Sans surprise, le TA de Lille a confirmé que l’inéligibilité de Mme Le Pen, décidée par le juge pénal en première instance mais avec exécution provisoire, entraîne la perte, pour elle, de ses mandats locaux.
C’est en droit une solution classique et conforme aux textes. Et… non… non la petite réserve d’interprétation récemment dégagée sur ce point par le Conseil constitutionnel ne pouvait rien y changer (puisque c’est au juge pénal qu’elle s’impose au stade du quantum de la peine — qui de toute manière n’est pas motivé — et non ensuite au fil des décisions administratives conduisant à la démission d’office d’un mandat local).
Les seuls petits débats résiduels, en droit, en effet, concernant la situation de Mme Le Pen portent sur l’éligibilité pour des mandats nationaux à venir (et encore…) et certainement pas pour les mandats locaux en cours d’exécution.
Revenons sur ceci point par point en 14 étapes…
- I. Existe-t-il des inéligibilités résultant de condamnations pénales ?
- II. Si l’on en reste sur le cas du droit pénal… quelles infractions peuvent-elles conduire à cette inéligibilité ?
- III. Car ce n’est pas automatique ?
- IV. Ne pourrait-on rendre ces peines carrément automatiques ?
- V. Est-ce sévère ?
- VI. Toute personne condamnée avec cette peine complémentaire, au pénal, sera immédiatement inéligible ?
- VII. Il en résulte des situations un peu complexes ?
- VIII. Restons sur ce dernier cas : le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire… la personne devient donc inéligible même si elle fait appel ?
- VIII.A. Le cas de ceux qui gagnent (au moins sur l’inéligibilité) à hauteur d’appel… mais qui ont été démis d’office après la 1e instance (car l’exécution provisoire avait été décidée par le juge)
- VIII.B. Le cas des parlementaires (pour leur seul mandat parlementaire)
- IX. Donc au total on a un principe simple mais avec des mises en œuvre qui peuvent être complexes ?
- X. Sont-ce des cas fréquents ?
- XI. Oui mais… pour Mme Marine Le Pen ? Quel était l’état du droit avant le jugement pénal la concernant et avant la décision du Conseil constitutionnel rendue juste avant celui-ci ?
- XII. Et qu’a dit (sur une autre affaire) le Conseil constitutionnel juste avant la date de lecture du jugement concernant Mme M. Le Pen ?
- XIII. Et qu’à décidé le juge pénal ensuite s’agissant de Mme Le Pen ?
- XIV. Et c’est dans ce cadre que le juge des référés du TA de Lille vient de statuer ?
I. Existe-t-il des inéligibilités résultant de condamnations pénales ?
Oui. Voir sur ce point NOTAMMENT les articles 131-26 et suivants du Code pénal :


Attention :
- l’inéligibilité peut aussi résulter d’une condamnation par le juge administratif ou par le conseil constitutionnel, à la suite notamment de certaines violations du droit électoral. Mais c’est alors un autre sujet, un autre cadre juridique.
- Attention l’inéligibilité peut aussi résulter d’une situation professionnelle, d’un mandat, d’une situation fiscale (art. LO 136-4 du code électoral), etc.
Là encore, c’est un autre sujet que celui traité ici.
II. Si l’on en reste sur le cas du droit pénal… quelles infractions peuvent-elles conduire à cette inéligibilité ?
- certaines violences (art. 222-9, 222-11, 222-12, 222-14, 222-14-4, 222-14-5, 222-15 du code pénal)
- agressions sexuelles des articles 222-27 et suiv. du code pénal
- discriminations des articles 225-1 et 225-2 de ce même code
- escroqueries ou abus de confiance (art. 313-1 et suiv. et 314-1 et suiv. du Code pénal)
- les délits de terrorisme (chapitre Ier du titre II du livre IV du code pénal)
- la plupart des infractions d’intérêt dont la prise illégale d’intérêts, la concussion, le pantouflage, la corruption, le favoritisme (délits prévus aux articles 432-10 à 432-15,433-1 et 433-2,434-9,434-9-1,434-43-1,435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1, puis 441-2 à 441-6, ainsi que leur recel ou leur blanchiment)
- un grand nombre d’infractions électorales et toute une ribambelle d’autres délits ou crimes listés à l’article131-26-2 du code pénal
- A NOTER aussi les peines qu’il est possible d’infliger au titre de l’article 24 de la loi 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, commis donc par une personne qui a incité à la discrimination ou à la haine raciale, ou sexiste, ou religieuse. Cela a donné lieu à une polémique fameuse sur l’éligibilité ou non d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022. Précisons que ce candidat était bien éligible car, quoique condamné, le juge n’avait pas décidé de lui infliger cette peine complémentaire d’inéligibilité.
