par exemple TA Montreuil, 14 octobre 2014, n° 1407011 ; QE JOAN 12/05/2015, p. 3651). Mais ce pourra être un suivant de liste de même sexe si le suivant de liste appelé à siéger se trouve absent, décédé ou inéligible ou s’il choisit une autre fonction ou un autre mandat à la suite d’une incompatibilité.
  • mais depuis la loi engagement et proximité, cet élu, s’il est aussi adjoint au maire, devra être remplacé par un élu de même sexe à ce poste d’adjoint (art. L. 2122-7-2  du CGCT). – voir Conseil d’État, 11 octobre 2022, n° 465799
    (ce n’est qu’en cas de création de nouveau poste d’adjoint au maire que le débat demeure un peu)
  • cela dit, pour le siège au sein du conseil communautaire, l’élu en question sera remplacé par un élu de même sexe sauf si la commune ne dispose que d’un siège au sein de ladite communauté (article L. 273-10 du Code électoral, cette dernière précision venant d’une modification à la loi de 2013 justifiée par le fait que sinon les suivants de la liste au conseil communautaire ne siégeaient pas…. Et encore la situation est-elle en réalité bien plus complexe que cela, notamment depuis la loi GATEL du 26 juin 2023 (voir ici)

Donc :

  • remplacement par une personne de sexe opposé au conseil municipal
  • remplacement par une personne de même sexe pour le poste d’adjoint
  • remplacement par une personne de même sexe pour l’intercommunalité SAUF si la commune n’y déteint qu’un seul siège mais avec quelques complexités
Exemples de bulletins de vote dans des communes de 1.000 habitants ou plus, en 2014 (avec une grande variété d’étiquettes politiques)

Source récente, voir :

N.B. 1 : mais l’ordre des adjoints peut changer et alors respecter la parité, mais pas « le chabada » à l’occasion de nouvelles désignations en cours de mandat. Autre point, il est aussi possible de ne pas remplacer l’élu partant, ce qui peut changer la parité.

N.B. 2 : sur les démissions des suivants de liste par avance, voir ici.

Attention : les règles diffèrent pour les communes de moins de 1 000 habitants. 

Voir à ce sujet une courte vidéo de 3 mn 05 :

 

https://youtu.be/FDbnU5_7IuQ

Et pour l’intercommunalité, voir :

Voici une vidéo, de 11 mn 40, à ce sujet :

https://youtu.be/JzJYnKveh48

 

Voir aussi : Que faire quand la majorité municipale (d’une commune de 1 000 hab. ou +) devient relative ? [VIDEO]

 

 

II. Le nouvel arrêt du Conseil d’Etat

 

En droit on distingue :

  • l’inéligibilité (qui interdit d’être élu ; qui rend illégal l’élection… au moins celle de cette personne)
    Exemple pour les municipales, voir : Elections municipales : quelles sont les principales inéligibilités ? [VIDEO] 
  • l’incompatibilité (la personne peut être élue, mais au lendemain de son élection, celle-ci aura à choisir entre son mandat électif et une autre fonction qu’elle exerce).

 

Le Conseil d’Etat vient logiquement de poser que quand on va appeler le suivant de liste, en application de l’article L. 270 du code électoral (voir I. ci-avant)… le suivant de liste… c’est le suivant de liste. Même si celui-ci a, alors, une incompatibilité à régler. Et, ce, même si ce suivant de liste a été oublié lors d’une précédente démission (ou décès)… au point que cette personne n’est plus « suivant de liste » dans l’ordre des listes de l’élection municipale.

Lorsque le premier candidat non élu d’une liste n’a pas été appelé à remplacer un conseiller municipal de la même liste dont le siège est devenu vacant, quel qu’en soit le motif et notamment si le candidat se trouvait dans l’un des cas d’incompatibilité mentionnés à l’article L. 46-1 du même code, il continue néanmoins d’être regardé comme celui venant immédiatement après le dernier élu de cette liste.

Par suite, il doit, en cette qualité, être appelé à remplacer tout conseiller municipal de la liste dont le siège deviendrait vacant.

