Caracas arnaque. Paris raque.

La République bolivarienne du Vénézuela 🇻🇪 triche à l’URSSAF et refuse de payer ses dettes. 💶.. Conséquence : c’est à l’Etat 🇫🇷 de passer à la caisse 😢.

Tant mieux pour la victime en l’espèce, à qui le Conseil d’Etat a donné raison.

Cette décision est normale en droit et, même, confirmative (l’apport de ce nouvel arrêt étant surtout sur le fait que le préjudice n’est certain que si le juge de l’exécution a bien été saisi, comme le montre d’ailleurs a contrario une autre affaire concernant, cette fois, le Sri-Lanka).

Mais difficile de ne pas en être un brin chafouin de voir le contribuable français in fine payer pour les fraudes et les inexécutions des décisions de Justice de pays voyous  😡.  

 

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Mme B.. a exercé les fonctions d’employée de service à l’ambassade du Venezuela, à Paris.

Par un jugement définitif, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné la République bolivarienne du Venezuela à lui verser la somme de 66 000 euros en réparation du préjudice résultant de l’absence de droits à pension de retraite du fait de l’absence d’affiliation au régime obligatoire d’assurance-vieillesse, la somme de 15 000 euros à titre d’indemnisation du préjudice moral subi de ce fait, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Bref : la très sociale dictature bolivarienne fraude l’URSSAF et lèse ses petits salariés. Oh, quelle surprise…

Et les grands libertadors oublient de payer la douloureuse aux petites mains qui, autrefois, la servaient. Comme c’est ballot.

Oui mais… mais on ne peut saisir les biens de Caracas, même à Paris.

Enfin… enfin… nuançons.

Les articles L. 111-1, L. 111-1-1 et L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution (CPCE) reprennent en droit interne la règle coutumière du droit public international selon laquelle les Etats bénéficient par principe de l’immunité d’exécution pour les actes qu’ils accomplissent à l’étranger, cette immunité faisant obstacle à la saisie de leurs biens, à l’exception de ceux qui ne se rattachent pas à l’exercice d’une mission de souveraineté.

Donc peut être qu’on aurait pu trouver des biens qui ne se rattachent pas à l’exercice d’une mission de souveraineté. Mais passons… puisqu’on passe crème en ce domaine, en pratique.

NB : c’est en réalité un peu plus subtil que cela. Car il eût fallu un jugement dans ce pays qui n’a plus de justice indépendante, pour en obtenir exécution là bas. En application de l’article L. 111-1-1 du CPCE, les mesures d’exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger, dans les conditions prévues à l’article L. 111-1-2 du même code, que sur autorisation préalable du juge de l’exécution, par une ordonnance rendue sur requête. Dès lors que la loi impose l’intervention préalable du juge de l’exécution, le préjudice résultant de l’impossibilité d’obtenir l’exécution d’un jugement par un Etat étranger ne peut revêtir un caractère certain tant que le juge, qui doit être ainsi saisi, n’a pas constaté qu’aucune des conditions posées à l’article L. 111-1-2, permettant l’exécution forcée, n’est remplie. Mais toute la question est de savoir si l’on n’aurait pas pu envisager une saisie de biens de l’Etat bolivarien du Vénézuela privés en France. 

Reste donc (pour rupture d’égalité devant les charges publiques) à engager la responsabilité de l’Etat français. Nous n’avons pas de rente pétrolière, mais notre démocratie reste gérée, elle, de telle sorte qu’elle peut être généreuse, même pour les fautes d’autrui.

Car c’est un principe constant que la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en raison de l’impossibilité de faire exécuter un jugement par un Etat étranger qui résulterait de ces dispositions, lesquelles n’ont pas entendu exclure toute indemnisation.

Sources : CE, Section, 14 octobre 2011, Mme et autres, n°s 329788 et autres, rec. p. 473 ; CE, Section, 14 octobre 2011, Mme et autres, n°s 329788 et autres, rec. p. 473.

Ce régime est donc confirmé après même la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (Sapin II).

La nouvelle décision du Conseil d’Etat en ce domaine est aussi intéressante en ce qu’elle statue usr le moment où le préjudice peut être considéré comme certain, ce qui, pour la Haute Assemblée, est (logiquement) lié à la saisine du juge pour demander l’autorisation de mettre en oeuvre des mesures d’exécution forcée :

« 6. En premier lieu, en application de l’article L. 111-1-1 du code des procédures civiles d’exécution cité au point 2, les mesures d’exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger, dans les conditions prévues à l’article L. 111-1-2 du même code, que sur autorisation préalable du juge de l’exécution, par une ordonnance rendue sur requête. Dès lors que la loi impose l’intervention préalable du juge de l’exécution, le préjudice résultant de l’impossibilité d’obtenir l’exécution d’un jugement par un Etat étranger ne peut revêtir un caractère certain tant que le juge, qui doit être ainsi saisi, n’a pas constaté qu’aucune des conditions posées à l’article L. 111-1-2, permettant l’exécution forcée, n’est remplie.
« 7. Par suite, en se fondant sur le constat que Mme B… C… avait épuisé les voies de droit devant le juge de l’exécution en vue d’obtenir le recouvrement de sa créance pour juger que son préjudice revêtait un caractère certain, la cour, qui n’avait pas à exiger de la requérante qu’elle apporte en outre la preuve de ce que la République bolivarienne du Vénézuéla ne détiendrait sur le territoire français aucun bien susceptible d’être saisi en application de l’article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d’exécution, n’a pas commis d’erreur de droit.»

Enfin, en l’espèce, pour ce qui est des éléments caractérisant le dommage comme spécial et le préjudice comme grave :

« 8. En deuxième lieu, après avoir relevé que le ministre des affaires étrangères se bornait, pour contester le caractère spécial du préjudice, à invoquer le fait qu’il avait été saisi, entre 2006 et 2020, de quatorze requêtes et cinq recours gracieux préalables similaires à la demande de Mme B… C…, la cour a pu, sans erreur de droit, juger que le faible nombre de victimes d’agissements analogues imputables à des ambassades d’Etats étrangers sur le territoire français permettait de regarder le préjudice subi par Mme B… C… comme présentant un caractère spécial.
« 9. Enfin, contrairement à ce que soutient le pourvoi, la cour n’a pas non plus commis d’erreur de droit en relevant, pour apprécier la gravité du préjudice subi par Mme B… C… eu égard au montant des sommes en cause et à l’âge et la situation de l’intéressée, que ni la circonstance qu’elle aurait tardé à alerter son employeur de son absence d’affiliation à un organisme social, ni le fait qu’elle aurait pu disposer d’éventuelles autres sources de revenus à l’époque de son licenciement n’étaient de nature à ôter au préjudice subi son caractère de gravité.»

 

On s’en réjouira, sur le principe, pour ce qui est du respect de l’égalité devant les charges publiques, d’une part, et en l’espèce pour Mme B… Reste qu’in fine, le contribuable français paye pour le mépris du droit montré par cette dictature aux oripeaux prétendument sociaux. Cela peut agacer un brin…

 

Source :

Conseil d’État, 10 juillet 2023, n° 454276, aux tables du recueil Lebon

 

Voir a contrario pour une personne n’ayant pas encore saisi le juge de l’exécution (et donc, dont la créance n’est pas certaine)… à l’encontre cette fois de République démocratique socialiste du Sri-Lanka, voir :

Conseil d’État, 10 juillet 2023, n° 454277