Peut-on rejeter une offre déposée en retard à cause d’un bug de la plateforme dématérialisée ? Doit-on, dans le RC, indiquer les volumes maxima des pièces ?
A l’aide de jurisprudences (TA de Paris, ord., 15 juillet 2025, Société Orthopédie Biomeca Locomotion, n° 2515742 ; Conseil d’État, 23 septembre 2021, RATP, n° 449250)… répondons à ces questions avec E. Landot et E. Karamitrou, en vidéo et sous la forme d’un article.

I. VIDEO (3 mn )

II. ARTICLE
Le TA de Paris vient de rendre une intéressante décision dont il ressort que :
- l’exclusion automatique d’un pli non réceptionné dans le délai doit être évitée en cas de difficulté technique avérée. Une analyse circonstanciée des différentes causes de ces difficultés s’impose.
- l’acheteur doit être en mesure de démontrer que la non-réception d’un pli ne résulte pas d’un défaut de fonctionnement de la plateforme ou d’un manque d’information auprès des candidats.
- surtout, il sera utile aux acheteurs publics de bien indiquer les plafonds de taille des fichiers de leur plate-forme, et ce dès le RC.
Par une ordonnance du 15 juillet 2025 (n° 2515742), le Tribunal administratif de Paris a apporté des précisions bienvenues :
- sur la manière dont l’acheteur public doit traiter une difficulté technique rencontrée par un opérateur économique lors du dépôt de son offre sur une plateforme dématérialisée.
- sur le point de savoir si, dans le RC, on doit, ou non, indiquer les volumes maxima des pièces
Dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ouverte lancée par AP‑HP, un candidat a tenté à plusieurs reprises de déposer son offre par voie électronique, conformément aux exigences du règlement de consultation. En dépit de ces tentatives répétées pour finaliser le dépôt dans les délais, il s’est heurté à un dysfonctionnement technique de la plateforme, l’empêchant d’accomplir valablement cette formalité dans le temps imparti.
L’acheteur, considérant que l’offre n’avait pas été réceptionnée dans le délai limite, a écarté la candidature. La société évincée, mécontente du comportement de l’acheteur public, a saisi le juge des référés.
Le tribunal, a fait droit à ses conclusions en considérant que :
-
le candidat évincé justifiait avoir accompli toutes les diligences requises pour déposer son offre dans le délai ;
-
le dysfonctionnement technique relevait de la responsabilité de la plateforme, et non d’un manquement imputable à la société requérante.
Ce jugement illustre l’exigence d’un équilibre entre la rigueur formelle du respect des délais de remise des plis et le respect du principe d’égal accès à la commande publique.
Le juge administratif rappelle que l’acheteur ne peut valablement rejeter une offre sur le fondement d’un dépassement de délai lorsqu’il est établi que ce dépassement est exclusivement imputable à un dysfonctionnement de la plateforme de dématérialisation, et non à une négligence du soumissionnaire :
« Si l’article R. 2151-5 du code de la commande publique prévoit que les offres reçues hors délai sont éliminées, l’acheteur public ne saurait toutefois rejeter une offre remise par voie électronique comme tardive lorsque le soumissionnaire, qui n’a pu déposer celle-ci dans le délai sur le réseau informatique mentionné à l’article R. 2132-9 du même code, établit, d’une part, qu’il a accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre et, d’autre part, que le fonctionnement de son équipement informatique était normal. »
Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle déjà amorcée, notamment par le Conseil d’État (Conseil d’État, 23 septembre 2021, RATP, n° 449250 ), selon laquelle une erreur ou un blocage technique ne saurait, à elle seule, justifier l’exclusion d’une offre sans examen des circonstances concrètes.
Ce contentieux invite les acheteurs publics à une vigilance accrue dans le traitement des incidents techniques liés aux plateformes de dépôt électronique.
Plusieurs enseignements pratiques en découlent :
-
L’exclusion automatique d’un pli non réceptionné dans le délai doit être évitée en cas de difficulté technique avérée. Une analyse circonstanciée des différentes causes de ces difficultés s’impose.
-
L’acheteur doit être en mesure de démontrer que la non-réception d’un pli ne résulte pas d’un défaut de fonctionnement de la plateforme ou d’un manque d’information auprès des candidats.
SURTOUT il sera utile aux acheteurs publics de bien indiquer les plafonds de taille des fichiers de leur plate-forme, et ce dès le RC. Citons sur ce point la décision du TA :
« 7. Toutefois, les fichiers envoyés par C d’une taille de 1323 Mo dépassaient la taille de 1 Go, acceptée sur la plateforme, ainsi que le reconnaît elle-même l’AP-HP, la société ayant candidaté sur les 19 lots, comme le règlement de la consultation l’y autorisait. La société requérante fait valoir à juste titre que les documents de la consultation, et en particulier le III du règlement de la consultation relatif aux délai et modalités de remise des candidatures et des offres, ne fait aucune mention de la taille des fichiers requis et qu’il en est de même du guide d’utilisation de la plateforme PLACE, dont le lien figure dans le règlement de la consultation. En outre, elle indique qu’elle n’a reçu aucun message de refus de fichier lui signalant que le poids du fichier était supérieur à celui autorisé sur la plateforme (1 Go), comme cela aurait dû être le cas selon une information figurant seulement dans la foire aux questions (FAQ ; frequently asked questions) de la plateforme PLACE.
« 8. Si l’AP-HP fait valoir qu’il incombait au soumissionnaire de faire un test d’envoi, il n’est pas établi qu’un tel test aurait pu permettre de détecter que le fichier final serait trop volumineux. Ensuite, dès lors que les offres déposées par les autres candidats dans le délai imparti étaient toutes d’une taille nettement inférieure à 1 Go, leur bonne réception sur la plateforme PLACE n’est pas de nature à établir que les difficultés invoquées par la société requérante lui seraient imputables. En outre, la société s’est connectée en temps utile à 9h20 pour envoyer son offre électroniquement et a effectué au moins une tentative d’envoi infructueuse à 13h13, soit bien avant 16h. L’AP-HP ne peut sérieusement soutenir que la société pouvait effectuer un envoi en deux fois, comportant d’abord les documents essentiels puis les documents complémentaires. Par ailleurs, elle ne saurait reprocher à la société soumissionnaire de ne pas lui avoir transmis une copie de sauvegarde sous format papier ou électronique (clé USB), dès lors, d’une part, que cette possibilité est réservée aux candidats ayant effectivement envoyé un dossier électronique, et d’autre part, qu’il s’agit en tout état de cause d’une simple faculté ouverte aux candidats et soumissionnaires en application de l’article R. 2132-11 du code de la commande publique, faculté rappelée à l’article III.B.1 du règlement de la consultation relatif aux modalités de remise des candidatures et des offres, l’absence d’un tel dépôt n’étant pas à elle seule de nature à établir l’existence d’une négligence de la société. Enfin, l’AP-HP ne saurait reprocher à la société de ne pas s’être manifestée avant 16h en faisant part de ses difficultés d’envoi, dès lors qu’il n’est pas contesté que lorsqu’elle a tenté une deuxième fois d’envoyer son offre, elle ignorait la raison de l’échec de la première tentative. Dans ces conditions, la société doit être regardée comme ayant accompli en temps utile les diligences normales attendues pour le téléchargement de son offre.
TA de Paris, ord., 15 juillet 2025, Société Orthopédie Biomeca Locomotion, n° 2515742

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