Publication des textes réglementaires relatifs aux utilisations d’eaux impropres à la consommation humaine

Dans le cadre du grand « plan eau » présidentiel, après quelques textes dédiés à « reuse » (réut), entre autres (I), voici que viennent d’être publiés un décret et un arrêté relatifs à des utilisations d’eaux impropres à la consommation humaine (II).

Passons en revue, dans ce nouveau cadre, les usages interdits et usages possibles de ces eaux (III), le régime des mélanges d’eaux (IV), ces mélanges ne permettant cependant pour l’essentiel de mélanger les eaux de divers fonds (V).

Les textes précisent bien sûr les obligations du propriétaire des réseaux intérieurs (VI), à commencer par le fait de se soumettre à un régime de déclaration (à quelques dérogations près). 

Un régime de police administrative, d’interventions d’urgence est prévu, ainsi que la prise en compte de spécificités propres à la Défense nationale (VII). De telles mesures font en général office de voiture balai au sein de tels textes. Mais tel n’est pas le cas dans le décret, qu’il faut lire jusqu’au bout car il se clôt (VIII) par une importante expérimentation de régimes plus souples jusqu’à 2034. 


 

I. Cadre général

 

Le 30 mars 2023, le Président de la République a annoncé un grand Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau. Un plan ambitieux mais qui pour partie (après tout c’est logique…) recyclait des annonces déjà faites et qui pour partie restait, sinon turbide, à tout le moins fort flou.

Voir :

Un de des objectifs mis en avant, alors, était de massifier la valorisation des eaux non conventionnelles, notamment pour certains usages dits « domestiques » : lavage du linge, nettoyage des sols, évacuation des excreta, arrosage des espaces verts, alimentation des fontaines décoratives…

Voir notamment

Avec un volet « REUT » (reuse) consistant mais qui peine à décoller. Voir :

 

Pour les usages domestiques, le recours à l’eau potable était la règle généralement applicable jusqu’à présent, avec des exceptions notamment pour les eaux de pluie et des eaux grises traitées (eaux des lavabos, des douches). Ce point évolue désormais.

II. Publication d’un décret et d’un arrêté

 

Dans ce cadre, ont été publiés :

  • le décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024 relatif à des utilisations d’eaux impropres à la consommation humaine (NOR : TSSP2332058D) :
    • Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF – 278,4 Ko
    • dont voici la notice :
      • Publics concernés : personnes responsables de la production et de la distribution d’eau, exploitants et usagers de systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine, propriétaires de réseaux intérieurs de distribution d’eau, responsables d’établissement recevant du public, responsables d’établissement recevant des travailleurs, propriétaires des bâtiments d’habitation collective et individuelle, fabricants, distributeurs et installateurs de systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine, services des eaux, professionnels intervenant sur les réseaux de distribution d’eau (plombiers, bureaux d’études, prestataires de services…), collectivités territoriales, agences de l’eau, services de l’Etat, agences régionales de santé.
      • Objet : définition des usages domestiques de l’eau pour lesquels le recours à des eaux impropres à la consommation humaine est possible sous réserve du respect d’exigences techniques et sanitaires minimales en vue de prévenir les risques pour la santé des usagers et des consommateurs d’eau.
      • Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le 1er septembre 2024.
      • Notice : le décret est pris en application de l’article L. 1322-14 du code de la santé publique qui permet l’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine pour certains usages domestiques, lorsque la qualité de ces eaux n’a aucune influence, directe ou indirecte, sur la santé des usagers et dans certains lieux dans lesquels ces eaux sont utilisées. Il vise à définir les usages domestiques pour lesquels le recours à des eaux impropres à la consommation humaine est possible, les eaux ou mélanges d’eaux impropres à la consommation humaine pouvant être utilisés pour ces usages ainsi que les exigences techniques et sanitaires à satisfaire. Ces mesures ont pour objet de prévenir les risques de contamination de l’eau distribuée au robinet ainsi que les risques d’exposition des personnes à des pathogènes et substances chimiques, susceptibles d’altérer leur état de santé. Il précise également les modalités de conception, de mise en service, de surveillance, d’entretien et de contrôle applicables aux systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine.
  • l’arrêté du 12 juillet 2024 relatif aux conditions sanitaires d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques pris en application de l’article R. 1322-94 du code de la santé publique (NOR : TSSP2332060A) :
    • et dont voici la notice :
      • Publics concernés : personnes responsables de la production et de la distribution d’eau, exploitants et usagers de systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine, propriétaires de réseaux intérieurs de distribution d’eau, responsables d’établissement recevant du public, responsables d’établissement recevant des travailleurs, propriétaires des bâtiments d’habitation collective et individuelle, fabricants, distributeurs et installateurs de systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine, services des eaux, professionnels intervenant sur les réseaux de distribution d’eau (plombiers, bureaux d’études, prestataires de services…), collectivités territoriales, agences de l’eau, services de l’Etat, agences régionales de santé.
      • Objet : définition de la qualité et des conditions techniques et sanitaires d’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques.
      • Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le 1er septembre 2024.
      • Notice : le présent arrêté est pris en application de l’article R. 1322-94 du code de la santé publique. Il a pour objet de garantir d’une part, la sécurité sanitaire des eaux distribuées aux usagers et de prévenir d’autre part, toute altération de l’état de santé des personnes lié à de mauvaises conditions d’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine. Il établit les exigences sanitaires à satisfaire pour la conception, la mise en route, l’exploitation et l’entretien des systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine et précise les critères de qualité d’eau à atteindre. Il définit également les modalités de surveillance de la qualité de ces eaux ainsi que les mesures à mettre en œuvre en cas de dysfonctionnement des systèmes. Enfin, il précise le contenu du dossier de demande d’autorisation préfectorale requis au titre de l’article R. 1322-102 du code de la santé publique