- Autre exemple : un maire a ainsi été condamné pour provocation à la haine envers les Roms (en regrettant notamment, après un incendie, que des secours aient été appelés trop tôt), avec une peine complémentaire d’inéligibilité pour une période d’une année (Cass. crim., 1er février 2017, n°15-84511).
III. Car ce n’est pas automatique ?
NON car pour certaines infractions, comme celles en matière de délit de presse, c’est une peine complémentaire peut décider d’infliger, sans que cela soit prévu « par défaut ».
Et même quand c’est prévu « par défaut » comme dans le cas d’un très grand nombre d’infractions par les dispositions du III. de l’article 131-26-2 du Code pénal… ce n’est pas une vraie automaticité.
Ces peines complémentaires s’imposent de plein droit MAIS par une décision motivée, expressément, le juge peut décider de ne pas prononcer une telle peine « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».
IV. Ne pourrait-on rendre ces peines carrément automatiques ?
NON car une telle automaticité a été jugée contraire à l’article 8 de la DDHC (C. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017), voire à la CEDH (mais ladite CEDH sait être souple à ce sujet : CEDH, 17 juin 2021, n° 63772/16, Giancarlo GALAN contre l’Italie ; CEDH, 17 juin 2021, AFFAIRE MINISCALCO c. ITALIE, n° 55093/13 ; mais besoin d’un examen au cas par cas).
V. Est-ce sévère ?
Tout est relatif, bien sûr.
Mais quand on voit, d’une part, l’ampleur de cette liste et que l’on sait, d’autre part, combien certaines de ces infractions peuvent en réalité être commises par inadvertance, oui ce me semble sévère.
VI. Toute personne condamnée avec cette peine complémentaire, au pénal, sera immédiatement inéligible ?
Attention : quand quelqu’un est condamné au pénal, l’appel est suspensif. La personne condamnée qui a fait appel ne sera alors condamnée, ou pas, réellement qu’après l’appel.
Si une personne est condamnée au pénal et qu’elle forme appel, l’exécution de la peine est repoussée au lendemain de la décision de la Cour d’Appel.
Mais le juge de première instance, c’est-à-dire le tribunal correctionnel s’agissant d’un délit, peut décider de prononcer « l’exécution provisoire ». En ce cas, qu’il y ait appel ou non, la peine complémentaire d’inéligibilité peut s’appliquer dès la condamnation, à la condition, donc, que le juge en ait expressément décidé ainsi.
Avec une procédure de « démission d’office » prononcée par le préfet.
Le Conseil d’Etat l’a encore rappelé le 3 octobre 2018 dans une affaire concernant un élu régional (CE, 3 octobre 2018, n° 419049).
VII. Il en résulte des situations un peu complexes ?
OUI. En voici un aperçu pour les élus locaux…le cas des parlementaires étant mis à part à ce stade.

Donc, pour un simple citoyen comme pour un élu local, voici quelques sous-hypothèses :
1• si le juge de 1e instance ne condamne PAS à l’inéligibilité et qu’il y a appel : on attend la décision de la Cour d’appel…
2• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité SANS exécution provisoire et que l’élu forme appel : on attend la décision de la Cour d’appel.. Si la Cour d’appel condamne aussi à l’inéligibilité, il y aura donc inéligibilité (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat)
3• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité SANS exécution provisoire et que l’élu NE forme PAS appel : il y aura donc inéligibilité (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat)
4• si le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire (ce qui est fréquent) : il y a donc inéligibilité immédiate (et donc démission d’office de l’élu s’il est encore titulaire d’un mandat local)
Le recours en référé suspension contre un arrêté préfectoral de démission d’office pour inéligibilité d’un élu local est suspensif en lui-même…. en cas d’exécution provisoire, le temps que le juge des référés statue. Il y a donc effet suspensif du référé suspension quand une éligibilité est (avec exécution provisoire) suspendue… Voir ici.
