Disciplinaire : à hauteur de cassation, se confirme un (strict) contrôle de la proportion de la sanction

En matière disciplinaire, qu’il s’agisse des ordres professionnels, des agents voire (comme en matière d’éducation par exemple), le contrôle à hauteur de cassation glisse vers un contrôle de la proportionnalité de la sanction. Un arrêt du Conseil d’Etat vient de le confirmer, dans une affaire qui avait beaucoup ému le monde universitaire, et ce avec force. 

Déjà en 2014, le Conseil d’Etat posait que si le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise (CE, Ass., 30 décembre 2014, n°381245, au recueil) :

 « 19. Considérant que si le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise ;»

Cette formulation s’insère difficilement dans la grille, aussi classique que complexe pour le non spécialiste, des moyens de cassation. A preuve les hésitations des chroniqueurs de l’AJDA issus du Conseil, à l’époque de cette décision. Citons sur ce point les conclusions (très intéressantes) de M. Raphaël Chambon, rapporteur public dans la nouvelle affaire lue le 30 décembre 2022 :

« Dans leur chronique à l’AJDA sur cette décision, Jean Lessi et Louis Dutheillet de Lamothe estimaient que le contrôle institué par cette décision était en quelque sorte un « contrôle intermédiaire entre dénaturation et qualification juridique ». Dans ses conclusions sur votre décision La Poste du 27 février 2015 (n° 376598, au Recueil), Xavier Domino affirmait quant à lui qu’on peut se demander « si la meilleure formule pour rendre compte du contrôle de cassation que la décision B… a consacré ne serait pas celle d’un contrôle de l’erreur manifeste dans la qualification juridique des faits opérée par le juge du fond ».
Sources : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2022-12-30/465304?download_pdf

On ne saurait faire plus tâtonnant.

Mais, précise ou pas, classique ou pas, reste que cette formulation fait peu à peu son chemin. Une preuve en a été donnée en 2018 :

« 4. Considérant qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; que si le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l’appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l’appréciation des juges du fond et n’est susceptible d’être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu’ils ont retenue quant au choix, par l’administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises ;
« 5. Considérant qu’il ressort des termes mêmes de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Lyon a retenu que l’agression sexuelle de deux mineurs âgés de quatorze ans commise, en juin 2011, par M. A…en dehors de son activité d’enseignant, lors d’un stage de plongée sous-marine auquel il participait en qualité d’instructeur, a été reconnue par l’intéressé, qui s’en est excusé auprès des victimes et a entamé un suivi psychologique, tandis que l’expertise psychiatrique a conclu à l’absence de pulsion pédophile et de personnalité perverse ainsi que d’éléments caractérisant un facteur de dangerosité ou un risque de récidive ; que la cour a également relevé que l’intéressé avait continué d’exercer normalement ses fonctions pendant une année, avant d’être suspendu puis sanctionné ; qu’au vu de ces faits constants, la cour a estimé qu’eu égard à la manière de servir de l’intéressé et à sa situation à la date de la décision attaquée, la sanction de mise à la retraite d’office était disproportionnée par rapport à la gravité des fautes commises ;
« 6. Considérant, toutefois, qu’eu égard à l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service, et compte tenu de l’atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l’intéressé, à la réputation du service public de l’éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service, toutes les sanctions moins sévères susceptibles d’être infligées à M. A…en application de l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984 mentionné ci-dessus étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes commises par ce dernier ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de ses pourvois, le ministre de l’éducation nationale est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ; »
 (CE, 18 juillet 2018, 401527, aux tables).

Une preuve éclatante de cette confirmation vient d’être donnée, le 30 décembre 2022, par le Conseil d’Etat dans une affaire qui, dans le monde universitaire, avait suscité de vifs émois.

Dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, des étudiants qui occupaient un amphithéâtre de la faculté de droit de Montpellier dans le cadre d’un mouvement national de protestation, avaient été évacués violemment, notamment par des personnes extérieures à l’université, cagoulées et munies de planches de bois et d’un pistolet à impulsion électrique.

Citons le communiqué du Conseil d’Etat lui-même, dont voici un extrait, que nous ne changeons que pour assurer une anonymisation minimale :

XX, professeur agrégé de droit, affecté à l’université de Montpellier, a participé à ces agissements et a fait à ce titre l’objet de poursuites pénales et de de poursuites disciplinaires.

S’agissant des poursuites disciplinaires, XX a été révoqué par la section disciplinaire du conseil académique de Sorbonne Université et interdit d’exercer toute fonction dans un établissement public. Saisi en appel, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a, le 23 mars 2022, ramené la sanction à une interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur pour une durée de quatre ans avec privation de la totalité de son traitement. Jugeant cette sanction insuffisante, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’université de Montpellier ont saisi le Conseil d’État, qui annule aujourd’hui la décision du CNESER.

Dans sa décision, le Conseil d’État juge que l’instruction confirme la participation de XX aux évènements de la nuit du 22 au 23 mars 2018 et qu’il a lui-même porté des coups. Il relève que pour ces mêmes agissements, le tribunal correctionnel de Montpellier, par un jugement du 2 juillet 2021 (qui fait l’objet d’un appel non encore jugé), a retenu le caractère prémédité des violences en réunion et la participation directe de XX à celles-ci, dans l’université où il exerce comme enseignant-chercheur, alors même qu’il avait déjà fait l’objet par le passé d’une condamnation pénale pour des faits de violences. Le tribunal correctionnel l’a condamné pour ces faits à une peine d’emprisonnement de quatorze mois, dont huit mois avec sursis, assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée d’un an.

Le Conseil d’État rappelle dans sa décision que le code de l’éducation prévoit sept niveaux de sanctions disciplinaires, allant du blâme jusqu’à la révocation, pour les enseignants-chercheurs et membres des corps des personnels enseignants de l’enseignement supérieur ayant commis une faute dans l’exercice de leurs fonctions. Au regard de cette échelle des peines, il estime que la sanction infligée par le CNESER, qui correspond au 5ème niveau de sanction possible, est trop faible par rapport à la gravité des fautes de XX. C’est pourquoi le Conseil d’État renvoie l’affaire devant le CNESER qui devra revoir la sanction à prononcer, les deux autres niveaux de sanctions possibles étant la mise à la retraite d’office ou la révocation. »

Passons rapidement sur les polémistes qui sur Twitter ont réussi à être nombreux à prétendre que la Ministre défendait l’enseignant alors que le recours de l’Etat justement visait à contester la sanction, trop faible pour l’Etat, infligée par le CNESER. Cela prouve juste que des juristes en ligne devrait un peu plus assister à leurs cours en présentiel, maintenant que cela est redevenu possible.

Mais attardons nous sur le fait que, et ce communiqué en témoigne, le contrôle de cassation est en ce domaine étendu à un contrôle de proportionnalité qui ressemble à celui que fait… le juge du fond en matière de pouvoirs de police, avec juste une maille plus grosse.

Source :

Conseil d’État, 30 décembre 2022, n° 465304