REUT des eaux usées traitées et des eaux de pluie : le régime est assoupli, mais pas encore éclairci

Source : maquette du SDEA d'Alsace Moselle (photographie coll. personnelle)

Article co-écrit par Laura Lattanzi et par Eric Landot 

Dans la continuité du Plan Eau présenté par le Président de la République le 30 mars 2023 prévoyant notamment de retraiter et de réutiliser 10% des eaux usées d’ici 2030 (contre 1% actuellement) le décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées a été publié au JO du 30 aout 2023.

Voir ce texte :

Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF – 247,4 Ko

En effet, ce décret vise à simplifier la procédure d’autorisation pour la réutilisation des eaux usées traitées et définir les conditions d’utilisation des eaux de pluie, pour les usages non domestiques.

Cette simplification était d’autant plus attendue que le décret n° 2022-336 du 10 mars 2022 (complété par un arrêté du 28 juillet 2022) avait été décrié pour un champ d’application (trop) stricte et l’intégration de lourdeurs administratives qui ont pu décourager plus d’un porteur de projet !

Sur ce sujet nous vous renvoyons à une interview de M. Franco NOVELLI (FNCCR) réalisée par le cabinet.

Dès juin dernier, il était clair qu’un nouveau décret allait être adopté (voir ici)… dans la foulée :

C’est donc chose faite.

Ainsi, le nouveau décret abroge le précédent et en codifie les dispositions après quelques modifications bienvenues dans le code de l’environnement. Il créé ainsi une section 8 intitulée « Usages et conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées » au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la partie réglementaire du code de l’environnement.

Il est néanmoins à noter que les autorisations délivrées sur le fondement du précédent décret demeurent soumises, jusqu’à leur échéance, aux dispositions procédurales en vigueur à la date à laquelle elles ont été délivrées.

Parmi les grands apports du décret n° 2023-835 du 29 août 2023 on peut ainsi citer :

  • la suppression de la limitation des projets à cinq ans telle que prévue par le décret n° 2022-336 du 10 mars 2022. Les projets ne seront donc plus limités à une expérimentation d’une durée maximale de 5 ans ;
  • la suppression d’un verrou géographique. Les eaux usées traitées produites dans un département pourront également être réutilisées sur un département voisin ;
  • une simplification de l’instruction des dossiers :  un avis simple et non plus conforme des autorités de santé est désormais prévu. Sur un point, une modification a été apportée lors de l’examen du texte par le Conseil d’État. En effet, ce dernier a estimé que pour des raisons de solidité juridique des décisions d’autorisation et de limitation du contentieux éventuel, cet avis doit être réputé défavorable ;
  • une simplification des suivis : le bénéficiaire de l’autorisation n’a plus l’obligation de transmettre au préfet un rapport annuel mais uniquement un bilan « qui présente de façon qualitative et quantitative les impacts sanitaires et environnementaux ainsi qu’une évaluation économique du projet mis en œuvre ». Ce bilan est adressé tous les cinq ans « au préfet, qui le transmet au conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques afin que celui-ci rende un avis sur les résultats et l’intérêt du projet réalisé » ;
  • la suppression de la conditionnalité liée à la qualité des boues :  Il sera possible d’utiliser les eaux des stations indépendamment de la qualité des boues produites contrairement à ce qui était prévu par le décret n° 2022-336 du 10 mars 2022. La suppression de cette conditionnalité est intervenue à la suite des réactions des acteurs du secteur par le biais de la consultation du projet de décret qui énonçaient alors que « cette conditionnalité n’a pas de justification technique, la qualité des boues ne préjugeant pas de la qualité de l’eau traitée » (commentaire réalisé par la SAUR).
    Sur la qualité des boues, la FNCCR rappelle que la nouvelle règlementation est attendue depuis 2 ans et que la concertation n’a pas eu lieu pour le moment.

NB : l’utilisation des eaux de pluie est possible sans procédure d’autorisation.

Attention. Comme le souligne la FNCCR :

« Le décret en question réglemente l’utilisation des eaux usées traitées et les conditions d’utilisation des eaux de pluie pour les usages non domestiques exclusivement. Pour rappel, les usages des eaux usées traités en irrigation agricole ou pour l’arrosage des espaces verts ou encore sur l’utilisation de l’eau de pluie dans les locaux d’habitation font l’objet d’autres réglementations. »
[…]
« la règlementation relative aux usages domestiques pour ces eaux fera l’objet de la publication prochaine d’un décret et un arrêté spécifiques. Dans cette attente, l’arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments demeure applicable.»

