Contentieux des aides aux entreprises : le Conseil d’Etat donne un mode d’emploi détaillé de l’office du juge

Le Conseil d’Etat a rendu une décision, à publier aux tables du rec., sur le régime contentieux des « aides d’Etat » données par l’Etat ou les collectivités aux entreprises avec un vrai mode d’emploi, détaillé, de l’office du juge à chaque étape. 

Cet arrêt défini l’office du juge national en pareil cas :

  • jusqu’à l’intervention de la décision de la Commission se prononçant sur la compatibilité de l’aide :
    • i) Obligation de sauvegarder les droits des justiciables

      Le Conseil d’Etat pose qu’il résulte des stipulations des articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que, s’il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle des juridictions de l’Union européenne, si une aide est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché intérieur, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sauvegarder, jusqu’à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’État à la Commission.  b) i) Lorsque la Commission a adopté une décision devenue définitive constatant l’incompatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction de cette illégalité implique la récupération de l’aide mise à exécution en méconnaissance de cette obligation.

    • ii) Possibilité de prononcer la restitution des aides

      La Haute Assemblée pose que, dans l’attente de la décision de la Commission sur la compatibilité du régime d’aides avec le marché intérieur, la restitution par les entreprises en ayant eu la jouissance effective des aides versées sur le fondement d’un régime d’aides n’ayant pas fait l’objet d’une notification à la Commission européenne ne peut être prononcée qu’à titre provisoire.

  • puis ensuite, après l’intervention de cette décision : si la commission constate finalement l’incompatibilité de l’aide, il y a récupération de l’aide. Si la Commission constate finalement la compatibilité de l’aide, il doit y avoir paiement par les bénéficiaires de l’aide d’intérêts au titre de la période d’illégalité et le juge précise alors les modalités de calcul des intérêts
  • au stade d’un refus de récupération d’aides non notifiées

    Le Conseil d’Etat précise alors que la légalité du refus opposé à une demande de récupération d’aides d’Etat lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne, dépend de l’appréciation par cette dernière, sous le contrôle du juge communautaire, de la compatibilité de ces aides avec le marché intérieur. La légalité de ce refus, afin de tirer les conséquences d’une décision de la Commission et du juge communautaire susceptibles d’être postérieures à ce refus, doit, dès lors, être appréciée par le juge national au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

 

VOICI CET ARRET :

Conseil d’État

N° 396651
ECLI:FR:CECHR:2020:396651.20200318
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème – 8ème chambres réunies
M. Sylvain Monteillet, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats

Lecture du mercredi 18 mars 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Autocars R. Suzanne et le Syndicat autonome des transporteurs de voyageurs (SATV) ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la région Ile-de-France, saisie le 2 octobre 2008, a refusé de mettre fin au versement des aides qu’elle accordait à des entreprises exploitant des lignes régulières de transport de voyageurs par route, d’abroger les délibérations instituant ce dispositif d’aide, de faire en sorte qu’il soit procédé à la récupération de toutes les sommes versées à des entreprises privées ou des collectivités publiques sur la base de ces délibérations et de communiquer la liste complète et détaillée des entreprises et collectivités bénéficiaires de ces aides.

