Quels recours face aux refus de corriger des observations définitives de gestion des CRC ? Avec quel niveau de contrôle ? Et quel contradictoire ? [mise à jour ; nouvel arrêt]

Depuis 1999, et même avant, il était déjà clair que Les observations formulées, même définitivement, par une chambre régionale ou territoriale des comptes sur la gestion d’une collectivité territoriale ou d’un ou plusieurs des établissements, sociétés, groupements et organismes mentionnés aux articles L. 211-4 à 211-6 et L. 211-8 du code des juridictions financières, ne peuvent donner lieu à recours en annulation devant le juge administratif (pas de recours pour excès de pouvoir).. Voir en ce sens, CE, 8 février 1999, Commune de La Ciotat, n° 169047, rec. T. p. 658.  

Mais, même avant 1999, ce point n’était guère douteux.

Il n’en demeure pas moins que la pratique, puis la loi (en 2001), ont consacré l’existence d’un droit de recours pour certaines rectifications.

Avec une portée et des garanties procédurales limitées (I), et une application confirmée au terme d’un intéressant arrêt de la CAA de Marseille (II) qui a délimité de manière très intéressante ce qui relève, ou ne relève pas, de l’office du juge administratif de droit commun en ce domaine. 

A retenir de cette nouvelle décision sur le contrôle par les TA, puis CAA (voire CE), non des rapports définitifs sur les observations de gestion, mais des réponses données à des demandes de rectification à propos de ceux-ci :

  • il est confirmé que cette procédure « peut porter sur une simple erreur matérielle, sur une inexactitude, ou sur l’appréciation à laquelle la chambre régionale des comptes s’est livrée et dont il serait soutenu qu’elle serait erronée » à charge pour la CRC de nouveau saisie « d’examiner l’ensemble des allégations contenues dans la demande de rectification et de leur donner la suite qu’elle estime convenable ».
  • la CRC n’a pas alors à rectifier des points si les pièces justificatives fondant une rectifiation ne lui sont pas fournies par la personne requérante… même si celle-ci fournit ensuite lesdites pièces à l’appui de son contentieux (ce qui normal mais n’épuise pas toutes les questions qu’il est loisible de se poser à ce stade)
  • les pièces à produire alors par le requérant doivent être assez complètes pour permettre un chiffrage
  • dès que l’on est dans la qualification de ces faits, dans l’appréciation portée, le juge administratif de droit commun sera réticent à imposer à la CRC que celle-ci corrige sa copie
  • de même la CRC est-elle assez libre de ses méthodes utilisées 
  • c’est encore plus vrai quand on est dans l’appréciation financière globale ou de choix des indicateurs pris par la Chambre, ou encore de son appréciation quant aux recettes commerciales, incertaines, telles qu’anticipées par la Chambre sur tel ou tel projet. 

 

 

 

I. Ce que l’on savait déjà : un régime limité en portée comme en termes de garanties procédurales

 

L’article L. 243-10 du CJF (code des juridictions financières) est ainsi rédigé :

« La chambre régionale des comptes statue dans les formes prévues aux articles L. 241-1 et L. 243-3 sur toute demande en rectification d’observations définitives sur la gestion qui peut lui être présentée par les dirigeants des personnes morales contrôlées ou toute autre personne nominativement ou explicitement mise en cause.»

Ce recours est à faire devant la CRC en cause (et non devant la Cour des comptes… ce qui eût été plus impartial mais qui aurait trop ressemblé à un appel pour le législateur).

Ce n’est pas en aval du rapport d’observations définitives (ROD) de gestion qu’il y donc possibilité de saisir le juge administratif de droit commun, mais en aval de cette procédure de demande de rectification.

En 2004, le Conseil d’Etat l’a précisé même si nul n’en doutait guère : la CRC, soit refuse d’apporter la rectification demandée, soit ne donne que partiellement satisfaction à la demande, est, quant à elle, susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

Saisi d’un tel recours, le juge administratif :

  • PEUT contrôler la régularité de la procédure suivie
  • PEUT vérifier que la décision contestée ne repose pas sur des faits inexacts et n’est pas entachée d’une méconnaissance, par la chambre régionale, de l’étendue de son pouvoir de rectification.
  • NE PEUT  PAS « en revanche, eu égard à l’objet particulier de la procédure de rectification des observations définitives des chambres régionales des comptes, de se prononcer sur le bien-fondé de la position prise par la chambre en ce qui concerne l’appréciation qu’elle a portée, dans le cadre des attributions qui lui sont données par la loi, sur la gestion de la collectivité ou de l’organisme en cause

Source : CE, S., 15 juillet 2004, 267415, au rec. 

Ce contrôle juridictionnel — qui en termes politiques n’est pas toujours une bonne idée ceci dit en passant — n’en demeure pas moins fort restreint.

