Urbanisme : les études techniques sur les risques peuvent-elle être contestées directement ?

Lorsqu’une collectivité élabore un document d’urbanisme, elle s’appuie sur un grand nombre de documents, dont notamment des études techniques transmises par l’Etat et qui indiquent les risques auxquels sont exposés certaines parties du territoire.

Ces documents ne sont pas sans importance pour les administrés car ils peuvent expliquer certains zonages et être à l’origine des restrictions des droits à construire sur les terrains exposés à des risques identifiés.

Se pose alors la question de leur statut juridique et de la possibilité pour les propriétaires qui subiraient les conséquences de ces documents d’en contester la validité devant le juge administratif.

Dans une décision rendue le 13 juillet 2023, le Conseil d’Etat vient de préciser ce point.

Dans le sillage de la jurisprudence Gisti de 2020 selon laquelle « Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre » (CE, Section, 12 juin 2020, GISTI, req., n° 418142), le Conseil d’Etat admet que les études techniques fournies par l’Etat aux collectivités dans le cadre de l’exercice de leur compétence en matière d’urbanisme peuvent être contestées devant le juge administratif si elles ont fait l’objet d’une publicité certaine et si lesdites collectivités ont été invitées à les prendre en compte dans l’exercice de cette compétence :

« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué, non contestées en cassation sur ces points, que le document cartographique intitulé  » carte d’aléa mouvement de terrain secteurs Agenais et Confluent  » élaboré par le CEREMA en février 2015 a été publié sur le site internet de la préfecture de Lot-et-Garonne, à la rubrique  » Politiques publiques – Sécurité et protection de la population – Risques majeurs « , et accompagné d’un commentaire selon lequel  » dès lors qu’elle est communiquée à la collectivité, cette nouvelle connaissance du risque doit être prise en compte par la commune et l’Etat, notamment pour ce qui concerne la planification et les autorisations d’urbanisme « . Par ailleurs, le préfet de Lot-et-Garonne a indiqué au maire de la commune de Bon-Encontre, par un courrier du 9 novembre 2015, que les nouvelles informations résultant de cette cartographie devaient  » être prises en compte dès à présent pour l’application du droit des sols, dans les secteurs nouvellement cartographiés et lorsque le niveau d’aléa défini par la cartographie de décembre 2013 est plus fort que celui pris en compte au titre du R. 111-3. Il conviendra dans ce cas d’utiliser l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme en appliquant la partie du règlement actuel correspondant à la nouvelle classe d’aléa, et si nécessaire refuser le projet ou ne l’accepter que sous réserve de prescriptions « . Il ressort à cet égard des pièces du dossier que la décision d’opposition à déclaration préalable opposée le 24 mars 2015 aux consorts A… est fondée sur les dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et le zonage résultant de la carte établie par le CEREMA.

5. Pour juger que la demande des consorts A… tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de modifier la carte d’aléa  » mouvement de terrain  » établie par le CEREMA en tant qu’elle classe leur parcelle en zone d’aléa fort était recevable, la cour a relevé que cette cartographie et les termes dont le préfet a assorti le porter à connaissance qu’il en a fait étaient destinés à orienter de manière significative les autorités compétentes dans l’instruction des autorisations d’urbanisme. Elle a également relevé que, compte tenu de la publicité qui lui a été donnée et des commentaires accompagnant sa publication sur le site internet de la préfecture, cette cartographie était, par elle-même, de nature à influer sur la valeur vénale des terrains concernés. Elle a enfin souligné qu’en l’absence de mise en oeuvre d’un processus de révision du plan de prévention des risques, ce document ne saurait être regardé comme un document préparatoire à un tel plan et que, s’il est au nombre des études techniques qu’il incombait au préfet de transmettre à titre d’information aux communes ou à leurs groupements, dans le cadre de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme, en application de l’article L. 132-2 du code de l’urbanisme qui s’est substitué aux dispositions de l’article L. 121-2 citées au point 3, cette circonstance ne permettait pas, eu égard à la publicité et la portée qui lui ont été par ailleurs données, d’exclure qu’il présente le caractère d’un acte susceptible de recours. En jugeant que, dans ces conditions, la cartographie du risque de mouvements de terrain ainsi que le refus opposé par le préfet de la modifier étaient susceptibles d’emporter des effets notables sur la situation et les intérêts des propriétaires des parcelles classées en zone d’aléa fort et pouvaient, par suite, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, la cour, qui n’a pas commis d’erreur de droit au regard des dispositions de l’article L. 132-2 du code de l’urbanisme, n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».

En matière d’urbanisme, les administrés peuvent contester les documents qui leur sont directement opposables, comme notamment les plans locaux d’urbanisme. Désormais, et à certaines conditions, il peuvent aussi contester les études techniques réalisées en amont.

Ref. : CE, 13 juillet 2023, Ministre de la transition écologique, req., n° 455800. Pour lire l’arrêt, cliquer ici.