Pour en savoir plus, voir :

 

Présentons un peu plus avant ce nouveau cadre, en se focalisant sur la partie décrétale. 

 

 

III. Usages interdits et usages possibles

 

Les usages interdits au titre de ce régime sont :

« Art. R. 1322-88. – La présente section n’est pas applicable aux eaux suivantes :
« 1° Eaux destinées à la consommation humaine, telles que définies au I de l’article L. 1321-1 ;
« 2° Eaux impropres à la consommation humaine pouvant être réutilisées dans les entreprises du secteur alimentaire, dans les conditions fixées par la section 2 du présent chapitre ;
« 3° Eaux issues de processus industriel pouvant être employées pour certains des usages domestiques, soumises à des conditions réglementaires propres ;
« 4° Eaux usées traitées et eaux de pluie pouvant être employées pour des usages non domestiques en application de la section 8 du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la partie réglementaire du code de l’environnement ;
« 5° Eaux usées traitées issues des installations d’assainissement non collectif mentionnées au III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kilogramme par jour de demande biochimique en oxygène mesurée à cinq jours (DBO5) pouvant être employées pour l’arrosage enterré des végétaux dans la parcelle ;
« 6° Eaux impropres à la consommation humaine utilisées pour des usages domestiques dans les installations mentionnées à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, à l’exception des utilisations dans un établissement recevant du public sensible lorsque ce public est susceptible d’être exposé à ces eaux ;
« 7° Eaux impropres à la consommation humaine utilisées pour des usages domestiques dans les installations mentionnées à l’article L. 593-1 du code de l’environnement.

 

Les eaux utilisables dans ce nouveau régime sont les suivantes :
« 1° Eaux brutes ;
« 2° Eaux grises ;
« 3° Eaux issues des piscines à usage collectif.

L’utilisation des eaux brutes est permise pour le ou les usages suivants :

« 1° Lavage du linge ;
« 2° Lavage des sols intérieurs ;
« 3° Evacuation des excreta ;
« 4° Alimentation de fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine ;
« 5° Nettoyage des surfaces extérieures, dont le lavage des véhicules lorsqu’il est réalisé au domicile ;
« 6° Arrosage des jardins potagers ;
« 7° Arrosage des espaces verts à l’échelle des bâtiments.