Par un jugement n° 0817138/2-1 du 4 juin 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre le refus de la région d’abroger les délibérations instituant un dispositif d’aide ainsi que celles dirigées contre le refus de la région de communiquer la liste des bénéficiaires des aides. Il a annulé le refus implicite de la région de procéder à la récupération des aides déjà versées. Enfin, il a enjoint à la région d’émettre des titres exécutoires permettant la récupération des aides versées auprès des entreprises en ayant eu la jouissance effective dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Par un arrêt n° 13PA03172 du 27 novembre 2015, la cour administrative d’appel de Paris, sur appel de la région Ile-de-France, a annulé partiellement ce jugement pour irrégularité et a annulé la décision de refus implicite de la région de procéder à la récupération des aides déjà versées. Enfin, elle a enjoint à la région de déterminer, pour chaque entreprise bénéficiaire, les montants devant être restitués par cette entreprise ou la personne morale venant aux droits de celle-ci en tenant compte de la nature des investissements subventionnés et du type d’activité de transport ayant été exercée, puis de procéder à l’émission de titres de perception permettant la récupération de ces aides.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés les 2 février et 3 mai 2016, le 6 juin 2018 et le 12 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la région Ile-de-France demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du SATV et de la société Autocars R. Suzanne la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le traité instituant la Communauté européenne ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement n° 1191/69 du Conseil du 26 juin 1969, modifié par le règlement (CEE) n° 1893/91 du Conseil du 20 juin 1991 ;
– le règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 ;
– le décret n° 49-1473 du 14 novembre 1949 ;
– la décision de la Commission (UE) 2017/1470 du 2 février 2017 concernant les régimes d’aides mis à exécution par la France en faveur des entreprises de transport par autobus dans la région Ile-de-France;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de la région Ile-de-France et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Autocars R. suzanne ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une délibération du conseil régional du 20 octobre 1994, modifiée par deux délibérations des 1er octobre 1998 et 1er octobre 2001, la région Ile-de-France a mis en place un dispositif d’aide pour l’amélioration des services de transports en commun routiers exploités par des entreprises privées ou en régie. Par un jugement du 10 juillet 2008, confirmé par un arrêt du 12 juillet 2010 de la cour administrative d’appel de Paris devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi formé contre lui par une décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 23 juillet 2012, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 17 juin 2004 par laquelle le président du conseil régional a rejeté la demande du Syndicat autonome des transporteurs de voyageurs (SATV) d’abroger ces délibérations, en considérant qu’elles avaient institué un régime d’aides d’Etat illégal en l’absence de notification préalable à la Commission européenne. Par un courrier du 2 octobre 2008, le SATV et la société des Autocars R. Suzanne ont demandé à la région Ile-de-France, notamment, de procéder à la récupération de toutes les aides versées sur le fondement des délibérations précitées. Par un second jugement du 4 juin 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé le refus implicite de la région de procéder à la récupération des aides déjà versées et a enjoint à la région d’émettre des titres exécutoires permettant la récupération des aides versées auprès des entreprises en ayant eu la jouissance effective dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. Par un arrêt du 27 novembre 2015, la cour administrative d’appel de Paris a, aux articles 1er et 2, admis diverses interventions et annulé ce jugement en tant qu’il a statué sur les conclusions dirigées contre le refus implicite de la région de procéder à la récupération des aides, puis statuant par évocation a, aux articles 3 à 6, annulé ce refus implicite et enjoint à la région, dans un délai de neuf mois, de déterminer, pour chaque entreprise bénéficiaire, en tenant compte de la nature des investissements subventionnés et du type d’activité de transport ayant été exercée, les montants devant être restitués par cette entreprise ou la personne morale venant aux droits de celle-ci, puis de procéder à l’émission de titres de perception permettant la récupération de ces aides. La région Ile-de-France se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Eu égard aux moyens soulevés, son pourvoi doit être regardé comme tendant seulement à l’annulation des articles 3 à 6 de cet arrêt.

Sur l’intervention des sociétés Transports Marne et Morin, Cars Hourtoule, Daniel Meyer Transports et de l’association Optile

2. Les sociétés Transports Marne et Morin, Cars Hourtoule et Daniel Meyer Transports, dont il n’est pas contesté qu’elles ont bénéficié des aides et qui sont susceptibles d’être contraintes à les rembourser, de même que l’organisation professionnelle des transports d’Ile-de-France (Optile), association regroupant des entreprises exerçant une activité de transport routier régulier de voyageurs, ont intérêt à l’annulation de l’arrêt attaqué. Ainsi, leur intervention est recevable.

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêt attaqué

3. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne, alors applicable, devenu l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.  » Aux termes de l’article 88 du même traité, devenu l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » 1. La Commission procède avec les Etats membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces Etats (…) / 2. Si (…) la Commission constate qu’une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d’Etat n’est pas compatible avec le marché intérieur (…), elle décide que l’Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine (…). / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, (…) elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale (…) « .

4. Il résulte de ces stipulations, telles qu’interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes notamment dans ses arrêts du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich e.a., C-368/04, et de grande chambre du 12 février 2008, Centre d’exportation du livre français (CELF), C-199/06, que, s’il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle des juridictions de l’Union européenne, si une aide est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché intérieur, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sauvegarder, jusqu’à la décision finale de la Commission, les droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’État à la Commission. Il revient à ces juridictions de sanctionner, le cas échéant, l’illégalité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l’obligation, que ces stipulations imposent aux Etats membres, d’en notifier le projet à la Commission préalablement à toute mise à exécution. Lorsque la Commission a adopté une décision devenue définitive constatant l’incompatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction de cette illégalité implique la récupération de l’aide mise à exécution en méconnaissance de cette obligation. Lorsque la Commission a adopté une décision devenue définitive constatant la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la sanction de cette illégalité implique seulement, en l’absence de dispositions nationales imposant la récupération des aides dans cette hypothèse, que soit mis à la charge des bénéficiaires de l’aide le paiement d’intérêts, calculés conformément au règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en oeuvre du règlement (UE) n° 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, que l’entreprise aurait acquittés si elle avait dû emprunter sur le marché le montant de l’aide entre la date à laquelle elle lui a été versée et celle de la décision de la Commission européenne.

