Pas de protection fonctionnelle pour qui est condamné pour abus de confiance et de blanchiment (affaire dite du « Cap Sacré cœur » en l’espèce) [VIDEO et article]

Pas de protection fonctionnelle pour qui est condamné pour abus de confiance et de blanchiment… Voyons en une illustration au fil d’une vidéo, d’un dessin et d’un article, illustrant l’affaire dite du « Cap Sacré cœur ».

 

VIDEO (2 mn 19)

https://youtube.com/shorts/IFi8Sf_6R28

 

DESSIN

 

ARTICLE

 

La protection fonctionnelle n’est pas due en cas de faute personnelle détachable. Cela peut même conduire, de manière contre-intuitive, à méconnaître la présomption d’innocence (I).

Ceci dit, une fois l’élu et/ou le cadre public condamné pour une infraction telle que l’abus de confiance et/ou le blanchiment… nul doute que la protection fonctionnelle n’est pas, ou plus, due, comme vient de le confirmer le TA de La Réunion (II).


 

 

I. Rappels sur les refus de protection fonctionnelle en cas de poursuites (ou de condamnations) pour certaines infractions pénales

 

Elus et agents publics bénéficient « d’une protection organisée par la collectivité publique », qui s’applique :

  • quand ils sont victimes
  • quand ils sont poursuivis

 

Mais encore faut-il :

  • que ce soit en lien avec leurs fonctions (ce qui peut être subtil, voir par exemple ici).
  • sans que soit commise une faute personnelle détachable de l’exercice de ces fonctions

La protection fonctionnelle est prévue par la loi, pour les agents comme pour les élus. Mais même sans loi… cette protection fonctionnelle aussi dégagée par le juge administratif comme étant un principe général du droit.

Sur la protection fonctionnelle prévue par la loi désormais pour les élus, même sans délibération, dans certains cas, voir ici. Sur sa non-application en responsabilité financière des gestionnaires publics (agents publics et élus ; le cadre des salariés de droit privé étant différent), voir . 

Et elle conduit à prendre en compte des besoins autres que les seuls frais liés aux précontentieux ou contentieux au pénal.

Sources : droit de réponse CE, 24 juillet 2019, n° 430253 ; mesures matérielles TA Martinique, 10 février 2023, n° 2200225 ; octroi d’un titre de séjour : CE, 1er février 2019, n° 421694 ; actions civiles : CE, 8 juillet 2020, n° 427002… Sur un survol en vidéo de ce régime à l’été 2025, voir ici.

Mais la protection fonctionnelle n’est pas due en cas de faute personnelle détachable. Cela peut même conduire, de manière contre-intuitive, à méconnaître la présomption d’innocence…

Ainsi la protection fonctionnelle due au maire au titre de l’article L. 2123-34 du CGCT n’est-elle pas applicable quand le maire « fait acquérir par la commune deux voitures de sport ne répondant pas aux besoins d’une administration communale, ces véhicules ayant été utilisés à des fins privées par lui-même et un membre de sa famille, et ayant fait usage, également dans des conditions abusives, d’une carte de carburant qui lui était affectée » (CE, 30 décembre 2015, Commune de Roquebrune-sur-Argens, n° 391798 et n° 391800).

De même le TA de Melun a-t-il annulé une délibération qui accordait la protection fonctionnelle au maire de la commune, mis en examen pour des faits d’octroi d’avantages injustifiés et de soustraction frauduleuse de fonds publics (TA Melun, 4 juillet 2013, n° 1204155).

N.B. : mais la protection reste due si la collectivité s’est engagée même en cas de favoritisme (CAA de PARIS, 6ème chambre, 5 juillet 2019, 18PA20740 pour un cas particulier certes).

La jurisprudence est ainsi devenue assez complexe, voire parfois difficile à prédire, sur le point de savoir si la protection fonctionnelle est, ou non, à accorder… et si elle l’a été, si les frais ainsi exposés sont, ou non, à récupérer (par une action récursoire) par la collectivité.

Exemple : un jugement non définitif ne suffit pas à justifier l’absence de harcèlement moral et qu’il soit mis fin à la protection fonctionnelle. En vertu de la jurisprudence, un agent qui subit un harcèlement moral est fondé à obtenir de l’administration l’octroi de la protection fonctionnelle (CE, 12 mars 2010, Commune de Hoenheim, req. n° 308974, Tec. Tables 821). Cette décision étant créatrice de droit, elle ne peut être retirée, si elle est illégale, que dans un délai de quatre mois, sauf en cas de fraude (CE, 22 janvier 2007, Ministre des affaires étrangères, req. n° 285910). En revanche, elle peut être abrogée pour l’avenir s’il est révélé l’existence d’une faute personnelle (CE Sect., 14 mars 2008, Portalis, req. n° 283943). Voir ensuite dans le même sens l’arrêt M. A c/ Conseil économique, social et environnemental en date du 1er octobre 2018 (req. n° 412897.

