Un professionnel ou un établissement de santé doit apporter , d’apporter la preuve qu’il a régulièrement délivré l’information sur l’état de santé d’un patient (I.)… mais le Conseil d’Etat vient de refuser d’appliquer cette règle issue du droit indemnitaire, vers le contentieux disciplinaire, pour ce qui est de l’administration de la preuve (II), ce qui est un revirement partiel de jurisprudence.
La charge de la preuve en disciplinaire, pour les professionnels de santé régis par l’article L. 1111-2 du CSP, répond donc, pour ce qui est de l’obligation d’information du patient, aux règles usuelles (au plaignant de prouver ses dires, quitte à ce que l’on glisse parfois, voire souvent, en réponse à des affirmations un peu péremptoires, vers des inversions en réalité de la charge de ladite preuve).

I. Rappels sommaires sur le régime de l’article L. 1111-2 du CSP
En application de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique (CSP ; cf. aussi l’article R. 4127-35 dudit code ainsi que la convention d’Oviedo), le patient doit être informé des risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comporte une intervention chirurgicale ainsi que sur les autres solutions thérapeutiques possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.
Et, pour résumer, la charge de la preuve incombe alors pour l’essentiel au professionnel (ou à à l’établissement) de santé. Citons sur ce point le 2e alinéa du IV. de cet article L. 1111-2 du CSP :
« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.»
Toute aussi classique est la règle selon laquelle cette information doit en principe être délivrée par le médecin ou l’équipe médicale chargée de cette intervention, dans un délai suffisant pour permettre au patient de donner, de manière éclairée, son consentement à la réalisation de l’acte chirurgical ou d’en refuser la réalisation.
NB : sur l’application de ce régime quand un praticien « apporte » un patient du cadre libéral vers le cadre public, voir Conseil d’État, 6 octobre 2022, n° 446764, à mentionner aux tables du recueil Lebon.
Des règles particulières existent pour les :
- mineurs
- majeurs protégés
- personnes préférant rester dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic (choix qui doit être respecté sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission).
En cas de dommage lié à la réalisation d’un risque qui n’a, en méconnaissance de l’obligation d’information fixée à l’article L. 1111-2 du code de la santé publique (CSP), pas été porté à la connaissance du patient, aucune indemnisation au titre de la perte de chance n’est accordée s’il résulte de l’instruction, compte tenu de ce qu’était l’état de santé du patient et son évolution prévisible en l’absence de réalisation de l’acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu’il aurait fait, qu’informé de la nature et de l’importance de ce risque, il aurait consenti à l’acte en question.
Certes l’article L. 1111-2 du code de la santé publique (CSP) impose-t-il que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l’accomplissement d’un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
En cas de manquement à cette obligation d’information, si l’acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s’il a été réalisé conformément aux règles de l’art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n’a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l’établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l’opération.
Toutefois, il en va, en effet, autrement s’il résulte de l’instruction, compte tenu de ce qu’était l’état de santé du patient et son évolution prévisible en l’absence de réalisation de l’acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu’il aurait fait, qu’informé de la nature et de l’importance de ce risque, il aurait consenti à l’acte en question. Ce qui revient à présumer ce qu’aurait été le choix…
Source : CE, Section, 20 novembre 2020, Mme V…, n° 419778, A.
Le juge de cassation laisse ce point à l’appréciation souveraine des juges du fond, sous réserve de dénaturation.
Autres sources : sur la portée de cette obligation, CE, 19 octobre 2016, Centre hospitalier d’Issoire et autres, n° 391538, p. 435. (3) Cf. Section, 5 janvier 2000, Consorts , n° 181899, p. 5. (4) Cf., en précisant, CE, 15 janvier 2001, Mme et autres, n° 184386, T. pp. 1184-1186 ; CE, 11 juillet 2011, M. , n° 328183, T. pp. 1109-1145 ; CE, 24 septembre 2012, Mlle , n° 339285, pt. 3, aux Tables sur un autre point ; CE, 3 février 2016, Mme , n° 376620, T. p. 944. Rappr. Cass. civ. 1ère, 27 novembre 2013, n° 12-27.961, inédit. (5) Rappr. Cass. civ. 1ère, 20 juin 2000, 98-23.046, Bull. civ. I, n° 193. (1) Cf. CE, 11 juillet 2011, M. , n° 328183, T. pp. 1109-1145.
Précisons enfin que, pour le juge, il y a lieu de rechercher si le risque en question ne pouvait advenir QUE par l’effet d’un geste contraire aux bonnes pratiques médicales (CE, 11 mai 2022, n° 439623).

II. Un régime de preuve inapplicable en matière disciplinaire ordinale
En 2015, le Conseil d’Etat avait estimé que le régime de preuve de l’article L. 1111-2 du CSP ne s’appliquait pas en disciplinaire « en l’absence de toute contestation par le patient concerné de la réalité de l’information fournie sur son état de santé » (CE, 18 mars 2015, M. , n° 363985, rec. T. pp. 815-855) .
Il va désormais bien au delà (et c’est donc en creux en revirement de jurisprudence partiel) en posant que cette obligation , pour un professionnel ou un établissement de santé, d’apporter la preuve qu’il a régulièrement délivré l’information sur l’état de santé d’un patient… ne s’applique pas — pour ce qui est donc du régime de la preuve — en matière disciplinaire ordinale.
Citons les futures tables du rec. :
« Il résulte de la lettre même des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique (CSP), dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, en ce qu’elles prévoient qu’il incombe au médecin ou à l’établissement de santé, en cas de litige, d’apporter la preuve que l’information due au patient lui a été délivrée, qu’elles ont vocation à s’appliquer dans les litiges recherchant la responsabilité civile du professionnel de santé ou la responsabilité de l’établissement de santé mais ne trouvent pas à s’appliquer lorsqu’un médecin est poursuivi devant une juridiction disciplinaire de l’ordre des médecins pour un manquement à ses obligations. »
La charge de la preuve en disciplinaire répond donc, pour ce qui est de l’obligation d’information du patient, aux règles usuelles (au plaignant de prouver ses dires, quitte à ce que l’on glisse parfois, voire souvent, en réponse à des affirmations un peu péremptoires, vers des inversions en réalité de la charge de ladite preuve).

En l’espèce, Mme C… a été reçue en consultation par M. B…, médecin spécialiste, qualifié en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique (lequel était notamment célèbre pour avoir pratiqué la première greffe intégrale du visage en France). La greffe autologue qui en résulta a conduit à une plainte 9 ans après, devant l’Ordre.
A hauteur d’appel, le praticien a écopé d’une interdiction d’exercer pendant une durée de deux mois, dont un avec sursis.
Fort de son tout nouveau principe, la Haute Assemblée a jugé en l’espèce que :
« 5. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que, pour juger que M. B… avait méconnu l’obligation résultant de l’article R. 4127-35 du code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a retenu qu’il n’apportait pas la preuve qu’il avait délivré une information suffisante à sa patiente sur le contenu de l’intervention projetée et les risques associés. En statuant ainsi, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, à laquelle il incombait de se prononcer sur un tel manquement en forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, sans mettre à la charge de M. B… le soin de prouver qu’il n’avait pas méconnu son devoir d’information, le régime de preuve institué au dernier alinéa de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique ne s’appliquant pas à une telle instance ainsi qu’il a été dit précédemment, a entaché sa décision d’erreur de droit.
« 6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. B… est fondé à demander l’annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins qu’il attaque.»
L’affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins.
Source :
Voir aussi les conclusions de M. Cyrille BEAUFILS, Rapporteur public :

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