Une RIIPM brandie par décret ne permet pas de contourner le droit européen de l’environnement : la dérogation espèces protégées sera bien à fonder au cas par cas ensuite

Comme on le savait depuis mars 2025, un décret ou une loi peut bien, sans méconnaître la Constitution, dire qu’il y a , pour tel ou tel projet, RIIPM (raisons impératives d’intérêt public majeur) fondant tel ou tel projet environnemental.

MAIS le Conseil d’Etat vient de préciser (et c’était le seul moyen en droit pour ne pas alors méconnaître le droit européen) qu’alors ce décret n’est pas en lui-même le texte qui accorde une telle dérogation « espèces protégées » (ce qui signifie d’ailleurs que ce texte n’a pas à être motivé)… et surtout le juge fera alors in concreto un examen au cas par cas du fondement de cette RIIPM au regard de la directive habitats en droit de l’Union européenne.


En mars 2025, le Conseil constitutionnel avait décidé de ne pas censurer pas le principe des fixations de RIIPM (raisons impératives d’intérêt public majeur) en amont du projet concret, et ce par voie décrétale ou législative… ce qui soulevait de nombreuses questions.

source : voir ici notre article et une vidéo, ainsi que cette décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025

Le Conseil d’Etat vient de juger qu’un tel décret qui reconnaît, ainsi, à un projet d’intérêt national majeur une RIIPM, n’a pas pour objet, par lui-même, d’accorder une dérogation, en particulier celle prévue au c du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement relative à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

Il ne peut donc être regardé comme une décision administrative individuelle, dérogeant aux règles générales, qui devrait être motivée en application de l’article L. 211-3 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Et ce décret doit être compatibilité avec la directive « Habitats »… ce qui est la seule possibilité de rendre ce mécanisme conforme en effet au droit européen comme nous le disions dans notre article du printemps dernier, précité.

Avec une application, en l’espèce, validant une telle RIIPM pour un projet d’exploitation du principal gisement de lithium en France, selon un raisonnement ainsi résumé dans les futures tables du rec. :

« Contestation d’un décret qualifiant un projet d’extraction de minerai et d’exploitation d’une mine de lithium, de projet d’intérêt national majeur et reconnaissant qu’il répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). 1) Le décret attaqué fait application des dispositions du I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme et du second alinéa de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement, et n’a pas pour objet, par lui-même, d’accorder une dérogation, en particulier celle prévue au c du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Il ne peut être regardé comme une décision administrative individuelle, dérogeant aux règles générales, qui devrait être motivée en application de l’article L. 211-3 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Par suite, il ne peut être utilement soutenu que le décret attaqué serait illégal comme méconnaissant, faute d’être suffisamment motivé, les dispositions de cet article. 2) L’article 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, qui définit les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent prévoir des dérogations à l’interdiction de destruction des espèces protégées ou de leurs habitats, ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie que le Premier ministre puisse reconnaître qu’un projet répond à une RIIPM en la justifiant, au cas par cas, au regard de son objet et de son importance et sous le contrôle du juge, à l’occasion de l’intervention du décret donnant au projet le caractère de projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, une telle qualification ne dispensant pas le projet concerné du respect des autres conditions prévues à l’article L. 411-2 du code de l’environnement pour la délivrance d’une dérogation. Par suite, les dispositions de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement ne sont pas incompatibles avec les objectifs de la directive 92/43/CEE, et un décret reconnaissant une RIIPM à un projet ne saurait être, pour ce motif, privé de base légale. 3) Ce projet, qui constitue, selon l’atlas des substances critiques et stratégiques du bureau de recherches géologiques et minières, le principal gîte de ce minerai en France, est destiné à permettre la production d’hydroxyde de lithium, pour un volume estimé à 34 000 tonnes pendant une période minimale de vingt-cinq ans. Il devrait ainsi contribuer à atteindre les objectifs nationaux visant à sécuriser l’approvisionnement de la France en lithium, à réduire les importations depuis des pays tiers et à développer la fabrication de batteries électriques nécessaires à la fabrication de produits à forte valeur ajoutée, tels que des ordinateurs portables, des téléphones mobiles ou des véhicules électriques. En outre, ce projet a vocation à contribuer à la mise en oeuvre des politiques de l’Union européenne en matière énergétique et industrielle, la Commission européenne l’ayant notamment reconnu parmi les quarante-sept projets stratégiques qu’elle a retenus pour l’application du règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet en litige ne répondrait pas, au regard des articles L. 411-1, L. 411-2 et L. 411-2-1 du code de l’environnement et de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, à une RIIPM.»

Source : 

Conseil d’État, 30 septembre 2025, Association Préservons la forêt des Colettes, n° 497567, au recueil Lebon

Voir aussi les conclusions de M. Nicolas AGNOUX, Rapporteur public :


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