La formule « votre bien dévouée » vaut-elle totem d’immunité ? 😅

Source : totem d'immunité - émission télévisée Koh Lanta

Qui se souvient de ce magnifique complot de frappadingues qui, en fin de pandémie, voulaient renverser l’Etat ?

Avec, pour un grand gourou, un pied nickelé, nommé Rémy Daillet-Wiedemann, organisant sa grande révolution (« l’Opération Azur ») depuis la Malaisie.

NB : triste hommage d’extrême-droite à la légion du même nom ?  

On peut sourire. Un amusement qui se fige si l’on souvient que ce sombre personnage est aussi poursuivi pour avoir organisé l’enlèvement de la petite Mia dans les Vosges.

 

Avec que du beau monde : « Cette organisation dans la mouvance de l’ultra-droite séduisait dans le milieu des anti-vaccins, jusqu’à des militants néonazis dans l’est de la France en passant par des survivalistes, complotistes ou gilets jaunes ultras (source Franceinfo ; voir ici]

Après avoir cité FranceInfo, passons au Figaro pour faire bonne mesure :

« le gourou, déjà incarcéré pour le rapt de la petite Mia, a été mis en examen […] pour avoir envisagé des «projets de coups d’État et d’autres actions violentes». Derrière le nom «d’opération Azur», il aurait échafaudé un scénario d’attaque visant directement le palais de l’Élysée […] Près de 300 personnes pourraient avoir gravité autour de ce nébuleux projet »

 

Au nombre des complices, se trouvait une avocate. Mme O… dont, pour citer la Cour de cassation :

« la ligne téléphonique de Mme [O] apparaissait dans différents groupes Whatsapp avec des membres des forces de l’ordre compromis dans I’association de malfaiteurs [Mme O. étant] en particulier membre d’un groupe où était évoqué le plan « Azur », destiné à mener des actions violentes contre les institutions.
[sachant que de plus…] le 19 mai 2021, Mme [O] a indiqué dans un courriel à un membre des forces de l’ordre impliqué dans l’organisation qu’il pouvait compter sur elle pour faire « partie des civils impliqués », mentionnant la nécessité d’agir vite contre la dictature»

Mme O était donc « impliquée » mais elle a ensuite tenté de s’exfiltrer en douceur de ce mauvais pas. En tentant de se draper derrière sa robe d’avocate.

La Cour de cassation, dans cette affaire, rappelle en ces termes les règles applicables en ce domaine :

« 14. Selon le deuxième alinéa de l’article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.

« 15. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions n’ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d’une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Cons. Const., 19 janvier 2023, décision n° 2022-1030 QPC).

« 16. Par ailleurs, le secret professionnel de l’avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d’établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale (Crim., 14 janvier 2003, pourvoi n° 02-87.062, Bull. crim. 2003, n° 6).»

Mme O a donc tenté de faire invalider la perquisition dont elle a été l’objet en se prétendant avocate du véritable branquignol qu’est ce supposé kidnappeur / gourou / complotiste.

Il fallait, à cet effet, prétendre que nous n’étions pas dans la commission d’une infraction, mais dans un échange entre l’avocate, Mme O, et le dingo, son supposé client (et non complice).

Mission impossible ? Un peu mais bon l’avocat de l’avocate sort son va-tout : « si… si… c’était le client de ma cliente » semble-t-il affirmerA preuve : Mme O. écrivait au gourou « qu’elle était sa ” bien dévouée” ».

« Votre bien dévouée » en totem d’immunité. Il fallait l’inventer. Et, plus fort encore, l’oser.
Source : totem d’immunité – émission télévisée Koh Lanta

Qui ne tente rien n’a rien.
Comme tout avocat, il m’est arrivé de me hasarder à des défenses désespérées, faute de mieux. Ce ne sont pas mes meilleurs souvenirs au pénal.
Dieu merci, c’est rare dans le monde administratif qui est le mien.

Mais au moins de telles tentatives où l’on ose tout font-elles rire… tout le monde sauf bien sûr (si ce n’est peut être in petto) le pauvre avocat qui plaide ce qu’il peut et sauf, sans doute, la personne mise en examen qui tente de garder son sérieux dans son rôle de composition.

Voici ce qu’était la position du président de la chambre d’instruction en réponse, détaillée, à ces billevesées :

« 19. Pour écarter l’existence d’une relation avocat-client entre Mme [O] et M. [L]-[Z] et en conclure que les documents saisis n’étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l’avocat, le président de la chambre de l’instruction énonce qu’aucune lettre de constitution n’est rapportée, aucune convention d’honoraires n’est alléguée, de même qu’aucun acte, événement ou objet en relation avec l’exercice professionnel d’un avocat s’agissant de la défense ou du conseil n’est rapporté ni même allégué.

« 20. Il ajoute qu’il ressort des déclarations mêmes de Mme [O] qu’elle a utilisé plusieurs adresses électroniques à diverses fins, sans qu’il soit possible d’attribuer à telle adresse électronique un usage purement professionnel dans le cadre d’une relation de défense ou de conseil.

« 21. Il précise que la qualité d’avocat ou le recours à des formules de politesse en usage dans la profession d’avocat retrouvées dans certains échanges ne sont pas de nature à caractériser le fait que ces derniers s’inscrivaient dans une relation qui serait couverte par le secret professionnel.

« 22. Il énonce qu’il ressort en outre des déclarations faites lors du débat contradictoire par Mme [O] l’existence d’une confusion dans l’usage de son outil informatique à des fins professionnelles et personnelles de sorte qu’il n’est aucunement justifié que les échanges avec M. [L]-[Z] relèvent de la relation avocat-client.

« 23. Il relève encore que l’analyse d’un rapport parlementaire sur un projet de loi en cours de discussion ne saurait caractériser une relation avocat-client, quand bien même M. [L]-[Z] écrirait « maître » et Mme [O] répondrait « votre bien dévouée » s’agissant d’un style de circonstance dénué de lien avec une consultation dans le cadre d’une relation avocat-client, que si Mme [O] allègue avoir contribué à la réflexion autour de la création d’un parti politique, il n’est pas démontré que cette contribution était rattachée à son exercice professionnel d’avocat.»

Les augustes, mais sévères, magistrats de la Cour de cassation ont-ils, alors, souri quand ils ont approuvé cette interprétation du président de la chambre d’instruction, et ce en ces termes laconiques ?

« 25. En prononçant ainsi, le président de la chambre de l’instruction, qui a, par une motivation dépourvue d’insuffisance comme de contradiction, exclu que les documents saisis relèvent de l’exercice des droits de la défense et soient couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, au sens de l’article 56-1 précité, et qui n’avait donc pas à rechercher si ces pièces étaient susceptibles de caractériser la participation de l’avocate aux faits objet de l’information, a justifié sa décision.»

Nul ne le saura jamais.

Mais cette décision aura les honneurs du Bulletin de la Cour de cassation. Dans la rubrique bêtisier, sans nul doute.

Voici cette décision :

Cass. Crim., 5 mars 2204, n°23-80.110

Photo : coll. pers. (image de la partie pénale de notre bibliothèque)

 

Reste que je fais un métier où l’on ne sait jamais comment tel ou tel risque peut nous tomber dessus.

C’est donc dans cette anxieuse attente, par prudence, que je vous prie de me croire, pour chacun de vous, chers lecteurs, et même pour la terre entière, votre bien dévoué,

Eric Landot

moi en avocat. Il y a longtemps. Oui je sais. Je n’ai pas de photo plus récente de votre serviteur en robe