Algues vertes : nouveau nouveau nouveau carton rouge

Image par happypixel19 (Pixabay)

La CAA de Nantes a condamné l’État à indemniser les proches d’un habitant des Côtes-d’Armor, décédé dans un estuaire touché par la prolifération des algues vertes (II). Mais rappelons au préalable quelques autres cartons rouges antérieurement décernés par le juge administratif en raison de ces algues vertes (I).

 

I. Quelques-uns des épisodes précédents

 

En 2021, déjà, le TA de Rennes avait enjoint à l’État de renforcer le 6ème programme d’actions régional (PAR) de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates.

Source : TA Rennes, 4 juin 2021, n° 1806391

Quelques jours après, c’était au tour de la  Cour des comptes, sur ce point, d’en remettre une couche (de rapport, que voici ici).

 

Plus récemment, le TA de Rennes a imposé à l’ARS d’inclure certains polluants dans ses classement des eaux de baignade, ce qui était toujours une nouvelle variation autour du même sujet (TA Rennes, 22 juin 2023, n°2104845
puis n°2104686, 2200307 et 2200308).

Puis, plus directement, le même TA a rendu deux nouvelles décisions importantes en ce domaine.

  • L’Etat avait tout d’abord 4 mois pour agir :
    • Statuant sur la requête en exécution de l’association Eau & Rivières de Bretagne, ce tribunal estime insuffisantes, bien qu’allant dans le bon sens, les mesures prises dans l’arrêté du 18 novembre 2021, précité, pour exécuter les injonctions contenues dans son précédent jugement.
      D’abord, ces mesures n’apparaissent pas suffisamment exigeantes en ce qui concerne la définition des seuils de déclenchement des mesures correctrices, ni suffisamment contraignantes par l’effectivité des contrôles prévus, en l’absence, notamment, de baisse significative de la pression azotée admise sur les parcelles et de contrôles suivis d’effets adaptés aux enjeux.
      Ensuite, s’agissant de la mise en œuvre d’actions directement efficaces, l’arrêté se borne à prévoir la mise en place dans un premier temps d’outils d’information, de mesure et de surveillance et non la mise en œuvre immédiate d’actions directement efficaces et précisément définies, applicables de façon impérative et automatique dans l’hypothèse du dépassement de seuils critiques ou d’alerte.

    • Statuant sur la requête de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de Bretagne, du syndicat Jeunes Agriculteurs de Bretagne et de l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne, le tribunal a constaté que l’arrêté du 18 novembre 2021 n’avait pas été précédé de la consultation, pourtant obligatoirement requise par le code de l’environnement, du conseil régional de Bretagne, de la chambre régionale d’agriculture et de l’agence de l’eau. Ce vice de procédure justifiait donc à lui seul l’annulation de cet arrêté, le tribunal n’ayant pas retenu l’argumentaire de fond soutenu par les organismes requérants, tenant au caractère illégal ou manifestement erroné des mesures imposées aux agriculteurs. Il a toutefois estimé qu’une annulation à effet immédiat et à portée rétroactive présenterait des inconvénients excessifs (il y a donc un différé de 4 mois de cette annulation, conformément à la jurisprudence CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC! , n° 255886, rec. p. 197, GAJA 23e éd. 101).
  • et l’Etat s’est vu, en sus, condamné à mettre en œuvre des mesures de réparation en nature des atteintes portées à la biodiversité de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc.
      • Sources : 

 

Puis en ce domaine vint une nouvelle vague de sanctions, en mars 2025.

Saisi de deux recours déposés par l’association Eau & Rivières de Bretagne, le tribunal administratif de Rennes a en effet, à nouveau, reconnu que les mesures mises en œuvre par le préfet de la région Bretagne sont insuffisantes pour lutter contre les échouages d’algues vertes sur le littoral breton.

Le premier recours était dirigé contre le refus du préfet de la région Bretagne de prendre des mesures supplémentaires visant à lutter contre les pollutions causées par les nitrates d’origine agricole ; le second visait à la réparation d’un préjudice écologique résultant de l’insuffisance des mesures prises dans la lutte contre ces pollutions.

La persistance des marées vertes, voire leur augmentation en superficie et en durée, résulte de teneurs en nitrates dans les cours d’eau bretons qui sont supérieures à la valeur de 18 milligrammes par litre fixée par arrêté ministériel.

Au regard des données chiffrées produites, le tribunal constate que la politique publique menée pour lutter contre la prolifération des algues vertes, bien qu’ayant concouru à diminuer la concentration moyenne en nitrates dans les cours d’eau bretons, demeure insuffisante pour réduire durablement le phénomène d’eutrophisation, à l’origine des échouages d’algues vertes sur le littoral. Le préfet de la région Bretagne méconnaît, en cela, les objectifs résultant de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau et de la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre les nitrates de sources agricoles et ceux fixés par les lois et règlements nationaux adoptés pour leur transposition.

Le tribunal enjoint au préfet de la région Bretagne de prendre dans un délai de dix mois toutes les mesures nécessaires pour réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole sur le territoire breton, en se dotant notamment d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées.

Le tribunal retient que les carences constatées dans la lutte contre la prolifération des algues vertes sont de nature à engager la responsabilité de l’Etat et sont à l’origine d’un préjudice écologique qu’il lui appartient de faire cesser. Le préjudice moral invoqué par l’association Eau & Rivières de Bretagne, agréée au titre de la protection de l’environnement, est également reconnu.

Source :

Jugements n° 2204983 et n°2204984 du 13 mars 2025

 

 

 

II. Nouvel épisode, sur le terrain de la responsabilité (pour faute) cette fois (faute de l’Etat ; atténuation pour faute de la victime)

 

Le 8 septembre 2016, un habitant des Côtes-d’Armor, alors âgé de 50 ans, a trouvé la mort alors qu’il pratiquait la course à pied dans l’estuaire du Gouessant, situé sur le territoire de la commune d’Hillion.

Les proches de la victime ont demandé au tribunal administratif de Rennes puis à la CAA de Nantes de condamner la communauté d’agglomération, l’État et la commune d’Hillion à les indemniser des préjudices qu’ils ont subis en raison de ce décès.

La cour a estimé qu’il y avait en effet responsabilité pour faute de l’État, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole. La pollution par les nitrates présents dans les engrais et dans les déjections animales issues de l’élevage constitue en effet la cause principale de la prolifération des algues vertes en Bretagne, ces nitrates comportant des nutriments dont les algues se nourrissent.

La cour estime, en se fondant notamment sur plusieurs pièces qui n’avaient pas été présentées au tribunal administratif de Rennes, que le décès de la victime, qui est survenu instantanément et a été causé par un œdème pulmonaire massif et fulgurant, ne pouvait s’expliquer autrement que par une intoxication mortelle par inhalation d’hydrogène sulfuré à des taux de concentration très élevés, tels que ceux relevés sur le site du décès, lors des investigations réalisées, quelques semaines plus tard, sur réquisition du procureur de la République de Saint-Brieuc.

Cependant, la victime, qui avait l’habitude de pratiquer la course à pied dans cette portion du littoral, connaissait les dangers de l’estuaire du Gouessant. La cour considère donc que la victime a pris des risques en allant dans ce secteur et juge en conséquence que l’État est responsable à hauteur de 60 % seulement des conséquences dommageables du décès. La cour condamne l’État à réparer, dans cette proportion, les préjudices des proches de la victime (préjudices d’affection, préjudice économique et frais d’obsèques).

Source :

CAA Nantes, 24 juin 2025, n° 23NT00199

NB : future étape les recours au pénal pour homicide ou blessure involontaire ?

 

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