VIII. Restons sur ce dernier cas : le juge de 1e instance condamne à l’inéligibilité AVEC exécution provisoire… la personne devient donc inéligible même si elle fait appel ?
OUI :
• et il peut en résulter une situation ubuesque
• sauf pour les parlementaires… pour leur seul mandat parlementaire
VIII.A. Le cas de ceux qui gagnent (au moins sur l’inéligibilité) à hauteur d’appel… mais qui ont été démis d’office après la 1e instance (car l’exécution provisoire avait été décidée par le juge)
Commençons par traiter du caractère potentiellement ubuesque (logique en droit mais peu cohérent pour ceux qui le vivent) de cette situation en cas de succès à hauteur d’appel alors qu’il y a eu exécution provisoire (et donc démission d’office).
Imaginons donc qu’en pareil cas la personne condamnée, avec inéligibilité dès la 1e instance avec exécution provisoire.
Mais imaginons ensuite que cette personne fasse appel au pénal. Et qu’elle gagne son appel. Mais qu’en raison de cette inéligibilité avec « exécution provisoire », entre temps, cette personne ait été interdite d’élection. Voire privée de ses mandats en cours… il y a potentiellement une injustice car alors la personne a subi une sanction électorale d’origine pénale alors que cette personne a été déclarée, certes après coup, innocente par la Cour d’appel au pénal…
Et c’est déjà arrivé. Un élu polynésien s’est trouvé condamné par le tribunal correctionnel avec inéligibilité pour laquelle le juge avait décidé de l’exécution provisoire. Il fait appel mais entre temps il perd ses mandats. En appel, il est encore condamné mais, cette fois, sans peine complémentaire d’inéligibilité… mais trop tard, il a perdu ses mandats. Et c’est légalement qu’il a ainsi perdu ses mandats, a tranché le Conseil d’Etat en 2019.
Source : CE, 20 décembre 2019, n° 432078
Cet arrêt CE, 20 décembre 2019, 432078 peut donc sembler étrange puisqu’à la date de cette décision du Conseil d’Etat, la décision du juge de première instance avait été purement et remplacée par un arrêt d’appel sans exécution provisoire, et ce qu’il y ait (comme en l’espèce) ou non recours en cassation.
Mais cette solution du Conseil d’Etat (cf. conclusions de M. Alexandre Lallet) semble reposer sur une reprise de la solution — qui peut être ne serait pas à trop généraliser hors modalités d’application des peines — posée par Cass. crim., 28 septembre 1993, 92-85.473, au Bull.).
Comme l’a noté M. le Professeur M. Carpentier dans l’article que voici, d’ailleurs, le Conseil d’Etat a jugé exactement ensuite en sens inverse (CE, 14 avril 2022, 456540).
VIII.B. Le cas des parlementaires (pour leur seul mandat parlementaire)
S’il s’agit d’un parlementaire, il en va exactement de même à un détail près : l’élu ne sera pas démissionné d’office pour ses mandats parlementaires en cours (au contraire de ce qui se passe pour le mandat local) tant que l’appel est pendant, si en 1e instance le juge a condamné l’élu à l’inéligibilité.
Le conseil Constitutionnel n’est pas très explicite sur les raisons de ce choix…. Il semble avoir voulu agir au nom de la séparation des pouvoirs.
IX. Donc au total on a un principe simple mais avec des mises en œuvre qui peuvent être complexes ?
Oui… Comme souvent.

X. Sont-ce des cas fréquents ?
2024 a été assez riche en illustrations de ces situations. En voici un florilège :
- par un jugement du 29 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Paris a condamné Mme B… à trois ans d’emprisonnement avec sursis, à une amende délictuelle de 10 000 euros et à la peine complémentaire de privation de ses droits électoraux et de son droit d’éligibilité pour une durée de cinq ans avec exécution provisoire.
