DSP d’exploitation d’un casino et biens de retour : le Conseil d’État abat la carte maîtresse du sortant ! [VIDEO et article]

Le Conseil d’État a rendu, cet été, une décision particulièrement importante en matière de concessions de service public et de biens « nécessaires à l’exploitation du service » (biens de retour). Voyons ceci au fil d’un article et d’une vidéo avec Evangelia Karamitrou. 

I. VIDEO (9 mn 18)

 

https://youtu.be/2h_nem6Su3c

 

II. ARTICLE

 

 

Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 17/07/2025, 503317, Publié au recueil Lebon

Le Conseil d’État a rendu, cet été, une décision particulièrement importante en matière de concessions de service public et de biens « nécessaires à l’exploitation du service », dits biens de retour.

À l’origine du litige, la commune de Berck-sur-Mer engage une procédure de mise en concurrence pour renouveler la concession de son casino. Le règlement de consultation impose, pour déposer une offre, d’être déjà titulaire d’un titre de propriété ou d’un contrat d’occupation du bâtiment destiné à accueillir l’activité. Le délai pour satisfaire cette exigence : deux mois.

La société du G., estimant cette condition dissuasive, obtient du juge des référés du tribunal administratif de Lille l’annulation de la procédure. La commune se pourvoit alors en cassation.

Le cœur du litige dépasse pourtant la seule question d’égalité entre candidats : il réside dans la qualification juridique du bâtiment abritant l’actuel casino et dans le régime juridique des biens retournant à la personne publique en fin de concession.

Un rappel ferme du régime indemnitaire applicable aux biens de retour

Le juge rappelle que les biens nécessaires au service public reviennent gratuitement à la personne publique en fin de contrat, mais une indemnisation est due au concessionnaire lorsqu’ils n’ont pas été totalement amortis.

Le Conseil d’État sécurise ainsi l’équilibre économique du contrat en posant des règles précises :

  • l’indemnisation est calculée à la valeur nette comptable (VNC), selon un amortissement ajusté à la durée du contrat ;
  • même en cas de dérogations contractuelles, le plafond indemnitaire reste intangible, ce qui évite toute libéralité et protège les finances publiques.

Le rappel du plafond impératif constitue un garde-fou important : il empêche les parties de convenir d’un régime d’indemnisation manifestement excessif en faveur du concessionnaire.

« A l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.»

L’extension logique du régime de retour aux biens préexistants apportés par le concessionnaire

Le Conseil d’État réaffirme un principe parfois méconnu : lorsqu’un concessionnaire affecte au service public des biens dont il était préalablement propriétaire et que ces biens sont nécessaires à l’exercice du service public, cette affectation emporte transfert du bien dans le patrimoine public, selon les mêmes règles que pour les biens réalisés pendant la concession.

Deux conséquences en découlent :

  • Transfert automatique : le bien entre dans le patrimoine de la personne publique dès son affectation au service.
  • Retour gratuit en fin de contrat : même si le concessionnaire en était propriétaire initialement, le retour est gratuit et impératif puisque le bien est nécessaire à l’exercice du service public.

Le Conseil d’État encadre toutefois l’équilibre économique : la valorisation de cet apport peut être prise en compte, mais seulement à condition qu’elle n’entraîne pas de libéralité au profit du concessionnaire.

« 8. Les règles énoncées ci-dessus trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 5. Elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 6. Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique. »

Une précision majeure – intégration des biens de sociétés liées dans le périmètre des biens de retour

Ce paragraphe marque le tournant le plus significatif de la décision.

En principe, les biens appartenant à un tiers au contrat ne sont pas des biens de retour même s’ils sont nécessaires au service public.

Néanmoins dans certaines conditions ces biens acquierent le régime des biens de retour lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :

  1. Existence de liens étroits (contrôle, influence décisive, direction commune) entre le concessionnaire et le propriétaire du bien ;
  2. Affectation exclusive du bien à l’exécution du contrat de concession.

Lorsqu’elles sont réunies, le propriétaire tiers est présumé avoir consenti au transfert du bien dans le patrimoine de la collectivité.

Cette présomption est extrêmement puissante : elle neutralise les montages destinés à « parquer » l’actif essentiel (le bâtiment, en l’espèce) dans une structure séparée, pour échapper au régime des biens de retour.