En l’espèce, lors des élections municipales, en 2020, de Lanobre (Cantal), commune de plus de 1 000 habitants, la liste conduite par M. B…,  » Lanobre notre priorité « , a obtenu douze sièges sur les quinze que compte ce conseil. Un raz-de-marrée

M. C…, treizième inscrit sur cette liste, était le premier candidat non élu.

Deux conseillers municipaux de cette liste démissionnent en 2022 et… les quatorzième puis quinzième candidats inscrits sur cette liste ont été appelés à les remplacer.
Pas M. C., qui était en 13e position.

Puis interviennent 5 autres démissions, dont deux sur cette même liste. Après le raz-de-marée, le reflux.

Fin 2023, M. C… est enfin appelé à siéger en qualité de conseiller municipal.

Par un jugement du 16 février 2024, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur déféré du préfet du Cantal, annulé la désignation de M. C… en qualité de conseiller municipal. Avec une vision littérale de la notion de suivant de liste. M. C. avait été oublié et/ou non pris en compte en raison d’une incompatibilité donc… donc il n’était plus le « suivant de liste » selon le TA. Voici extrait du jugement du TA avec harmonisation des initiales d’anonymisation :

« 6. Il résulte de l’instruction qu’à la suite de la démission de XX appartenant à la liste […] de son mandat de conseillère municipale, Mme YYY quatorzième inscrite sur la liste et qui n’était pas la candidate suivante sur la liste a été appelée à siéger au conseil municipal de la commune […] à compter du 12 octobre 2022 sans que la proclamation de cette désignation ait fait l’objet d’une contestation. Il en résulte qu’à compter de cette désignation M. C., treizième sur ladite liste, a perdu la qualité de candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu en vertu de l’article L. 270 du code électoral et ne pouvait ainsi plus être appelé à siéger en tant que conseiller municipal.
« 7. Il résulte de ce qui précède que la désignation de M. C. en tant que conseiller municipal de la commune de C le 12 décembre 2023 doit être annulée.»
Source : TA Clermont-Ferrand, ch. 1, 16 févr. 2024, n° 2302965. 

Etait-ce défendable ? OUI certainement car :

  • la notion de « suivant de liste » pouvait être prise à la lettre
  • le fait que Mme C. n’avait pas été appelée à siéger et que nul n’avait attaqué cette décision , faisait que l’on pouvait contester le point de vue selon lequel il fallait revenir en arrière, recomposer en tenant en compte. Les actes pris par une personne dont l’élection est ensuite annulée ne donnent pas lieu, pour schématiser, à exception d’illégalité (extension de la théorie dite du « fonctionnaire de fait » par CE, Ass., 2 décembre 1983, Charbonnel et autres, n° 43541).
    Donc, par extension, la position du TA de Clermont-Ferrand se défendait. Non pas application de la jurisprudence Charbonnel, mais par extension possible de celle-ci.

C’est une position plus prosaïque, moins littérale (puisque pour aller chercher un « suivant de liste » on va donc devoir « remonter » dans la liste), mais aussi plus simple et plus démocratique (on ne plaisante pas avec la légalité de règles de désignation démocratique, surtout que, là, n’entre plus en jeu le principe de sécurité juridique au contraire de ce qui se passe en jurisprudence « Charbonnel»), que vient de poser le Conseil d’Etat, contredisant la position du TA en première instance.

La Haute Assemblée commence par rejeter les conclusions d’appel de la commune, en tant qu’elle se mêle là d’un contentieux électoral qui ne la regarde pas, ce qui le fruit d’une jurisprudence constante en ce domaine (ce qui est conforme à la jurisprudence antérieure de la Haute Assemblée (voir CE, 5 octobre 2005, St Martin de Nigelles, n° 279422, au tables du rec. ; CE, 19 juillet 2017, n° 408295). 

Et, surtout, le Conseil d’Etat pose que :

« lorsque le premier candidat non élu d’une liste n’a pas été appelé à remplacer un conseiller municipal de la même liste dont le siège est devenu vacant, quel qu’en soit le motif et notamment si le candidat se trouvait dans l’un des cas d’incompatibilité mentionnés à l’article L. 46-1 du même code, il continue néanmoins d’être regardé comme celui venant immédiatement après le dernier élu de cette liste. Par suite, il doit, en cette qualité, être appelé à remplacer tout conseiller municipal de la liste dont le siège deviendrait vacant. »

Source :

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 23/05/2024, 492581, aux tables

 


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