Quand l’administration peut refuser des congés de maladie même sans faire procéder à une contre-visite médicale.

Par un arrêt M. A et autres c/ garde des sceaux, ministre de la justice en date du 21 avril 2023 (req. n° 450533), le Conseil d’État a considéré que dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d’un nombre important et inhabituel d’arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l’impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par la réglementation, l’administration est fondée, dès lors qu’elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d’accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période.

MM. D…, E…, I… et G…, surveillants pénitentiaires en fonction au centre pénitentiaire de Beauvais avaient transmis à leur administration des avis médicaux leur prescrivant une interruption de travail de plusieurs jours pendant la période allant de la fin janvier au début février 2018, au cours de laquelle leur établissement d’affectation était confronté à un important mouvement social. Or, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a opéré, par plusieurs décisions prises en mars et avril 2018, des retenues de treize trentièmes sur les traitements.

Le tribunal administratif d’Amiens a cependant annulé les décisions en question aux motifs « que seuls pouvaient être regardés en situation d’absence irrégulière les agents pénitentiaires qui soit s’étaient absentés sans produire de certificat médical, soit avaient refusé de se soumettre à une contre-visite médicale ordonnée par l’administration et en a déduit que l’appel au blocage des établissements pénitentiaires par plusieurs syndicats et le nombre anormalement élevé des arrêts de travail d’agents pénitentiaires au cours de la période du 21 au 31 janvier 2018 ne pouvaient suffire à établir, en l’absence de tout autre élément, l’impossibilité matérielle d’organiser des contre-visites. »

Statuant en cassation sur le pourvoi du garde des sceaux, le Conseil d’État a considéré que le tribunal avait commis une erreur de droit. En effet, après relevé qu’aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire : « Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l’administration pénitentiaire est interdit (…) », la Haute Assemblée a estimé qu’il résulte de ces dispositions ainsi que de celles de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, désormais codifié aux articles L. 822-1 à L. 822-5 du code général de la fonction publique que « l’administration ne peut en principe interrompre le versement de la rémunération d’un agent lui demandant le bénéfice d’un congé de maladie en produisant un avis médical d’interruption de travail qu’en faisant procéder à une contre-visite par un médecin agréé. Toutefois, dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d’un nombre important et inhabituel d’arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l’impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l’article 25 du décret du 14 mars 1986, l’administration est fondée, dès lors qu’elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d’accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période. Ces agents peuvent, afin de contester la décision rejetant leur demande de congé de maladie, établir par tout moyen la réalité du motif médical ayant justifié leur absence pendant la période considérée. Ils peuvent également, malgré l’absence de contre-visite, saisir le conseil médical, qui rendra un avis motivé dans le respect du secret médical. »

Cet arrêt peut être consulté à partir du lien suivant :

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2023-04-21/450533