Durée des concessions autoroutières : la volonté de contrats plus courts

Le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire avait annonçait le 22 mars 2023 en audition à l’Assemblée nationale saisir le Conseil d’État sur la possibilité de raccourcir la durée des concessions autoroutières.

Il existe ainsi à priori une réelle volonté politique de réduire la durée de ces concessions parfois beaucoup trop longues, qui peuvent aller à l’encontre de l’intérêt de l’usager ou du droit de la concurrence.

Avant d’évoquer les difficultés liées à la durée excessive des concessions autoroutières (II.) et des possibles solutions (III), il convient de rappeler le régime applicable à ces contrats (I.)

  1. Le régime applicable aux concessions autoroutières

Le régime applicable à un contrat de concession est codifié dans le Code de la commande publique.

Le contrat de concession permet à un ou plusieurs autorités concédantes de confier l’exécution d’un service ou l’exploitation d’un ouvrage à un opérateur économique à qui est transféré un risque en échange du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service (article L 1121-1 du Code de la commande publique). La société concessionnaire d’autoroute se rémunère donc par des charges imputables aux usagers à travers les péages (voir en ce sens, sur la fixation des tarifs des redevances : l’arrêt de la CJUE du 28 octobre 2020, n° C-321/19).

L’exploitation des autoroutes est donc confiée par contrat de concession par l’État à des opérateurs économiques. Les concessions autoroutières sont donc soumises au Code de la commande publique.

La durée du contrat de concession est limitée puisqu’elle est déterminée par l’autorité concédante « en fonction de la nature du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire » (article L 3114-7 du Code de la commande publique).

Particulièrement pour les contrats de plus de cinq ans, « la durée du contrat ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il amortisse les investissements réalisés pour l’exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l’exécution du contrat » (article R 3114-2 du Code de la commande publique).

Concernant les contrats de concession autoroutière, la convention est accompagnée d’un cahier des charges, tous les deux approuvés par décret en Conseil d’État après avis de de l’Autorité de Régulation des Transports (article L 122-4 du Code de la voirie routière).

Pour apporter modification d’un contrat de concession autoroutière, il est nécessaire de passer par un avenant, toujours approuvé par décret en Conseil d’État.

Plusieurs motifs peuvent venir allonger la durée de ces concessions. Par exemple, et comme l’affirme la Cour des Comptes dans ses observations de 2019, l’État peut accepter de modifier le cahier des charges afin que les sociétés concessionnaires d’autoroutes réalisent des travaux qui n’étaient en principe pas prévus par la convention de concession. L’Etat a déjà accepté par trois fois des modifications entre 2008 et 2019 à travers divers plans de relance et d’investissement.

Le coût des travaux supplémentaires est alors compensé par l’allongement de la durée des concessions.

Pour plus de détails sur le secteur des autoroutes, voir :

Maintenant que le cadre juridique des concessions autoroutières est posé, il convient d’expliquer les enjeux relatifs à la durée très longue de ces contrats.

  1. Les difficultés liées à la durée parfois trop longue des concessions autoroutières

Un contrat de concession autoroutière est par nature de longue durée. Il nécessite donc une adaptation dans le temps long et doit pouvoir être modifié pour s’adapter aux « aux évolutions de son environnement économique, financier ou juridique pendant toute la durée de son exécution »[1].

Les sept concessions historiques, conclues entre 1957 et 1971, sont particulièrement longues, ce qui pose plusieurs difficultés.

L’autorité de régulation des transports explicite ces difficultés dans son rapport sur l’économie des concessions autoroutières[2] :

« 3 contrats successifs ont été conclus pour la concession Escota, en 1957, en 1973 et en 1983, suivis respectivement de 2 avenants, de 4 avenants et de 17 avenants. S’il est possible que certains de ces avenants, pris individuellement, aient représenté́ des montants limités en comparaison des investissements initiaux, force est de constater qu’ils ont été nombreux et peuvent représenter des montants absolus importants.

