Une condamnation pénale en 1e instance, avec exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité… entraîne-t-elle la perte immédiate d’un mandat au Parlement européen ?

 

Mise à jour au 19 octobre 2025, cliquer sur le lien ci-dessous :

Une condamnation pénale en 1e instance, avec exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité… entraîne-t-elle la perte immédiate d’un mandat au Parlement européen ? 

 

 

 

 

 

 

Selon un avis (non contentieux) du CE : non. 


 

Un élu local condamné à de l’inéligibilité en première instance par le juge pénal, va perdre ses mandats locaux et faire l’objet d’un arrêté de démission d’office par le préfet… et ce même si cet élu local forme appel, du moins si le juge pénal de première instance a prononcé l’exécution provisoire de cette sanction d’inéligibilité.

Alors que pour les parlementaires nationaux, ce n’est que sur la base d’une condamnation pénale définitive qu’il y aura démission d’office.

Soit le tableau suivant :

Voir aussi ici un article détaillé ainsi qu’une vidéo.

 

OUI MAIS… QUID DES ÉLUS AU PARLEMENT EUROPÉEN ?

 

A notre connaissance, en droit français de l’inéligibilité du moins, il n’y a pas de réponse à cette importante question.

La réponse ne viendra en effet pas du droit européen, le Parlement européen devant se contenter de constater la vacance du siège, le reste relevant du droit national (CJUE, 22 décembre 2022, aff. C 115/21 P). Mais bien sûr le Parlement européen est fondé à se faire restituer d’éventuelles sommes indûment versées par lui, au titre de ces infractions, mais c’est un autre sujet (pour le cas de feu M. J.-M. Le Pen, voir ici).

Or, la question va se  poser en droit français, puisque par un jugement n° 15083000886 du 31 mars 2025, notifié au Gouvernement le 28 avril 2025, le tribunal judiciaire de Paris (11e chambre correctionnelle – 1ère section) a condamné à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire des représentants au Parlement européen (RN).

Le Gouvernement devait-il constater la déchéance du mandat européen ?

Il a donc demandé son avis (consultatif, non contentieux) au Conseil d’Etat, lequel tend, non sans beaucoup de prudence dans les formulations, à aligner les parlementaires européens non sur le régime des élus locaux, mais sur celui des parlementaires nationaux. Avec un avis qui in fine est clair et net, à la suite d’un raisonnement qui, lui, ne l’est pas :

« 13. Le Conseil d’État observe, d’une part, que les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité des parlementaires européens sont pour l’essentiel les mêmes que celles des parlementaires nationaux (voir point 9), les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 7 juillet 1977 révélant à cet égard que l’intention du législateur était de faire suivre à ces derniers le même régime d’inéligibilités que celui applicable aux députés et aux sénateurs, d’autre part, que, si les textes régissant les conséquences à tirer d’une inéligibilité ne sont pas les mêmes (article L.O. 136 du code électoral pour les parlementaires nationaux et 2e alinéa de l’article 5 de la loi du 7 juillet 1977 pour les parlementaires européens), ils sont rédigés en termes analogues pouvant appeler une lecture identique pour leur application.
14. Dans cette optique, le Conseil d’État souligne que plusieurs éléments lui paraissent justifier que les parlementaires européens soient placés dans une catégorie différente de celle des élus locaux. Les parlementaires européens, représentants des citoyens de l’Union européenne résidant en France (CC, décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003), lesquels relèvent de l’ordre juridique de l’Union européenne, intégré à l’ordre juridique interne en vertu de l’article 88-1 de la Constitution (CC, décision n° 2007 560 DC du 20 décembre 2007), participent au processus législatif lequel est au demeurant articulé par l’article 88-6 de la Constitution avec l’activité du Parlement national, par l’adoption des actes législatifs de l’Union européenne, le plus souvent selon une procédure de codécision avec le Conseil de l’Union européenne, devenue la procédure législative ordinaire depuis le traité de Lisbonne. Ils disposent en outre d’importants pouvoirs de contrôle de la Commission européenne, notamment lors de son investiture ou pour l’adoption d’une motion de censure. Le statut des parlementaires européens tend ainsi à les rapprocher de celui des parlementaires nationaux. Les parlementaires européens jouissent de privilèges et immunités spécifiques en vertu du protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des Communautés européennes. En particulier, ils bénéficient sur leur territoire national, pendant la durée des sessions du Parlement européen, des immunités reconnues aux parlementaires nationaux (article 9 protocole du 8 avril 1965) et ils ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinion ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions (article 8 du même protocole, dont les dispositions sont similaires à celles de l’article 26 de la Constitution concernant les parlementaires nationaux). Le Conseil d’État observe aussi que, alors même que les parlementaires européens ne participent pas à l’exercice de la souveraineté nationale, le Conseil constitutionnel a jugé que ne pouvait être ratifié sans une révision constitutionnelle préalable un traité comportant des clauses transférant à l’Union européenne des compétences affectant les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale dans des domaines ou selon des modalité autres que ceux prévus par les traités mentionnés à l’article 88-2 de la Constitution et modifiant les règles de décision en conférant une fonction décisionnelle au Parlement européen. (CC, décision n° 2004 505 DC du 19 novembre 2004).
15. Au regard de ces éléments, le Conseil d’État estime, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge électoral ou du juge constitutionnel, que le juge électoral saisirait d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la déchéance du mandat d’un représentant au Parlement européen ne peut être prononcée que si la condamnation à une peine d’inéligibilité a acquis un caractère définitif, comme c’est le cas pour les parlementaires nationaux.
16. Il considère en conséquence que le Gouvernement ne peut légalement prendre un décret prononçant la déchéance du mandat d’un parlementaire européen ayant fait l’objet d’une condamnation à une peine d’inéligibilité déclarée exécutoire par provision tant que cette condamnation n’est pas devenue définitive.

 

L’inéligibilité au Parlement européen attendra donc (les personnes du RN condamnées ayant à notre connaissance formé appel) sauf si d’aventure le Gouvernement venait à ne pas suivre l’avis du Conseil d’Etat… Ce qui n’arrivera pas. D’abord parce qu’un Gouvernement ne brave l’avis de la Haute Assemblée qu’avec une grande modération. Ensuite parce que… sinon le Gouvernement n’eût pas décidé de la publication dudit avis.

 

CE, avis, 19 juin 2025, n°409595

 

 


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