Pas d’eau, pas de permis ? [VIDEO et article ; MISE À JOUR mars 2024]

Diverses communes refusent des permis de construire, faute d’eau potable en volume suffisant. Comment, en droit, fonder de tels refus ? Aucune réponse vraiment sécurisée ne peut être apportée à cette question qui soit applicable à tous les cas.

Voyons ceci au fil d’une vidéo et d’un bref article.

 

I. VIDEO (à jour d’avril 2023 mais ce qui y est évoqué est tout à fait encore à jour, la jurisprudence de février 2024, évoquée en « II» étant pour l’essentiel confirmative)

 

Voici tout d’abord ce sujet traité en 5 mn 25 par votre serviteur (Eric Landot) et mon associé Nicolas Polubocsko :

https://youtu.be/xQlDFzoIVT4

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

 

II. ARTICLE (à jour de mars 2024 en raison d’un intéressant jugement du TA de Toulon)

 

A la base, s’impose de regarder lors de l’octroi d’un permis de construire alors que l’eau vient à manquer… s’il y a, ou non, extension de réseau (versus un simple raccordement) et s’il y a, ou non, non auto-alimentation (voir ci-après 2/)…

Voir par exemple : CE, 30 octobre 1996, n° 126150 ; CE, 30 mai 1962, Parmentier, rec. T. p. 912 ; CE 4 mars 2009, Mme Matari, n° 303867, rec. T 989 ; CE, 11 juin 2014, n° 361074 ; CE, 24 mai 1991, n° 89675 et 89676 ; CAA Toulouse, 21 février 2023, n°20TL03185 ; CE, 30 mars 2011, n°324552 ; CAA Lyon, 10 mars 2020, n°18LY04704 ; CAA Lyon, 16 juin 2020, n°18LY04662.

Attention : Le refus de raccorder une construction irrégulière aux réseaux n’est possible que si une décision a été clairement prise en ce sens (Cass., 3ème, 15 juin 2017, Société Panaco, Pourvoi n° 16-16838).

Ces solutions demeurent légales. On peut refuser un PC si cela entraîne une extension du réseau public sauf auto-alimentation, pour schématiser à outrance un droit un peu plus subtil que cela.

Mais quid si ce n’est pas le cas ? S’il s’agit de refuser tout nouveau PC, faute d’eau en volume suffisant, même dans les zones où cela entraîne, certes de nouveaux branchements, mais pas d’extension de réseau ?

Les communes se fondent alors sur 3 bases juridiques.

1/

La première est celle de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

Faute d’eau, il y a un risque de salubrité et de sécurité publiques au sens de cet article.

Le juge a pu dans le passé valider des refus de permis faute d’eau potable. Voir par exemple : Cour administrative d’appel de Marseille, 20 juin 2019, n° 18MA03745. C’était en vertu de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme précité, mais aussi sur le fondement de l’article L. 111-4 de ce même code qui le permettaient nettement.

Mais une jurisprudence du Conseil d’Etat conduit à une grande prudence.

« En vertu de ces dispositions, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect. »
CE, 26 juin 2019, n° 412429.

Dans ce cadre :

  • on peut délivrer le permis avec quelques « prescriptions spéciales »
  • et ce n’est qu’à défaut que le permis de construire peut alors être refusé.

Autant dire que le refus de PC doit d’abord être fondé par l’impossibilité de le délivrer avec prescriptions.

Source : CE, 26 juin 2019, n° 412429. Voir aussi CE, 22 juillet 2020, Société Altarea Cogedim IDF, req., n° 426139 ; CE, 1er mars 2023, Société Energie Ménétréols, req., n°455629 ; CAA Paris 6 octobre 2022 SCCV Mille Arbres, req. n° 21PA04912 ; CAA Paris 6 octobre 2022 SNC Paris Ternes Villiers, req. n° 21PA04905 ; etc.

2/

Deuxième base juridique : l’article L. 111-11 du Code de l’urbanisme :

« Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés.
« Lorsqu’un projet fait l’objet d’une déclaration préalable, l’autorité compétente doit s’opposer à sa réalisation lorsque les conditions mentionnées au premier alinéa ne sont pas réunies.
« 
Les deux premiers alinéas s’appliquent aux demandes d’autorisation concernant les terrains aménagés pour permettre l’installation de résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs.
« 
Un décret en Conseil d’Etat définit pour ces projets les conditions dans lesquelles le demandeur s’engage, dans le dossier de demande d’autorisation, sur le respect des conditions d’hygiène et de sécurité ainsi que les conditions de satisfaction des besoins en eau, assainissement et électricité des habitants, le cas échéant, fixées par le plan local d’urbanisme.
« Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés.

Là encore, la jurisprudence incite à la prudence, aux études au cas par cas, à l’absence de décision radicale et définitive…

 

3/

Une troisième base juridique, fragile, consiste à s’appuyer aussi sur les compétences communales au titre du service public de défense extérieure contre l’incendie (DECI) au titre de l’article L. 2225-2 du CGCT… non sans fragilités.


Au total, des solutions au cas par cas s’imposent. Avec des suspensions provisoires par période, annoncées le temps de trouver des solutions opérationnelles… avec des différences selon que le projet est, ou n’est pas, consommateur d’eau, et de nombreux autres moyens de sécuriser juridiquement ces questions au cas par cas. 

 


 

Les services de l’Etat ont pu aider les communes à fonder des refus.

En Ardèche, pour la région de Vallon Pont d’Arc en zone RNU, en mars 2023, c’est carrément le Préfet qui suspend son accord des permis de construire (PC) dans 22 communes.

Dans le Var, les services de l’Etat ont ainsi, aussi, bâti un argumentaire juridique en ce sens.

