Police des manifestations : de l’intérêt de proposer des tracés alternatifs

Photo de Baudouin Wisselmann sur Unsplash ; prise à Lyon en janvier 2019 (manifestations de gilets jaunes)

Quand les gilets jaunes veulent faire une manifestation près de l’Elysée, non sans risques, le Conseil d’Etat prend en compte le fait que le préfet de police a proposé des tracés alternatifs pour admettre la légalité du refus préfectoral d’autoriser ladite manifestation pour laquelle un tracé alternatif a été proposé.

Rien de neuf à cela, mais voici une illustration intéressante à ce sujet :

Conseil d’État

N° 465411
ECLI:FR:CEORD:2022:465411.20220701
Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 1 juillet 2022

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :
Le Syndicat des Gilets jaunes, représenté par M. A… B…, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet de police du 29 juin 2022 interdisant la manifestation déclarée pour les jeudi 30 juin, vendredi 1er juillet et samedi 2 juillet 2022 entre 16 heures 30 et 22 heures. Par une ordonnance n° 2214063 du 30 juin 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Par une requête, enregistrée le 30 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat des Gilets jaunes demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de réformer la décision attaquée dans toutes ses dispositions ;

2°) de suspendre l’arrêté du préfet de police de Paris interdisant la manifestation déclarée par le Syndicat des Gilets jaunes devant se dérouler du 30 juin au 2 juillet 2022 ;

3°) de mettre à la charge de la préfecture de police de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– l’urgence est caractérisée dès lors que les manifestations sont prévues les jeudi 30 juin, vendredi 1er juillet et samedi 2 juillet 2022 ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
– l’arrêté contesté interdisant de manière générale et absolue la tenue d’une manifestation, porte une atteinte grave et manifestement illégale, d’une part, à la liberté de manifester et de se réunir et, d’autre part, à la liberté d’expression ;
– l’arrêté porte atteinte à ces libertés en ce que l’interdiction ne saurait être justifiée par le lieu déclaré du rassemblement et les difficultés alléguées à en assurer la sécurisation ;
– cette atteinte ne saurait être justifiée par la menace d’un trouble à l’ordre public résultant du risque que des éléments radicaux et violents se greffent à la manifestation, dès lors que ces allégations ne sont pas avérées ;
– l’interdiction absolue de manifester dans un lieu n’est jamais proportionnée ;
– l’arrêté contesté n’est pas proportionné dès lors qu’il n’est pas établi que les forces de l’ordre ne seraient pas en mesure de prévenir les éventuels troubles à l’ordre public.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son Préambule ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

2. La liberté d’expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d’expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect d’autres droits et libertés constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article. Il doit cependant être concilié avec les exigences qui s’attachent à l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

3. Aux termes de l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure :  » Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique. « . Aux termes de l’article L. 211-2 du même code :  » La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. A Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l’Etat dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d’Etat. / La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par au moins l’un d’entre eux ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté. / L’autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé. « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 211-4 de ce code :  » Si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. « .

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que le respect de la liberté de manifestation, qui a le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ainsi qu’il a été dit au point 2, doit être concilié avec la sauvegarde de l’ordre public et qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police, lorsqu’elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d’informations relatives à un ou des appels à manifester, d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles au nombre desquelles figure, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation si une telle mesure est seule de nature à préserver l’ordre public.

5. M. B…, en qualité de représentant du Syndicat des Gilets jaunes, a adressé à la préfecture de police le 23 juin 2022 une déclaration préalable pour l’organisation d’une manifestation statique prévue les jeudi 30 juin, vendredi 1er juillet et samedi 2 juillet 2022 entre 16 heures 30 et 22 heures dans le Jardin des Champs-Elysées, au niveau du 35, avenue Gabriel à Paris (8ème arrondissement). Ce rassemblement a pour objet l’organisation de prises de parole et de débats citoyens. Par un arrêté du 29 juin 2022, le préfet de police, estimant que le déroulement de cette manifestation en ce lieu et en ces heures présentait un risque de troubles à l’ordre public, l’a interdite en ce lieu et indiqué qu’elle pourrait se dérouler, les mêmes jours, de 14h à 18h, place de la République à Paris (11ème arrondissement). Par une ordonnance du 30 juin 2022 dont le Syndicat des Gilets jaunes fait appel le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l’arrêté du préfet de police.

6. D’une part, si le syndicat requérant soutient, comme il l’avait fait devant le premier juge, que le nombre de manifestants et le caractère statique de la manifestation excluraient tout risque de trouble à l’ordre public, que les troubles auxquels fait allusion l’arrêté litigieux avaient eu lieu à l’occasion de manifestations qui n’étaient pas à l’initiative du syndicat requérant et enfin que le préfet de police ne saurait interdire une manifestation au seuls motifs qu’elle se déroule en des lieux touristiques ou aux abords de  » lieux de pouvoir « , il n’apporte aucun élément de nature à contredire les constatations résultant de l’instruction diligentée par le juge des référés du tribunal administratif de Paris selon lesquelles d’une part le lieu de la manifestation prévue, 35, avenue Gabriel, à proximité immédiate du palais de l’Elysée, au niveau de l’entrée sud, dite entrée de la  » Grille du coq « , se trouve au sein d’un périmètre se caractérisant par de fortes contraintes en matière de sécurité, notamment dans le contexte actuel de menace terroriste, qui demeure à un niveau élevé, d’autre part, il existe un risque de débordements par des groupes agressifs, notamment compte tenu des violences qui ont émaillé des rassemblements similaires au cours des années 2021 et 2022 et du fait qu’un appel au rassemblement  » devant la Grille du coq  » a été transmis sur les réseaux sociaux, et notamment sur le compte Twitter du syndicat, qui a ensuite été relayé par d’autres comptes du mouvement des Gilets jaunes, auprès d’environ 30 000 abonnés, de sorte que le nombre de manifestants à ce rassemblement, qui se déroule sur trois jours, est susceptible d’être supérieur au nombre de cinquante participants annoncés en un lieu qui se caractérise par des trottoirs de superficie réduite ainsi que la présence de nombreuses barrières, configuration qui est susceptible de rendre plus difficile le maintien de l’ordre public, en particulier en cas d’afflux de participants.

7. D’autre part, il ressort de l’arrêté litigieux que le préfet de police a proposé au syndicat requérant, qui l’a refusé, que la manifestation se déroule les mêmes jours, de 14 heures à 18 heures, place de la République à Paris (11ème arrondissement), qui présente davantage de garanties de maintien de l’ordre, ce que le syndicat requérant ne conteste pas.

8. Dans ces conditions, en interdisant que la manifestation projetée se déroule les jeudi 30 juin, vendredi 1er juillet et samedi 2 juillet 2022 entre 16 heures 30 et 22 heures dans le Jardin des Champs-Elysées, au niveau du 35, avenue Gabriel à Paris (8ème arrondissement) tout en proposant qu’elle se déroule les mêmes jours, de 14 heures à 18 heures, place de la République à Paris (11ème arrondissement), le préfet de police n’a pas porté à la liberté de manifester une atteinte grave et manifestement illégale.

9. Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence que le Syndicat des Gilets jaunes n’est manifestement pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Son appel ne peut, par suite, qu’être rejeté, y compris ses conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l’article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :
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Article 1er : La requête du Syndicat des Gilets jaunes est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A… B…, représentant du Syndicat des Gilets jaunes, et au ministre de l’intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Fait à Paris, le 1er juillet 2022
Signé : Gilles Pellissier