Faut-il vraiment craindre l’absence de clause de révision des prix dans un marché public ? [VIDEO et article]

Nouvelle diffusion 

 

Une décision du Conseil d’État (CE, 15 juillet 2025, n° 494073) vient rappeler les conséquences de l’absence de clause de révision des prix dans un marché public.
Elle confirme, par ailleurs, que le juge du contrat dispose d’un véritable pouvoir d’appréciation pour moduler les pénalités infligées, en tenant compte du comportement des parties.
Voyons ceci avec une vidéo (par Eric Landot & Evangelia Karamitrou) et au fil d’un article (par Evangelia Karamitrou).

 


 

I. VIDEO (3 mn 44)

 

https://youtu.be/Bs1fWZm59Kg

II. ARTICLE

 

Dans le cas d’espèce, une société a conclu avec FranceAgriMer deux marches publics portant sur la fourniture de thon, pour une durée supérieure à trois mois. Le marché ne comportait aucune clause de révision des prix, alors même que le prix du thon est sujet à de fortes fluctuations.

Face à une hausse importante des prix, la société a demandé la révision du prix du marché, refusée par l’acheteur public. Le titulaire a alors partiellement cessé ses livraisons. En réponse, l’administration a appliqué des pénalités contractuelles.
La société a contesté ces pénalités et a soulevé l’irrégularité du marché en raison de l’absence de clause de révision.

 

I. Absence de clause de révision: un vice non constitutif d’annulation

Le juge rappelle tout d’abord que les termes du V de l’article 18 du code des marchés publics, applicable au litige (mais repris en substance à l’article R. 2112-14 du code de la commande publique) imposent l’insertion d’une clause de révision dans les marchés exposés à des variations économiques importantes et dont la durée d’ exécution est supérieure à 3 mois.

Toutefois, le Conseil d’État, précise que cette omission ne constitue pas un vice d’une particulière gravité susceptible d’entraîner l’annulation du marché :

Toutefois, cette illégalité ne constitue pas un vice d’une particulière gravité ni n’entache d’illicéité le contenu de ces contrats. Dès lors, l’illégalité dont ces derniers sont entachés n’est pas de nature à justifier qu’ils soient écartés, ni à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel.

Autrement dit, malgré l’absence de clause obligatoire, le contrat demeure valide, ce qui illustre la volonté du juge de préserver les relations contractuelles.

 

II. Modulation des pénalités par le juge du contrat : un équilibre à trouver

Par la suite, le juge rappelle l’obligaton du cocontractant de l’administration d’assurer l’execution du contrat sauf en cas de force majeure. Ainsi, en cas d’inexécution du contrat, l’acheteur public peut appliquer des pénalités.

Si, la société requérante fait valoir que l’augmentation de 1000 à 1800 euros la tonne du cours mondial du thon Listao entre janvier 2016, lors du dépôt de ses offres, et le 15 février 2017, date limite de livraison fixée par les marchés en litige, a eu pour effet de bouleverser l’économie de ces derniers, justifiant qu’elle cesse de les exécuter et faisant obstacle à ce que des pénalités pour un défaut d’exécution soient mises à sa charge, il ne résulte toutefois pas de l’instruction qu’elle aurait été dans l’impossibilité de surmonter ces circonstances compte tenu des moyens dont elle disposait. Dès lors, cette situation ne présentait pas un caractère d’irrésistibilité de nature à caractériser un cas de force majeure justifiant qu’elle s’abstienne d’exécuter ses obligations contractuelles et faisant obstacle à ce que des pénalités soient mises à sa charge en application des contrats en litige.

Néanmoins, le juge considère que face aux difficultés rencontrées par son cocontractant, et alors même que les marchés ne comportaient pas de clause de révision des prix contrairement aux obligations réglementaires en vigueur, l’acheteur public a refusé toute adaptation contractuelle.

Le juge administratif a estimé que ce refus, dans un contexte d’évènements extérieurs imprévisibles, avait contribué à placer la société dans l’impossibilité de respecter ses engagements.

Cette attitude de l’administration justifie, selon la juridiction, une modération des pénalités contractuelles à hauteur de 50 % :

« En refusant d’envisager toute modification des marchés en litige afin de remédier aux difficultés de livraison rencontrées par la société Nouvelle Laiterie de la Montagne, résultant d’évènements extérieurs et imprévisibles dans leur ampleur, alors que, ainsi qu’il a été dit au point 13, les marchés en litige, dont l’exécution nécessitait le recours à une part importante de matières premières dont le prix était directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux, ne comportaient pas de clause de révision de prix contrairement aux prescriptions des dispositions citées au point 12, ce que la société Nouvelle Laiterie de la Montagne avait d’ailleurs relevé dans le courrier du 25 octobre 2017 qu’elle lui avait adressé, FranceAgriMer a contribué à la placer en situation de ne pas pouvoir respecter ses obligations de livraison. Cette circonstance est de nature à atténuer la gravité de l’inexécution, par la société Nouvelle Laiterie de la Montagne, de ses obligations contractuelles. Dès lors, cette société est fondée à demander la modération, qu’il y a lieu de fixer à 50 %, du montant des pénalités mises à sa charge par les titres exécutoires du 27 novembre 2018 en litige. »

Ce qu’il faut retenir :

  • L’oubli d’une clause de révision ne met pas nécessairement en péril la validité du marché. Toutefois, il est vivement recommandé d’insérer systématiquement une clause de révision dans les marchés d’une durée d’exécution supérieure à trois mois dont la réalisation nécessite le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux.
  • Le juge pourra moduler les pénalités jugées excessives en raison du comportement (fautif) de l’administration lors de l’exécution de son contrat.

 

Cet arrêt est largement confirmatif, mais néanmoins il constitue une intéressante illustration sur ces deux aspects de l’état du droit.

Source :

CE, 15 juillet 2025, n° 494073


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