Le Conseil d’Etat a ensuite posé que, en l’état du droit alors applicable, le fait de pouvoir présenter des observations et demandes de rectification par écrit, puis oralement lors d’une audition par la CRC, suffisent en la matière  puisqu’en ce domaine les CRC ne statuent pas à titre juridictionnel.

La Haute Assemblée refuse notamment de reconnaître aux demandeurs un droit à communication du rapport du magistrat instruisant sa demande ou des conclusions du procureur financier.

Source : CE, 24 avril 2019, 409270.

 

 

 

II. Un arrêt confirmatif de la CAA de Marseille, avec quelques utiles précisions

 

Or, voici qu’un arrêt de la CAA de Marseille, avec pour partie appelante le maire de la commune d’Istres,  vient d’apporter sa pierre à cet intéressant édifice.

Cet arrêt est totalement confirmatif : nulle nouveauté n’en est à espérer. Mais il est également illustratif d’un type de contentieux rare.

Ce arrêt :

  • confirme que cette procédure « peut porter sur une simple erreur matérielle, sur une inexactitude, ou sur l’appréciation à laquelle la chambre régionale des comptes s’est livrée et dont il serait soutenu qu’elle serait erronée » à charge pour la CRC de nouveau saisie « d’examiner l’ensemble des allégations contenues dans la demande de rectification et de leur donner la suite qu’elle estime convenable ».
  • Mais la CRC n’a pas alors à rectifier des points si les pièces justificatives fondant une rectifiation ne lui sont pas fournies par la personne requérante… même si celle-ci fournit ensuite lesdites pièces à l’appui de son contentieux (ce qui normal : nous sommes en recours pour excès de pouvoir et le juge apprécie la légalitéde l’acte querellé à la date de son adoption ; ceci dit le point de savoir si la pièce aurait été à prendre en compte alors même qu’elle est postérieure à la date du ROD n’est pas tranché par la CAA alors que ce pointmériterad’être explicité au fil d’un contentieux futur) :
    • « 6. En premier lieu, M. B… soutient que le rapport d’observations définitives sur la gestion de la commune d’Istres à compter de l’exercice 2007 est entaché d’une erreur de chiffrage quant à la fiscalité reversée sur l’exercice 2011, en relevant que la dotation de coopération reversée par le syndicat d’agglomération nouvelle (SAN) Ouest-Provence, correspondant à un transfert de fiscalité de ce syndicat à cette commune, avait augmenté de 14,3 millions d’euros, au titre des transferts de compétences, et de 18,3 millions d’euros hors transferts. L’appelant estime que la chambre régionale des comptes de PACA a omis de prendre en compte une hausse de cette dotation de 460 000 euros, à compter de 2011, au titre du transfert à la commune d’Istres des activités d’une association dénommée  » Le Maillon « . Toutefois, en se bornant à produire, pour la première fois, devant le tribunal administratif de Marseille, la délibération n° 614-10 du 21 décembre 2010 par laquelle le comité syndical du SAN Ouest-Provence avait décidé d’augmenter, à compter de l’année 2011, la dotation de coopération de la commune d’Istres d’un montant de 460 000 euros, M. B… ne conteste pas utilement le motif de refus qui lui a été opposé par la chambre régionale des comptes de PACA, dans sa décision contestée du 14 septembre 2018, et qui tient à ce qu’en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 243-21 du code des juridictions financières, il n’avait produit, à l’appui de sa demande de rectification, ni cette délibération, ni aucune autre pièce probante, et qu’ainsi, il soulevait un élément nouveau qui ne pouvait être pris en considération lors du délibéré de la chambre sur les observations définitives. »
  • Et de toute manière, les pièces à produire alors par le requérant doivent être assez complètes pour permettre un chiffrage si, comme souvent, c’es de chiffres que nous parlons :
    • « En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que la seule production de cette délibération du 21 décembre 2010, qui n’est pas accompagnée des justificatifs des virements des crédits afférents, suffirait à établir une quelconque erreur de fait, d’autant qu’ainsi que le rappelle la chambre régionale des comptes intimée, cette dernière s’est fondée, pour établir le montant de la fiscalité reversée figurant dans son rapport d’observations définitives, sur les comptes de gestion approuvés par la commune d’Istres et élaborés par le comptable public. Il suit de là que ce moyen doit être écarté. »
  • la CAA fait une stricte application du fait que le recours peut « peut porter sur une simple erreur matérielle, sur une inexactitude » mais que, dès que l’on est dans la qualification de ces faits, dans l’appréciation portée, le juge administratif de droit commun sera réticent à imposer à la CRC que celle-ci corrige sa copie :