Une infraction peut être volontaire et être commise en campagne électorale (et donc relever d’une faute assez « personnelle ») et pourtant donner lieu à protection fonctionnelle.
Sources : CE, 25 juin 2020 , n° 421643 ; à comparer en sens contraire TC, 26 octobre 1981, rec., p. 657.
Mais la Cour de cassation a estimé que le favoritisme était toujours une faute personnelle excluant la protection fonctionnelle… au point qu’accorder la protection fonctionnelle en pareil cas pouvait constituer un autre délit : celui de détournement de fonds publics (sur le fondement de l’article 432-15 du code pénal) !
N.B.  : l’arrêt du Conseil d’Etat n° 308160 du 23 décembre 2009 va dans le même sens, mais le recours sur la protection fonctionnelle est arrivé au Conseil d’Etat après condamnation pénale.
Ceci dit, la Cour de cassation n’était pas toujours si sévère, notamment pour des faits peu graves (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 janvier 2017, 15-10.852, Publié au bulletin).
Les homicides ou blessures involontaires peuvent eux-même donner lieu à des jurisprudences contrastées :
  • cas où le juge valide le refus d’une protection fonctionnelle même pour un accident de la route en raison de l’imprudence de la personne poursuivie (constitutive d’une faute personnelle), voir CAA Paris, 14 février 2020, 18PA00465.
  • En sens inverse, il y a octroi obligatoire de la protection fonctionnelle pour les imprudences du maire (celui de la Faute-sur-mer) ayant pourtant conduit à des homicides ou blessures involontaires (voir TA Nantes, 9 octobre 2019, n°1710480)…

 

Plus stricte fut ensuite la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a posé en 2023 (comme elle l’avait fait en 2012 pour le favoritisme) que pour la prise illégale d’intérêts (de l’article 432-12 du code pénal) il y a une sorte de présomption de détachabilité et de de NON octroi de la protection fonctionnelle (au point qu’accorder en pareil cas ladite protection sera, en certains cas, l’occasion de commettre de délit de détournement de fonds publics).

Source : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 mars 2023, 22-82.229

De fait, une fois l’élu condamné pour une infraction confirmant le caractère détachable des fonctions… le juge administratif validera le refus de protection fonctionnelle (Voir ici TA Amiens, 26 février 2024, n° 2102069 pour un ancien maire condamné pour prise illégale d’intérêts et harcèlement moral, à l’encontre de l’ancienne secrétaire de mairie).

C’est ce qui vient d’être confirmé par le TA de La Réunion.

II. Une fois l’élu et/ou le cadre public condamné pour une infraction telle que l’abus de confiance et/ou le blanchiment… nul doute que la protection fonctionnelle n’est pas, ou plus, due, comme vient de le confirmer le TA de La Réunion.

Par deux délibérations du 1er avril 2025, le conseil municipal de la commune du Port a décidé d’octroyer la protection fonctionnelle à M. Olivier Hoarau, maire, et M. Fayzal Ahmed Vali, conseiller municipal, dans le cadre des poursuites pénales engagées à leur encontre dans l’affaire dite du « Cap Sacré Cœur ».
Saisi par le préfet de La Réunion dans le cadre d’une procédure dite de déféré-suspension, le juge des référés a rendu sa décision ce 28 août 2025.
Dans son ordonnance, le juge a rappelé que la commune est tenue d’accorder la protection fonctionnelle à l’élu qui fait l’objet de poursuites pénales sauf lorsque les faits reprochés ont le caractère d’une faute détachable de l’exercice des fonctions.
Il a précisé qu’en vertu de la jurisprudence constante applicable, des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité, présentent le caractère d’une faute personnelle détachable qui ne peut pas ouvrir droit à la protection fonctionnelle.
En l’occurrence, le juge des référés a constaté que, par jugement du 17 décembre 2024, le tribunal correctionnel de Saint-Denis a reconnu les élus en cause coupables de faits de recel de bien obtenu à l’aide d’un abus de confiance et de blanchiment et a condamné, chacun d’entre eux, à quinze mois de prison avec sursis, 15 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Il a en déduit qu’eu égard à la nature et à la gravité de ces faits, qui révèlent en outre des préoccupations d’ordre privé et procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent à des élus municipaux, il existait un doute sérieux sur la légalité des délibérations.
… Même si l’appel en pénal (voir ici en l’espèce) est suspensif.
La Réunion, St Philippe, 2023, coll. pers. EL


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