L’utilisation des eaux grises et des eaux issues des piscines à usage collectif est permise pour les usages suivants :

« 1° Evacuation des excreta ;
« 2° Alimentation de fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine ;
« 3° Nettoyage des surfaces extérieures, dont le lavage des véhicules lorsqu’il est réalisé au domicile ;
« 4° Arrosage des espaces verts à l’échelle des bâtiments. »

 

A noter le maintien d’interdictions importantes :

« Art. R. 1322-97. – Demeurent interdites, parmi les usages mentionnés à l’article R. 1321-1-1, les utilisations suivantes :
« 1° Utilisation d’eaux-vannes, y compris traitées, pour les usages alimentaires, les usages liés à la boisson, à la préparation et à la cuisson des aliments, au lavage de la vaisselle, les usages liés à l’hygiène corporelle et les usages de brumisation d’eau et de jeux d’eaux, le lavage du linge, le nettoyage des surfaces intérieures et l’alimentation de fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine ;
« 2° Utilisation d’eaux grises, y compris traitées, pour les usages alimentaires, les usages liés à la boisson, à la préparation et à la cuisson des aliments, au lavage de la vaisselle, les usages liés à l’hygiène corporelle et les usages de brumisation d’eau et de jeux d’eaux.

IV. Mélanges d’eaux

 

Des mélanges d’eaux impropres à la consommation humaine sont permis dès lors que les eaux composant le mélange peuvent être chacune utilisées pour l’usage envisagé et permis au titre de ce nouveau régime (avec alignement sur le régime de « l’usage le plus contraignant » et mélange de ces eaux impropres à la consommation humaine « effectué en amont du premier point de soutirage lorsque le système les mettant en œuvre est soumis à des critères de qualité».)

V. Chacun chez soi

 

L’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine répond à un régime différencié selon que cet usage est prévu :

  • « dans l’enceinte des bâtiments pour les parties intérieures et extérieures, dans les lieux ouverts au public, les établissements recevant du public, les lieux de travail, les bâtiments d’habitation collective et dans les maisons individuelles. »
  • ou « dans l’enceinte des établissements recevant du public sensible » (sur ce point voir les nouveaux articles R. 1322-101 et suivants du Code de la santé publique [CSP])

« L’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine n’est effectuée que dans l’enceinte de l’établissement ou du bâtiment dans laquelle elles ont été collectées  » (sous réserve de certaines dérogations prévues par l’article R. 1322-96 du code de la santé publique).

VI. Obligations du propriétaire des réseaux intérieurs ; régime de déclaration (à quelques dérogations près)

 

Les obligations du propriétaire des réseaux intérieurs de distribution des eaux impropres à la consommation humaine sont prévues par l’article R. 1322-98 de ce même code, ainsi rédigé :

«  Dans les conditions et selon les cas prévus par l’arrêté mentionné à l’article R. 1322-94, le propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’eaux qui fait le choix de recourir à l’installation d’un système d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine est tenu au respect des prescriptions suivantes :
« 1° Recourir à des systèmes conçus, installés et exploités de manière à ne présenter aucune nuisance pour l’usager, aucun risque de contamination du réseau de distribution d’eau destinée à la consommation humaine ou aucun risque d’exposition des personnes à des agents pathogènes ou substances chimiques susceptibles d’altérer leur état de santé ;
« 2° S’assurer de la conformité des réseaux intérieurs d’eaux impropres à la consommation humaine, aux obligations de protection des réseaux d’adduction et de distribution d’eau destinée à la consommation humaine contre toute pollution par retours d’eau, ainsi que des obligations de séparation de distinction et de repérage des réseaux intérieurs de distribution d’eaux prévues par l’article R. 1321-57 ;
« 3° Mettre en place une démarche d’analyse et de gestion préventives des risques liés à l’utilisation des systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine ;
« 4° S’assurer, préalablement à tout raccordement initial ou périodique des usagers au système d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine, de sa conformité à l’ensemble des exigences de la présente section. Le propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’eaux conserve à cet effet les éléments de preuves de conformité du système ;
« 5° Assurer, lorsqu’elle est requise en application de la sous-section 4, une surveillance de la qualité des eaux impropres à la consommation humaine au niveau d’un point de soutirage représentatif de la qualité de l’eau mise à disposition des usagers à une fréquence adaptée aux risques qu’elles peuvent présenter ;
« 6° Effectuer les vérifications et l’entretien périodiques nécessaires afin de s’assurer du maintien en bon état de fonctionnement du système ;
« 7° Mettre le système immédiatement à l’arrêt, en cas de dysfonctionnement de nature à créer un risque pour la santé des personnes ;
« 8° Mettre en place une signalétique ou un affichage mentionnant la présence d’eaux impropres à la consommation humaine à chaque point de soutirage du système de ces eaux ;
« 9° Informer, par tout moyen, les usagers concernés de la présence et des modalités de fonctionnement du système et, le cas échéant, dans les bâtiments d’habitation collective, de la qualité et du prix de l’eau mise à disposition par le système ;
« 10° Assurer la traçabilité de l’ensemble des informations relatives à l’application du présent article et les tenir à disposition des autorités sanitaires. Ces informations sont consignées dans un carnet sanitaire, établi selon un modèle-type déterminé par l’arrêté mentionné à l’article R. 1322-94.