« 9. Si les règles énoncées ci-dessus ne trouvent pas à s’appliquer aux biens qui sont la propriété d’un tiers au contrat de concession, quand bien même ils seraient affectés au fonctionnement du service public et nécessaires à celui-ci, il en va différemment dans le cas où, d’une part, il existe des liens étroits entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et du concessionnaire, lesquels permettent de regarder l’un comme exerçant une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de l’autre ou de regarder l’un et l’autre comme étant placé sous le contrôle d’une même entreprise tierce et, d’autre part, le bien, exclusivement destiné à l’exécution du contrat de concession, a été mis par son propriétaire à la disposition du concessionnaire pour cette exécution. Dans un tel cas, le propriétaire du bien doit être regardé comme ayant consenti à ce que l’affectation du bien au fonctionnement du service public emporte son transfert dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions précédemment énoncées. »

Dans le cas d’espèce, le bâtiment litigieux, anciennement cédé par la commune à la société GP, était loué à la société JM, concessionnaire sortant, par l’effet d’un bail exclusivement destiné à l’exploitation du casino.

Le Conseil d’État formule ici un principe essentiel : lorsque le propriétaire du bien et le concessionnaire entretiennent des liens capitalistiques ou de contrôle tels que l’un exerce une influence déterminante sur l’autre, et que le bien est exclusivement affecté au service public concédé, alors le bien doit être regardé comme un bien de retour, même si le propriétaire est formellement un tiers à la concession.

Cette extension du régime des biens de retour est structurante.
Elle neutralise les schémas par lesquels un opérateur tenterait, via une filiale ou une société sœur, de maintenir hors du champ du retour gratuit des actifs essentiels à l’exploitation.

Dans l’affaire commentée, la collectivité était donc fondée à considérer que le bâtiment, malgré sa propriété apparente par la société Groupe Partouche, relevait des biens nécessaires au service public et devait, à l’expiration de la convention, revenir gratuitement dans son patrimoine.

En imposant aux candidats d’acquérir la propriété du bâtiment dans un délai de deux mois, la collectivité a porté une atteinte au principe d’égalité entre les candidats

Le Conseil d’État réaffirme par la suite que, si l’exploitation des jeux n’a pas intrinsèquement le caractère d’une activité de service public, la concession de casino relève néanmoins d’un service public administratif en raison de sa structuration juridique : réalisation d’investissements et d’aménagements immobiliers, participation au développement touristique et économique local, et rémunération liée au risque d’exploitation.

Il en résulte que les biens nécessaires à cette mission constituent des biens de retour, destinés à intégrer gratuitement le patrimoine de la personne publique en fin de contrat. Cette qualification rend d’autant plus infondée l’exigence, posée par la collectivité, d’une propriété préalable du bâtiment pour être candidat, exigence incompatible avec le régime de la domanialité des biens affectés au service public concédé.

Sur cette base, le juge administratif constate que la clause litigieuse du règlement de la consultation instituait une condition impossible à satisfaire pour les opérateurs autres que le concessionnaire sortant. En imposant, dans un délai restreint, l’acquisition ou la location d’un bâtiment ERP parfaitement conforme — bâtiment destiné par ailleurs à revenir gratuitement à la commune — la procédure conférait au titulaire historique un avantage déterminant.

Le Conseil d’État en déduit une méconnaissance du principe d’égalité de traitement, la société JM étant seule en mesure de satisfaire la condition. La société du GCD, dissuadée de présenter une offre, établissait ainsi l’existence d’une lésion.

Par cette décision du 17 juillet 2025, le Conseil d’État opère un rappel des principes structurant le régime des concessions de service public et, plus spécifiquement, celui des biens nécessaires à l’exploitation du service. En clarifiant l’articulation entre l’affectation d’un bien au service public, le transfert corrélatif dans le patrimoine de la personne publique et le retour gratuit en fin de contrat, la Haute juridiction verrouille la possibilité pour les opérateurs économiques de soustraire certains actifs essentiels au régime des biens de retour.

L’arrêt présente également un apport décisif en étendant ce régime à des biens appartenant à des sociétés tierces, dès lors que des liens capitalistiques ou de contrôle étroits existent avec le concessionnaire et que l’actif est exclusivement affecté à l’exécution de la concession.

Enfin, la décision réaffirme avec force le principe d’égalité entre les candidats : une collectivité ne peut, en imposant la détention préalable d’un bien destiné à devenir un bien de retour, verrouiller de facto l’accès au marché au profit du concessionnaire sortant. En censurant une condition manifestement impossible à satisfaire dans les délais impartis, le Conseil d’État rappelle que la liberté d’accès et l’égalité de traitement demeurent des exigences intangibles, auxquelles aucune considération pratique ou historique ne saurait déroger.

CE, 17 juillet 2025, Berck-sur-Mer c/ Société du Grand Casino de Dinant, n°503317, au rec.


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