    • « 7. En deuxième lieu, M. B… soutient que la  » segmentation  » de l’analyse financière en deux périodes de gestion, la première, de 2007 à 2011, couvrant le plan de redressement des finances communales, et la seconde, de 2011 à 2015, couvrant la sortie de ce plan, aurait été décidée par la chambre régionale des comptes de PACA afin de présenter  » de façon négative  » et de  » façon erronée  » la situation financière de la commune d’Istres. L’appelant fait également valoir que, dans son rapport litigieux, la chambre régionale des comptes intimée aurait qualifié à tort les ressources d’exploitation de cette commune de  » marginales  » alors qu’elle a considéré que les participations versées par diverses collectivités publiques, comme l’Etat, la région ou le département, étaient  » significatives « . Toutefois, et comme l’ont d’ailleurs relevé à bon droit les premiers juges respectivement aux points 7 et 8 de leur jugement attaqué du 13 juillet 2021, de tels moyens ne peuvent qu’être écartés comme étant inopérants dès lors qu’ils portent sur le bien-fondé des appréciations portées par la chambre régionale des comptes de PACA. En outre, et au vu notamment de la présentation et de la méthode comptable adoptée par l’intimée, M. B… ne démontre pas l’existence d’une inexactitude matérielle, d’une erreur de fait ou encore d’une erreur de droit sur ces points. Ces moyens doivent dès lors également être écartés.»
  • et de même, logiquement d’ailleurs, la CRC est-elle assez libre de ses méthodes utilisées :
    • « 8. En troisième lieu, dans son rapport d’observations définitives sur la gestion de la commune d’Istres à compter de l’exercice 2007, la chambre régionale des comptes de PACA a constaté une augmentation des dépenses de personnel. A cet égard, M. B… soutient que la chambre intimée aurait dû tenir compte, dans son calcul, de la progression de la masse salariale, des charges nouvelles que la commune d’Istres a dû supporter du fait du transfert de certaines compétences jusqu’alors exercées par le SAN Ouest-Provence et du transfert du personnel du centre communal d’action sociale (CCAS). Ce faisant, l’appelant critique inutilement devant le juge administratif la méthode utilisée par la chambre régionale des comptes de PACA et il ressort au demeurant de la lecture des pages 31 et 54 du rapport litigieux que l’intimée a pris en compte ses transferts et qu’elle a retiré des charges totales de personnel les participations versées par l’Etat au titre des contrats aidés. Les pièces produites par M. B… ne démontrant pas que les données chiffrées relatives aux charges du personnel qui sont issues des comptes de gestion et qui ont été prises en compte par la chambre régionale des comptes de PACA seraient erronées, ce moyen doit être écarté. »
      « 9. En quatrième lieu, M. B… persiste à contester devant la Cour la formulation des deux derniers paragraphes de la page 29 du rapport d’observations définitives de la chambre régionale des comptes de PACA, et en particulier, celui aux termes desquels il est écrit que :  » L’ordonnateur minimise ainsi le bénéfice que la commune a retiré des décisions du SANOP en les mettant en balance avec la baisse des dotations de l’Etat qui s’est imposée à l’ensemble des collectivités locales. « . L’appelant reproche à la chambre intimée d’avoir exagéré le bénéfice que la commune d’Istres a retiré des décisions du SAN Ouest-Provence ayant conduit à une hausse de la dotation de compensation, ou fiscalité reversée, de 18,3 millions d’euros hors transfert de compétences. Il ajoute que cette somme de 18,3 millions d’euros ne saurait être regardée comme un abondement hors transfert alors que l’augmentation de la dotation correspond à hauteur de 12,2 millions d’euros à des charges nouvelles pour sa commune. Toutefois, par cette argumentation, la demande de rectification présentée par M. B… a trait à l’appréciation que la chambre régionale des comptes PACA a portée sur le bénéfice retiré par la commune d’Istres de la fiscalité du SAN Ouest-Provence. Or, ainsi qu’il a été déjà dit, une telle critique échappe au contrôle du juge administratif et le moyen afférent doit être écarté comme étant inopérant. Par ailleurs, procédant par affirmation, M. B… n’établit, là encore, aucune inexactitude matérielle entachant le rapport de la chambre régionale des comptes de PACA sur ce point.»
  • et c’est encore plus vrai quand on est dans l’appréciation financière globale ou de choix des indicateurs pris par la Chambre, ou encore de son appréciation quant aux recettes commerciales, incertaines, telles qu’anticipées par la Chambre sur tel ou tel projet (voir à ces sujets les points 10 à 12 de l’arrêt).

 

Les frontières de ce contentieux atypique s’avèrent donc désormais claires. Et les requérants seront bien avisés de ne partir à l’assaut qu’avec des munitions efficaces après avoir soigneusement échangé avec un avocat s’y connaissant en ce domaine… et en prenant soin de ménager la Chambre qui de toute manière viendra tous les 3, 4 ou 5 ans dans la collectivité.

 

Source :

CAA de MARSEILLE, 19 décembre 2023, 21MA03704