Tout système d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine utilisant soit des eaux grises soit des eaux issues des piscines à usage collectif, ou utilisant des eaux brutes pour le lavage du linge, fait l’objet avant sa première mise en service d’une déclaration par le propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’eaux au préfet (sur ce point voir l’article R. 1322-100 du CSP).

Mais certains systèmes d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine utilisant uniquement des eaux brutes pour les usages mentionnés au I de l’article R. 1322-92, à l’exception du lavage du linge, sont librement mis en œuvre.

Le système d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine doit être conçu de telle sorte qu’il puisse être désactivé sans délai et à tout moment par le propriétaire du système en cas de dysfonctionnement ou de nécessité (ar. R. 1322-108 du CSP), avec un dispositif lui permettant d’être alimenté par de l’eau potable.

 

VII. Police administrative, interventions d’urgence, cas de la Défense nationale

 

Un régime de police administrative est mis en place par les articles R. 1322-109 et suivants du CSP (contrôles ARS ; intervention possible du Préfet). Un régime de mesures d’urgences est prévu par les articles R. 1322-112 et suivants du CSP.

Les installations relevant de la défense nationale ont leur régime propre (art. R. 1322-113 du CSP).

 

 

VIII. Expérimentation de régimes plus souples jusqu’à 2034

 

Surtout, un régime expérimental est prévu en ces termes par l’article 2 du décret :

  • I. – A titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2034, l’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine suivantes peut être autorisée pour les usages domestiques suivants :
    1° Eaux grises, pour le lavage du linge, le lavage des sols en intérieur et l’arrosage des jardins potagers ;
    2° Eaux grises issues des cuisines, pour les usages mentionnés à l’article R. 1322-92 du code de la santé publique ;
    3° Eaux issues des piscines à usage collectif, pour le lavage des sols en intérieur et l’arrosage de jardins potagers ;
    4° Eaux-vannes issues des toilettes, pour l’évacuation des excreta, l’arrosage des jardins potagers, le nettoyage des surfaces extérieures et l’arrosage des espaces verts à l’échelle des bâtiments au sens de l’article R. 1321-1-1 du code de la santé publique ;
    5° Eaux spéciales au sein des établissements de santé mentionnés à l’article L. 6111-1 du code de la santé publique, pour les usages mentionnés à l’article R. 1322-92 du même code.
    II. – Les eaux mentionnées à l’article R. 1322-88 du code de la santé publique ne sont pas concernées par les dispositions du présent article.
    III. – Un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’environnement, pris après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement, et du travail, détermine les conditions de réalisation des expérimentations, notamment leur durée, qui ne peut excéder cinq ans, les critères de qualité à satisfaire, en fonction des usages domestiques autorisés, leurs conditions techniques d’utilisation, les modalités de surveillance ainsi que les éléments constituant un bilan à réaliser par le demandeur de l’expérimentation approuvée.
    Chaque expérimentation individuelle est autorisée par arrêté du préfet de département dans le ressort duquel elle est envisagée, après avis du directeur général de l’agence régionale de santé.
    Le dossier de demande d’autorisation comprend l’ensemble des éléments dont la liste est prévue dans l’arrêté interministériel, ainsi qu’un engagement du demandeur à effectuer une phase de validation de son système d’utilisation des eaux impropres à la consommation pour des usages domestiques et à respecter les modalités de surveillance.
    IV. – Chaque expérimentation individuelle fait l’objet, au plus tard six mois avant son terme, d’une évaluation remise au préfet par le bénéficiaire de l’expérimentation.
    Les ministres chargés de la santé et de l’environnement établissent, au plus tard six mois avant l’expiration du délai mentionné au I, une évaluation de l’ensemble des expérimentations. Ils se prononcent sur l’opportunité de leur généralisation.


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