La jurisprudence Thalamy ne s’étend pas aux permis de construire modificatifs (refus de la part du fait accompli pour les constructeurs)

Urbanisme et modification d’un projet en cours d’exécution : l’autorité compétente ne peut exiger du pétitionnaire que sa demande de permis modificatif porte également sur d’autres travaux irréguliers.

La jurisprudence Thalamy ne s’étend donc pas aux permis de construire modificatifs. Ainsi peut-on utiliser d’abord tout l’arsenal contre les constructions irrégulières, éviter la politique du fait accompli et — pour partie — éviter d’être victimes d’une politique du fait accompli de la part des constructeurs… 


 

Selon une jurisprudence classique (CE, 9 juillet 1986 Mme Thalamy, n° 51172, rec. p. 201, AJDA 1986 p. 648, concl. S. Fornacciari), lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, le propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux doit présenter une « demande portant sur l’ensemble des éléments de construction qui ont eu ou qui auront pour effet de transformer le bâtiment tel qu’il avait été autorisé par le permis primitif ».
Cette jurisprudence Thalamy a connu une belle postérité, et quelques atténuations.

Au total, lorsqu’un propriétaire désire exécuter des travaux sur une construction qui est déjà irrégulière, sa demande d’autorisation doit porter sur l’ensemble du bâtiment et ce,  dans le but de régulariser la totalité de la construction. Si la demande ne porte que sur les nouveaux travaux qui sont envisagés, l’administration doit refuser leur autorisation. Et si elle accorde celle-ci, sa décision sera irrégulière au motif que la demande du pétitionnaire ne portait pas sur l’ensemble de la construction.

Les propriétaires de constructions édifiées de façon irrégulière sont donc prévenus : s’ils souhaitent effectuer de nouveaux travaux sur leur bien, ils doivent obtenir une autorisation portant sur l’ensemble du bâtiment et non sur leur seul projet et, en cas de contentieux, aucune mansuétude ne pourra leur être appliquée… sans que la voie de la régularisation ou de l’annulation partielle soit ouverte :

« Toutefois, lorsque l’autorité administrative, saisie dans les conditions mentionnées au point 2 d’une demande ne portant pas sur l’ensemble des éléments qui devaient lui être soumis, a illégalement accordé l’autorisation de construire qui lui était demandée au lieu de refuser de la délivrer et de se borner à inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble des éléments ayant modifié ou modifiant la construction par rapport à ce qui avait été initialement autorisé, cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ou d’une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même code« .

Source : CE, 6 octobre 2021, Société Marésias, req., n° 442182

Nb : voir les très nombreux articles de N. Polubocsko sur le présent blog à ce sujet .

 

Or, voici que le Conseil d’Etat a eu à répondre à une question simple, ainsi formulée par son rapporteur public :

« Faut-il appliquer la jurisprudence [Thalamy] au permis de construire modificatif ? »
Et à cette question, le Conseil d’Etat a répondu par la négative.
Le rapporteur public expose ainsi les inconvénients de ce qu’aurait été la solution inverse (mais il ne s’agit là que d’une phrase de conclusion ; j’invite vraiment les lecteurs à se plonger dans les conclusions en leur intégralité, voir le lien ci-dessous en fin d’article) :
« Il ne nous apparaît donc pas opportun d’étendre T… au permis modificatif, car l’autorité publique dispose, pour les travaux en cours irréguliers, de la voie judiciaire (pénale et mesures de restitution) et, dans le droit aujourd’hui en vigueur, de la voie administrative (mise en demeure sous astreinte) pour assurer la conformité des constructions au droit de l’urbanisme, soit que les travaux soient corrigés, soit que l’autorisation soit modifiée. Et une fois les travaux terminés, qu’il y ait eu ou non des contrôles au cours des travaux, l’administration procède au récolement final […] Si jamais la construction n’est pas régulière malgré ces procédures, arrive alors la jurisprudence T… qui bloque tous nouveaux travaux, dans la limite de la prescription décennale, en l’absence de régularisation de l’ensemble. La jurisprudence T… fonctionne ainsi comme un dernier rempart, salutaire car elle a vocation à dissuader les constructeurs de jouer la carte du fait accompli. […] ».
Dès lors, la CAA qui avait accepté cette extension de la jurisprudence Thalamy dans l’affaire ainsi résumée par le  Conseil d’Etat, voit in fine cette position censurée :
« 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 12 septembre 2017, le maire de Dijon a délivré à M. A… un permis de construire en vue de la surélévation et de l’extension d’une maison. Par un arrêté du 12 mars 2018, pris sur le fondement d’un procès-verbal du même jour ayant constaté l’existence d’infractions dans l’exécution du permis de construire, le maire a ordonné l’interruption des travaux. M. A… a alors sollicité un permis de construire modificatif répondant aux infractions relevées dans le procès-verbal, qui lui a été délivré par le maire de Dijon par un arrêté du 27 mars 2019. MM. G… et M. et Mme E… ont demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté et les décisions de rejet de leurs recours gracieux respectifs. Par des jugements n° 1902627 et n° 1902628 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes. Par un arrêt n° 21LY00063, 21LY00064 du 10 novembre 2022, sur appel de MM. G… et de M. et Mme E…, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé les jugements, l’arrêté litigieux et les décisions de rejet des recours gracieux. M. A… se pourvoit en cassation contre cet arrêt.»

Le Conseil d’Etat vient (ce qui suit reprend les formulations des tables) de :

  • confirmer :
    • qu’il  « résulte des articles L. 461-1, L. 461-4, L. 462-1, L. 462-2, L. 480-1 et L. 480-2 du code de l’urbanisme que l’autorité administrative dispose, en cours d’exécution de travaux autorisés par un permis de construire, de la faculté de contrôler le respect de l’autorisation d’urbanisme.»
    • qu’à défaut de la mise en oeuvre de ces pouvoirs de contrôle ou, s’ils ont été mis en oeuvre, du constat d’une irrégularité, « le pétitionnaire doit être considéré comme réalisant les travaux en se conformant à l’autorisation délivrée. »
  • préciser, surtout, que :
    • « L’autorité compétente ne peut pas exiger du pétitionnaire qui envisage de modifier son projet en cours d’exécution, que sa demande de permis modificatif porte également sur d’autres travaux, au motif que ceux-ci auraient été ou seraient réalisés sans respecter le permis de construire précédemment obtenu. Il appartiendrait dans ce cas à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations de dresser procès verbal des infractions à la législation sur les permis de construire dont elle aurait connaissance, procès-verbal transmis sans délai au ministère public. En toute hypothèse, l’administration dispose, en vertu des articles L. 462-1 et L. 462-2, du pouvoir de contrôler la conformité une fois les travaux achevés et d’imposer, à ce stade, la mise en conformité. »

 

N.B. : à comparer, lorsque les travaux portent sur une construction existante irrégulière, avec : CE, 9 juillet 1986, Thalamy , n° 51172, rec.  p. 201 ; CE, 13 décembre 2013, Mme et autres, n° 349081, T. pp. 879-882 ; CE, 6 octobre 2021, Société Maresias, n° 442182, p. 296. Rappr., lorsque l’administration n’a pas remis en cause la conformité à l’achèvement des travaux, CE, 26 novembre 2018, M. , n° 411991, T. pp. 956-961.

Source :

 

 

Conseil d’État, 30 avril 2024, n° 472746, aux tables du recueil Lebon

Voir aussi les éclairantes conclusions de M. Laurent DOMINGO, Rapporteur public :