Par un arrêté du 7 février 2024, le préfet de la Haute-Garonne a, sur le fondement de l’article L. 236 du code électoral, déclaré l’intéressée démissionnaire d’office de son mandat de conseillère municipale de Toulouse ainsi que de tout mandat ou fonction liés au mandat de conseiller municipal.
Le Conseil d’Etat finit par en connaître et il valide la démission d’office en rejetant une QPC à ce sujet
CE, 29 mai 2024, n° 492285, aux tables - Idem pour une démission d’office de ses mandats d’adjoint au maire et conseiller municipal de la commune de Petit-Réderching
TA Strasbourg, 4e ch., 10 juin 2024, n° 2402571. - allons ensuite en Guadeloupe, dont le TA a eu à connaître d’une affaire similaire. Le juge des référés de ce CA, statuant en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative a rejeté la requête présentée par M. Y. tendant à obtenir la suspension de l’arrêté du 5 juillet 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l’a déclaré démissionnaire d’office de son mandat de conseiller municipal et de maire de la commune de S… ainsi que de tout mandat ou fonction liés au mandat de conseiller municipal au motif que la peine complémentaire à une peine d’inéligibilité de 10 ans prononcée par le Tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre par jugement du 2 juillet 2024 était assortie de l’exécution provisoire.Consulter la décision n° 2400904 en date du 16 juillet 2024
- puis changeons d’océan pour nous rendre à Mayotte :
- Le tribunal administratif de Mayotte a ainsi rejeté les trois requêtes présentées par une personne contre les opérations électorales procédant à son remplacement à la présidence et au conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), ainsi qu’au conseil municipal de Dembéni. Ce tribunal n’a pu, en effet, que constater que l’ex-élu en cause avait été condamné par le tribunal judiciaire à une peine d’inéligibilité pour une durée de quatre ans, avec exécution provisoire, et déclaré démissionnaire d’office par un arrêté du 27 juin 2024 du préfet de Mayotte.
Le tribunal rappelle qu’en raison de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, le préfet était tenu de le déclarer démissionnaire d’office et que son recours introduit contre cette mesure ne présente pas de caractère suspensif de son exécution.
Voir en ce sens, sur le site de ce TA (téléchargement automatique), les décisions 241310, 2401311et 2401312 en date du 13 septembre 2024 - idem pour le même TA concernant un autre ex-élu, départemental cette fois : le juge des référés de ce tribunal a ainsi constaté que, par un jugement du 25 juin 2024, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a condamné cet élu à une peine principale d’un an d’emprisonnement délictuel et à une amende délictuelle de 25 000 euros et, à titre de peines complémentaires, à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant deux ans avec exécution provisoire et une privation du droit d’éligibilité de deux ans avec exécution provisoire. Voir en ce sens, toujours sur le site de ce TA, les décisions 2401194-2401215, également en date du 13 septembre 2024
- Le tribunal administratif de Mayotte a ainsi rejeté les trois requêtes présentées par une personne contre les opérations électorales procédant à son remplacement à la présidence et au conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), ainsi qu’au conseil municipal de Dembéni. Ce tribunal n’a pu, en effet, que constater que l’ex-élu en cause avait été condamné par le tribunal judiciaire à une peine d’inéligibilité pour une durée de quatre ans, avec exécution provisoire, et déclaré démissionnaire d’office par un arrêté du 27 juin 2024 du préfet de Mayotte.
Voici une intéressante note qui recense un assez grand nombre de cas récents par Denys Pouillard (www.obspolitique.fr ; à jour au 13 janvier 2025) voir ici :
XI. Oui mais… pour Mme Marine Le Pen ? Quel était l’état du droit avant le jugement pénal la concernant et avant la décision du Conseil constitutionnel rendue juste avant celui-ci ?
Pour son mandat de parlementaire, oui. Les choses sont claires. Elle le conserve.
Pour son éligibilité à l’élection présidentielle, il y a sans doute inéligibilité dès le jugement de première instance en cas d’inéligibilité prononcée comme peine accessoire avec exécution provisoire MAIS :
- certaines formulations du Conseil constitutionnel pourraient donner lieu à des lignes de défense pour Mme Le Pen en pareil cas
- et tout dépend aussi du point de savoir, en cas d’appel, si celui-ci serait ou non jugé avant la date de dépôt de candidatures à ladite élection présidentielle
Pour son mandat local… pas de débat elle le perd. C’est ce qui vient d’être confirmé comme nous le verrons plus loin.