La passation d’avenants ne constitue cependant pas un contexte propice à une négociation favorable aux usagers. Par construction, le prestataire en place est alors incontournable, si bien qu’il dispose d’un pouvoir de marché susceptible de lui procurer une rente, au détriment des usagers et de l’utilité́ collective.

Avec des contrats plus courts, les usagers bénéficieraient davantage des garde-fous de la concurrence. Le meilleur moyen de réduire la rente du titulaire du contrat est d’éviter les situations de négociation asymétriques. Avec des contrats plus courts, la réponse aux nouveaux besoins identifies passerait plus souvent par l’attribution de nouveaux contrats à l’issue d’un appel d’offres. »

Le rapport démontre également que la durée de ces concessions a sensiblement augmenté depuis leur origine. Elles ont été allongées de 34 ans en moyenne[3].

Qui plus est, les chiffres du rapport reflètent que plus la concession est datée, plus sa durée est importante : les pouvoirs publics se sont alors emparé de cette problématique pour palier à ces durées de concessions autoroutières trop excessives.

  • Des solutions pour réduire la durée des concessions autoroutières

Le Conseil d’État a été saisi le 7 avril 2023 pour avis, rendu le 8 juin 2023 (n°407003), dans lequel il répond à la question de savoir quelles sont les modalités à respecter pour l’État en tant qu’autorité concédante afin de résilier unilatéralement un contrat de concession autoroutière.

Le Conseil d’État, dans cet avis, dispose que :

« 23. (…) la seule circonstance que le concessionnaire ait optimisé le financement de sa dette en raison de taux historiquement bas, voire négatifs, comme cela a été le cas dans la période récente, ou qu’une baisse des coûts de construction et d’entretien, corrélée à une inflation particulièrement faible, lui ait procuré des bénéfices importants, ne pourrait suffire à fonder légalement une résiliation pour motif d’intérêt général, au regard du risque de pertes que le concessionnaire a accepté de courir en contrepartie des possibilités de gains que peut lui procurer une situation économique favorable. »

Cette solution est donc partiellement satisfaisante. Effectivement, l’État pourrait résilier unilatéralement un contrat pour motif d’intérêt général si le concessionnaire obtenait une rémunération déraisonnable au point que la durée convenue dans le contrat ne serait pas justifiée.

Or, le seul fait qu’il y ait eu une baisse des coûts de construction, une inflation particulièrement basse ou un taux très bas ou négatif pour financer la dette ne suffit pas à fonder un motif d’intérêt général pour résilier unilatéralement le contrat.

L’Autorité de régulation des transports, dans son rapport sur l’économie des concessions autoroutières de janvier 2023 précité, a lui aussi tenté de trouver une solution : elle propose un modèle de soulte. Par ce mécanisme, il serait possible de prévoir, à la place d’un contrat long, plusieurs contrats courts correspondants à une fraction de la durée [4].

Cela permettrait alors de répartir les coûts d’investissement entre prestataires successifs et chacun d’eux recevraient une partie des recettes de péage nécessaire à couvrir ces coûts.

Sources :

Avis du Conseil d’État du 8 juin 2023, n°407003 ;

Rapport annuel 2021 de l’ART, La synthèse des comptes des concessions autoroutières ;

Rapport de l’ART sur l’économie des concessions autoroutières, 2ème édition, janvier 2023 ;

CJUE, 28 octobre 2020, n° C-321/19 ;

Observations de la Cour des comptes sur le plan de relance autoroutier, 2019 ;

Avis de l’ART n°14-A-13 ;

Audition au Sénat de Philippe Richert, ancien président par intérim, sur l’avenir des concessions autoroutières ;

Voir aussi :

Sur notre blog :

[1] Rapport annuel 2021 de l’ART, La synthèse des comptes des concessions autoroutières

[2] Rapport de l’ART sur l’économie des concessions autoroutières, 2ème édition, janvier 2023

[3] Ibid

[4] Ibid.  p.123 – p.126

* article rédigé avec la collaboration de Nedjma Ould Braham, juriste