Ce texte ne porte donc pas sur :

  • les usages des eaux usées traités en irrigation agricole ou pour l’arrosage des espaces verts
  • l’utilisation de l’eau de pluie dans les locaux d’habitation

Voir en ce sens ces fragments du nouveau texte :

« […]
Lorsqu’il est envisagé d’utiliser les eaux usées traitées à des fins agronomiques ou agricoles, seule l’utilisation des eaux mentionnées au 1o de l’article R. 211-125 peut être autorisée.
[…] 

« II. – Les utilisations d’eau dans les domaines suivants sont régies exclusivement par les dispositions qui leurs
sont propres :
« 1o Les usages domestiques et dans les entreprises alimentaires, sur le fondement de l’article L. 1322-14 du code de la santé publique ;
« 2o Les usages dans une installation relevant de la nomenclature annexée à l’article R. 511-9 ou de la rubrique 2.1.1.0 de la nomenclature définie à l’article R. 214-1, tels qu’ils sont réglementés par l’arrêté préfectoral encadrant le fonctionnement de cette installation ;
« 3o Les utilisations d’eaux douces issues du milieu naturel encadrées par un arrêté préfectoral pris sur le fondement de la nomenclature définie à l’article R. 214-1. »

Et, toujours dans le même sens, ces deux types d’eaux ne sont pas utilisables dans les lieux ou usages suivants :

« Art. R. 211-126. – L’utilisation des eaux mentionnées aux articles R. 211-124 et R. 211-125 n’est pas possible à l’intérieur des lieux suivants :
« 1o Les locaux à usage d’habitation ;
« 2o Les établissements sociaux, médico-sociaux, de santé, d’hébergement de personnes âgées ;
« 3o Les cabinets médicaux ou dentaires, les laboratoires d’analyses de biologie médicale et les établissements de
transfusion sanguine ;
« 4o Les crèches, les écoles maternelles et élémentaires ;
« 5o Les autres établissements recevant du public pendant les heures d’ouverture au public.
« Art. R. 211-127. – L’utilisation des eaux mentionnées aux articles R. 211-124 et R. 211-125 n’est pas possible sur le fondement de la présente section pour les usages suivants :
« 1o Alimentaires, dont la boisson, la préparation, la cuisson et la conservation des aliments, le lavage de la vaisselle ;
« 2o D’hygiène du corps et du linge ;
« 3o D’agrément comprenant, notamment, l’utilisation d’eau pour les piscines et les bains à remous, la brumisation, les jeux d’eaux, les fontaines décoratives accessibles au public et l’arrosage des espaces verts des bâtiments.

.. sauf que ces restrictions sur certains points pourraient être considérées comme plus strictes que celles de l’arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments, toujours en vigueur et non encore remplacé, ce qui pourrait donner lieu à quelques difficultés. 

Bien que l’apport du décret soit indéniable (en atteste le fait qu’aucun avis défavorable n’ait été émis lors de la consultation et qu’une partie non négligeable des avis consultatifs ait été reprise), les acteurs en matière de REUT (Reuse) appellent encore à des améliorations.

Nous nous permettrons de reprendre ici les conclusions du groupe de travail porté par l’association française des professionnels de l’eau et des déchets (ASTEE) regrettant les points suivants :

  • L’approche qui reste aujourd’hui en silo par type d’eau et par type d’usage ce qui n’est pas de nature à favoriser le recours aux eaux non conventionnelles.
  • Les usages qui feront l’objet d’arrêtés ministériels définissant des exigences minimales ou prescriptions générales (R211-129) restent à date inconnus
  • Le texte n’explicite pas pour la procédure d’autorisation en cas d’usages multiples envisagés si un dossier unique peut être constitué ou s’il convient de faire un dossier par usage.

La FNCCR émet de son côté sur alerte sur le fait que « le développement de la REUT ne doit pas se faire au détriment de la santé environnementale. En particulier, le projet de décret devrait mentionner que le débit restitué au milieu naturel et qui contribue au bon état du cours d’eau est l’un des principaux critères encadrés par l’arrêté d’autorisation. »

Enfin, certains de nos clients, notamment en zone méditerranéenne, nous ont alerté sur le fait qu’une bonne REUT des eaux traitées usées… conduira à des difficultés encore plus grandes d’étiage des cours d’eau durant l’été.

NB : voir aussi :

 

 

 

Source : maquette du SDEA d’Alsace Moselle (photographie coll. personnelle)