Voir :
C’est déjà ce que je décrivais en novembre 2024 et que je résumais ainsi :

XII. Et qu’a dit (sur une autre affaire) le Conseil constitutionnel juste avant la date de lecture du jugement concernant Mme M. Le Pen ?
Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avait été soumise à la Cour de cassation par une personne condamnée, à l’occasion du pourvoi formé par celle-ci contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, pour recel, l’avait condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité, et a prononcé sur intérêts civils.
La Cour de cassation avait rejeté cette demande en ces termes :
«5. En premier lieu, d’une part, la faculté pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser, en cas de recours, l’exécution de la peine et à prévenir la récidive.
« 6. D’autre part, une telle condamnation peut faire l’objet, selon le cas, d’un recours devant la cour d’appel ou la Cour de cassation.
« 7. Enfin, l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation.
« 8. Les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas la présomption d’innocence, le droit à un recours juridictionnel effectif ou le droit d’éligibilité.
« 9. En second lieu, à supposer que les dispositions contestées portent atteinte à la séparation des pouvoirs, il ne saurait résulter de ce que le juge judiciaire peut condamner pénalement un élu local à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, ce qui peut le cas échéant entraîner la démission d’office de cet élu de son mandat local en cours, une atteinte disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales.
« 10. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.»
Source : Cass. crim., 18 décembre 2024, n° 24-83.556
Mais en parallèle, une autre affaire avançait, devant le juge administratif cette fois. Il s’agit du même ensemble, précité, d’affaires mahoraises ayant donné lieu aux jugements 241310, 2401311et 2401312, précités, en date du 13 septembre 2024.
A côté de ces jugements, se trouvait une QPC laissée en jachère et qui a ainsi remonté jusqu’au Conseil d’Etat, puis au Conseil constitutionnel.
La QPC était formulée de manière assez habile.
Le Conseil constitutionnel avait dans le passé permis une inéligibilité par défaut, mais pas automatique. Le juge doit se prononcer au cas par cas :
« 5. Considérant que le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ; qu’il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ;»
Source (entre autres décisions dans le même sens) : décision n° 2015-493 QPC du 16 octobre 2015
L’affaire avait donc été transmise au Conseil constitutionnel par l’autre aile du Palais Royal… sans doute trop contente de pouvoir demander aux sages de la rue Montpensier de clarifier le droit avant la décision concernant Mme Le Pen même si ce n’est pas réellement la même question qui est posée puisque :
- dans un cas il y a une application sur les mandats en cours — pour laquelle le Conseil constitutionnel a depuis longtemps donné son mode d’emploi estimant qu’il n’y a pas perte des mandats parlementaires en cours tant que la cour d’appel n’a pas statué au contraire de ce qui se passe pour les mandats locaux
- et que dans le cas de Mme Le Pen se pose la question de son éligibilité pour un AUTRE MANDAT national à venir… ce qui n’est pas la question posée donc par cette QPC
Etait en cause l’article L. 236 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2001 mentionnée ci-dessus. Cet texte prévoit que :
« Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250. Lorsqu’un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l’acte de notification du préfet n’est pas suspensif ».
Selon le requérant, en imposant que soit immédiatement déclaré démissionnaire d’office le conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité, y compris lorsque le juge pénal en ordonne l’exécution provisoire, ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État, porteraient une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité.
Ce grief étant dirigé contre la procédure de démission d’office applicable à un conseiller municipal privé de son droit électoral, la QPC a été jugée comme portant sur le renvoi opéré, au sein de l’article L. 236 du code électoral, au 1 ° de l’article L. 230 du même code.
Ce régime conduisant à la perte du mandat en cours et de l’éligibilité, même en cas de condamnation avec exécution provisoire à l’inéligibilité, par le juge de 1e instance, dans le cas des élus locaux, est validé par le Conseil constitutionnel :
« 13. En premier lieu, les dispositions contestées visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive.