Des évolutions législatives sont envisagées

Mais en attendant de tels refus devront reposer sur une appréciation au cas par cas, avec beaucoup de prudence. En distinguant selon les projets, en limitant dans le temps les refus…

Et en pensant à un éventuel volet indemnitaire en aval de refus, même légaux.

 

——–

C’est dans ce cadre qu’une nouvelle jurisprudence du TA de Toulon, rendue certes dans un territoire où le stress hydrique s’avère non seulement considérable, mais aussi relativement nouveau (en tous cas à ce niveau là), va pouvoir rassurer les collectivités confrontées à ces difficultés.

Voyons quels sont les apports de ce jugement, qui sont à apprécier à la lumière, aussi, des autres décisions précitées :

  • le maire avait refusé le PC sur le fondement principal de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, évoqué ci-avant en 1/.
    Le juge admet une vision large de cet article :

    • en termes de risques : « les risques d’atteinte à la sécurité et la salubrité publiques visés par ce texte sont aussi bien les risques auxquels peuvent être exposés les occupants de la construction pour laquelle le permis est sollicité que ceux que l’opération projetée peut engendrer pour des tiers. »
    • dans le cadre de cette même vision globale, bien sûr que l’on prend en compte aussi les poteaux incendie (PI ; ou PEI) privés :
      • « pour refuser le permis de construire sollicité par XXX, le maire de la commune relève que les deux poteaux d’eau incendie (PEI) opérationnels situés à moins de 200 mètres [MAIS, relève le juge en se fondant notamment sur règlement départemental de défense extérieur contre l’incendie (DECI) du Var] La qualification de PEI privé ou de PEI public modifie seulement la charge des dépenses et les responsabilités afférentes et non l’usage. D’autre part, ainsi que le soutient le requérant, deux autres PEI opérationnels se trouvent à moins de 200 mètres du terrain d’assiette du projet de sorte que, lors de l’instruction de la demande du pétitionnaire, la commune de Fayence pouvait aisément constater que le projet bénéficiait des dispositifs suffisants pour répondre utilement au risque incendie. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que le maire a commis une erreur d’appréciation pour refuser le projet de construction au motif du risque incendie.»
    • surtout, et c’est le point positif du point de vue des collectivités (et cela prouve l’intérêt de faire des études pour sécuriser son argumentaire en droit) :
      • « pour refuser le permis de construire demandé, le maire de Fayence relève que le projet de construction aura des effets sur les ressources en eau dont la faible capacité est de nature à avérer un risque pour la santé et la salubrité publique. Le requérant soutient que le risque d’insuffisance en eau ne saurait être regardé comme un risque pour la sécurité et la salubrité publiques mentionnées par les dispositions précitées de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, et qu’en toute hypothèse l’insuffisance de la ressource en eau n’est pas démontrée. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu’une étude portant sur les besoins en eau, menée par un bureau d’études à la demande de la communauté de communes du Pays de Fayence, et reprise dans l’avis défavorable qu’elle a rendu sur le projet, met en évidence en juillet 2021 une insuffisance des ressources en eau à très court terme, compte tenu de l’assèchement de deux forages et du faible niveau du troisième. Ainsi, le moyen tiré de l’absence de toute démonstration du caractère insuffisant de la ressource en eau manque en fait. Par suite, une telle insuffisance qui expose à la fois les futurs occupants de la construction en cause mais également tous les usagers, pourtant tiers à l’opération projetée, est de nature à porter atteinte à la salubrité publique, au sens des dispositions de l’article R. 111-2 précité du code de l’urbanisme. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire aurait pu valablement accorder le permis de construire sollicité en l’assortissant de prescriptions. Par conséquent, c’est à bon droit que le maire a pu s’opposer au projet au motif qu’il est de nature à porter atteinte à la salubrité publique.»
    • Sur la base notamment de l’article L. 111-11 du code de l’urbanisme :
        • « un permis de construire doit être refusé lorsque, d’une part, des travaux d’extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d’autre part, lorsque l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation.»
        • Mais cela s’apprécie selon ce juge d’une manière qui ne permet que le refus pour cause d’impossibilité à court terme à l’aune du seul nouveau branchement :
          • « Il ressort des pièces du dossier que pour refuser le permis de construire sollicité, le maire de Fayence vise l’avis de la régie des eaux intercommunale du 7 décembre 2022 qui se prononce défavorablement sur le projet en cause, compte tenu de l’insuffisance des ressources en eau, de la dégradation de cette situation consécutive aux épisodes de sécheresse en 2022 et des travaux à réaliser, afin d’assurer la sécurité de la distribution d’eau. Le maire fait également valoir qu’une telle distribution nécessite des travaux de plus grande ampleur (liaison avec le lac de Saint Cassien, recherche et exploitation de nouvelles ressources) dont la communauté de communes du Pays de Fayence n’est pas en mesure d’indiquer des délais de réalisation. Le requérant soutient que la commune n’établit pas l’insuffisance de ressource en eau qu’elle prétend et qu’en tout état de cause, lesdits travaux sont sans incidence sur le possible raccordement au réseau public qu’il a mentionné sur le plan de masse joint à sa demande. Si, tel que dit précédemment, il ressort des pièces du dossier que la commune établit bien l’insuffisance des ressources en eau, en revanche, les travaux dont la commune fait état pour y remédier, ayant trait à la recherche et à l’exploitation de nouvelles ressources en eau, ne sont toutefois pas directement nécessaires à la desserte du terrain d’assiette du projet, dont il n’est pas contesté qu’il puisse être raccordé au réseau public d’eau potable. Par suite, le requérant est fondé à demander l’annulation de ce motif illégal.»
    • on voit aussi que le fondement tiré de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme ne pourra pas aisément être utilisé pour les questions d’alimentation en eau potable.

Source :

TA Toulon, 23 février 2024, n° 2302433