Ouvrez ouvrez la cage aux oiseaux… Regardez gambader les gallinacés, c’est beau… Les requérants si vous voyez des p’tits oiseaux prisonniers… ce n’est pas du Conseil d’Etat que viendra leur liberté….

Poulailler industriel à Bali - Photo par Artem Beliaikin sur Unsplash

En 1971, toute la France fredonnait ce refrain de Pierre Perret :

«  Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux.
Regardez les s’envoler, c’est beau.
Les enfants si vous voyez
Des p’tits oiseaux prisonniers,
Ouvrez leur la porte vers la liberté.
»

 

47 ans après cette chanson, le législateur chantait à cet unisson.

50 ans après cette chanson, le pouvoir réglementaire refermait les cages. 

52 ans après cette chanson, contre l’avis de sa rapporteure publique… et contre le texte clair de la loi… le Conseil d’Etat validait le décret renfermant les gallinacés et prenant des libertés face à la volonté assez claire du législateur.

Car il n’était guère ambigu, le Parlement. Afin de faire disparaître progressivement l’élevage en batterie de poules pondeuses, l’article 68 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGAlim) du 30 octobre 2018 interdisait en effet « la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses élevées en cages ». Cet article prévoit que ses modalités d’application devaient être définies par un décret.

En l’absence de ce décret, l’association Compassion in World Farming France (CIWF) avait demandé au Premier ministre de le publier, et a saisi le Conseil d’État du refus qui lui a été opposé.

Et le Conseil d’Etat de donner raison à ce requérant, enjoignant à l’Etat de se dépêcher de libérer un peu ces volatiles de ces cages trop étroites.

CE, 27 mai 2021, n° 441660, à mentionner aux tables du recueil Lebon

NB sur l’appréciation des délais d’adoption de textes d’application, voir : Qu’est-ce qu’un délai raisonnable pour adopter un texte réglementaire ? [VIDEO et article] 

Ce décret fut adopté ensuite peu après l’échéance fixée par le Conseil d’Etat, et fut publié le décret n° 2021-1647 du 14 décembre 2021… qui a grandement rassuré les exploitants agricoles et fortement fâché les amis des gallinacés ou, à tout le moins, ceux qui veulent que leurs conditions de détention soient compatibles avec une définition tout à fait minimale du bien-être animal.

Citons cet extrait de la notice de ce décret :

« La disposition adoptée ne remet nullement en cause l’activité actuellement exercée par un éleveur ou la reprise de l’activité par un autre éleveur. Elle doit s’interpréter au regard de la finalité du bâtiment et vise ainsi à interdire, de manière certaine, la réalisation de toute nouvelle construction de bâtiment visant à accueillir des poules pondeuses en cages ainsi que la réalisation de tous travaux ou aménagements conduisant à augmenter la capacité de production du bâtiment exprimée en nombre de poules pondeuses en cage pouvant être mises en place et en conséquence la nouvelle affectation de tout bâtiment dans le but d’accueillir des poules pondeuses en cages.»

« Art. D. 214-38. – Pour l’application de l’article L. 214-11, constitue un nouveau bâtiment la construction ou la reconstruction, totale ou partielle, d’un bâtiment destiné à l’élevage de poules pondeuses élevées en cage.
« Pour l’application de ce même article, constituent un réaménagement de bâtiment :
« 1° Les travaux ou aménagements d’un bâtiment existant pour le destiner à l’élevage de poules pondeuses en cage ;
« 2° Les travaux ou aménagements d’un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage. »
N’est-ce pas, s’agissant des réaménagements de bâtiments existants, un peu étroit, comme définition, à l’image de l’étroitesse des cages elles-mêmes ? Rappelons la formulation depuis la loi Egalim de l’article L. 214-11 dudit CRPM  :
« La mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses élevées en cages est interdite à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
«
Les modalités d’application du présent article sont définies par décret.»
Le réaménagement est donc dans le décret limité aux :
[…] travaux ou aménagements d’un bâtiment existant pour le destiner à l’élevage de poules pondeuses en cage ;
[…]  travaux ou aménagements d’un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage. »
Mais pas les autres réaménagements ? Le texte de la loi n’est-il pas plus large quand il évoque « tout bâtiment nouveau ou réaménagé » ?
C’est ce que pensaient divers requérants.
C’est aussi ce que pensait la rapporteure publique qui avait conclu à l’annulation partielle du décret.
Source : Timothy McAuliffe (Unsplash)
Citons les propos en ce sens de la rapporteure publique elle-même citée par une revue professionnelle :
« ”visait à mettre fin à l’élevage en cage pour répondre à l’attente sociétale tout en laissant le temps aux éleveurs de s’adapter à ces changements » [et le décret ] ” y contrevient en permettant les réinvestissements ”.»
Sources :

Mais non : sommes-nous bêtes. Ce n’est pas ce qu’a voulu dire le législateur, nous assène le Conseil d’Etat, fort sur ce point des débats parlementaires dont on aimerait bien que la Haute Assemblée cite des passages précis tant la référence floue et concise est souvent d’une magnifique commodité pour faire dire à un texte l’inverse de ce qu’il dit, et souvent de ce qui fut dit au long desdits débats :

« 5. En premier lieu, il résulte des dispositions de l’article L.214-11 du code rural et de la pêche maritime citées au point 1, éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous dont elles sont issues, que le législateur, en prohibant la mise en production de tout bâtiment réaménagé d’élevage de poules pondeuses élevées en cage, n’a pas entendu interdire les travaux ou aménagements permettant le maintien en production, à capacités inchangées, d’un bâtiment existant affecté à l’élevage en cage de poules pondeuses. Par suite, en définissant comme réaménagement d’un bâtiment, pour l’application de ces dispositions, l’aménagement d’un bâtiment existant pour le destiner à l’élevage de poules pondeuses en cage ou l’aménagement d’un bâtiment d’élevage existant conduisant à augmenter le nombre de poules pouvant y être élevées en cage, le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime dont il fait application.»

 

Ben voyons.

 

Puis ensuite, classiquement, mais c’était normal, le juge accepte de voir dans ces distinctions des différences de situation justifiant des différences de traitement :

« 6. En second lieu, les exploitants de bâtiments déjà affectés à l’élevage en cages de poules pondeuses ne sont pas dans la même situation, eu égard à l’objet de l’interdiction énoncée, que les exploitants de bâtiments affectés à un autre usage. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que la différence de traitement instituée par le décret attaqué entre ces deux catégories d’exploitants méconnaît le principe d’égalité doit être écarté.»

 

Fermez le ban. Et, surtout, fermez les cages. Petites. Toutes petites.

Quant au législateur, il peut toujours caqueter. Tant qu’il ne fixe pas lui-même la norme, on le voit, les marges de manoeuvre décrétales seront immenses, protégées par les grilles du Palais Royal.

 

Source :

Conseil d’État, 4 décembre 2023, Compassion in World Farming France (CIWF) et autres, n° 461367

 

NB : cette décision du Conseil d’Etat, je l’ai vue ce matin. J’ai d’abord choisi de ne pas la traiter (trop de travail par ailleurs !). Mais grâces soient rendues à Mme Elisabeth Lucek qui, par un courriel vivifiant et riche de quelques précisions, m’a redonné du coeur à l’ouvrage. En même temps, si vous venez de vous infliger cette lourde lecture, c’est par conséquent un peu de sa faute ! Plus sérieusement, merci à elle. 

Poulailler industriel à Bali – Photo par Artem Beliaikin sur Unsplash