« 14. Ce faisant, d’une part, elles mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
« 15. En second lieu, d’une part, la démission d’office ne peut intervenir qu’en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité expressément prononcée par le juge pénal, à qui il revient d’en moduler la durée. Celui-ci peut, en considération des circonstances propres à chaque espèce, décider de ne pas la prononcer.
« 16. D’autre part, le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation.»
Le régime actuel est donc validé mais sous une réserve d’interprétation ainsi formulée au début du point 17 qui a vocation à entrer dans l’histoire de nos institutions :
« 17. Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.
« 18. Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté.»
Passons ensuite sur le fait que le Conseil constitutionnel a ensuite balayé, aisément, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif (qui n’avait aucune chance de prospérer d’autant qu’on avait déjà des décisions sur ce point).
Sources à ce dernier sujet, voir (y compris a contrario) : C. const. n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017) ; cf. aussi CEDH, 17 juin 2021, n° 63772/16, Giancarlo GALAN contre l’Italie ; CEDH, 17 juin 2021, AFFAIRE MINISCALCO c. ITALIE, n° 55093/13).
Accessoirement on notera que le Conseil constitutionnel a validé au passage la différence de traitement sur ce point entre élus locaux et nationaux.
Donc in fine le Conseil constitutionnel a décidé de :
- valider la constitutionnalité du renvoi opéré, au sein de l’article L. 236 du code électoral au 1 ° de l’article L. 230 du même code
- MAIS avec la réserve d’interprétation énoncée au point 17 de la décision :
- « 17. Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.»
Il en résulte :
- que le juge pénal doit faire une appréciation au cas par cas, ce qui n’est pas nouveau (voir les décisions 2010-6/7 QPC et 2017-752 DC précitées)
- que cette appréciation au cas par cas doit se faire en fonction du « caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur »… ce qui est plus nouveau (le principe n’est pas réellement nouveau mais les critères à prendre en compte sont formulés de manière plus précise et partiellement renouvelée)…
Source :
XIII. Et qu’à décidé le juge pénal ensuite s’agissant de Mme Le Pen ?
Puis vint la condamnation de Mme Le Pen avec inéligibilité et exécution provisoire sans usage de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel… laquelle de toute manière porte sur les mandats en cours et non les éligibilités aux mandats à venir.
Dans cette affaire des jugements concernant Mme Le Pen, M. L. Alliot et quelques autres voici trois sources utiles :
- • le délibéré mis en ligne (voir surtout les pages 76 à 80) :
- • une analyse du professeur R. Rambaud qui remarque que le tribunal correctionnel de Paris applique la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel concernant Louis Aliot :
- • communiqué du Conseil supérieur de la magistrature :
XIV. Et c’est dans ce cadre que le juge des référés du TA de Lille vient de statuer ?
OUI. Confirmant l’arrêté du Préfet constatant l »inéligibilité et, donc, actant de la démission d’office de Mme Le Pen.
Ce qui est sans surprise puisque :
- comme on l’a vu c’est une jurisprudence constante conforme aux textes s’agissant des mandats locaux
- et la seule limite posée par la réserve du Conseil constitutionnel s’applique certes… mais sur un mandat de conseillère départementale il y a-t-il vraiment disproportion ? ET SURTOUT cette réserve s’impose à la décision du juge judiciaire et pas au raisonnement (plus mécanique donc) conduit ensuite en droit administratif !!!
Saisi d’une contestation de cette décision préfectorale, le tribunal a d’abord traité la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante. Les dispositions législatives en cause pour les conseillers départementaux étant similaires à celles concernant les conseillers municipaux, déjà déclarées conformes à la Constitution par la décision précitée du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025, le tribunal n’a pas transmis la question au Conseil d’Etat….
Sur le fond du litige, le tribunal a jugé que les dispositions législatives du code électoral applicables aux conseillers départementaux imposent au préfet de déclarer démissionnaire d’office l’élu départemental déclaré inéligible par le juge pénal, par un jugement assorti de l’exécution provisoire. Le tribunal administratif a, par conséquent, rejeté la requête.
Le jugement du tribunal administratif peut faire l’objet d’un appel, suspensif de la démission d’office, devant le Conseil d’Etat, dans un délai d’un mois.
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