5. Pour annuler la décision implicite par laquelle la région Ile-de-France a refusé de procéder à la récupération des aides, la cour a relevé que l’illégalité tirée de l’absence de notification du régime d’aides à la Commission implique la restitution par les entreprises en ayant eu la jouissance effective, des aides versées sur le fondement de ce régime en l’absence de circonstances exceptionnelles susceptibles d’y faire obstacle. En s’abstenant de préciser le caractère provisoire de ces restitutions, alors que la récupération des aides ne peut être prononcée qu’à titre de mesure de sauvegarde dans l’attente de la décision de la Commission sur la compatibilité du régime d’aides avec le marché intérieur, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la région Ile-de-France est fondée à demander l’annulation des articles 3, 4, 5 et 6 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qu’elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, d’évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions des demandeurs de première instance dirigées contre le refus implicite de la région Ile-de-France de procéder à la récupération des aides en litige.

Sur la recevabilité des conclusions de première instance dirigées contre le refus de la région Île-de-France de procéder à la récupération des aides

8. Contrairement à ce que soutient la région Ile-de-France, le SATV et la société Autocars R. Suzanne ne demandent pas l’exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 10 juillet 2008 mentionné au point 1 mais l’annulation, pour excès de pouvoir, du refus opposé par la région Ile-de-France à leur demande du 2 octobre 2008 tendant à la récupération des aides. Ces conclusions sont recevables.

Sur la légalité du refus implicite de la région Île-de-France de procéder à la récupération des aides

9. La légalité du refus opposé à une demande de récupération d’aides d’Etat lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne, dépend de l’appréciation par cette dernière, sous le contrôle du juge communautaire, de la compatibilité de ces aides avec le marché intérieur. La légalité de ce refus, afin de tirer les conséquences d’une décision de la Commission et du juge communautaire susceptibles d’être postérieures à ce refus, doit, dès lors, être appréciée par le juge national au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

10. Par une décision (UE) 2017/1470 du 2 février 2017, la Commission a considéré, à la suite d’une procédure initiée par le dépôt d’une plainte, auprès d’elle, le 7 octobre 2008, que le régime d’aides litigieux est compatible avec le marché intérieur mais qu’il a été illégalement mis en exécution par le France entre 1994 et 2008, pour défaut de notification préalable. Par cinq arrêts T-289/17, T-291/17, T-292/17, T-309/17 et T-330/17 du 12 juillet 2019, qui n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi, le Tribunal de l’Union européenne a rejeté les recours de la région Ile-de-France et de plusieurs sociétés bénéficiaires de ce système d’aide dirigés contre cette décision de la Commission, en tant que cette dernière a qualifié le régime d’aides en cause de régime d’aides d’Etat et dans la mesure où il y est constaté que ce régime d’aides constitue un régime d’aides nouveau qui a été  » illégalement mis à exécution « . Cette décision est ainsi devenue définitive et s’impose aux autorités comme aux juridictions nationales, en tant qu’elle reconnaît l’existence d’un régime d’aides compatible avec le marché intérieur mais illégalement mis à exécution. Par suite, les moyens en défense tirés de ce que les aides attribuées n’avaient pas le caractère d’aides d’Etat, qu’elles étaient dispensées de notification préalable à la Commission et qu’elles devaient être regardées comme des aides existantes au sens de ce règlement ne peuvent qu’être écartés.

11. Compte tenu de l’intervention de la décision de la Commission du 2 février 2017 mentionnée au point précédent et dès lors qu’aucune disposition nationale n’impose de récupérer, outre les intérêts, les aides versées dans le cas d’un régime d’aides déclaré compatible avec le marché intérieur mais illégalement mis à exécution, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la décision par laquelle la région Ile-de-France a refusé de procéder à toute récupération des aides accordées en application des délibérations des 20 octobre 1994, 1er octobre 1998 et 1er octobre 2001 est illégale en tant seulement qu’elle ne procède pas à la récupération des intérêts.

12. La région Ile-de-France et plusieurs sociétés intervenantes soutiennent toutefois que des circonstances exceptionnelles s’opposaient à cette récupération. Tout d’abord, ils relèvent que la longue période de mise en oeuvre du régime d’aides et le délai de près de huit ans entre la décision d’ouverture d’une procédure d’examen préliminaire par la Commission et la décision d’ouverture d’une procédure d’examen formel par la même Commission ont pu faire naître une confiance légitime des bénéficiaires des aides dans la régularité du régime d’aides. Ensuite, ils relèvent que le remboursement des intérêts aurait mis les collectivités destinataires et les entreprises bénéficiaires dans une situation difficile. Enfin, ils relèvent que la récupération des intérêts présenterait des difficultés techniques.

13. Cependant, d’une part, l’existence d’une circonstance exceptionnelle ne peut en tout état de cause être retenue au regard du principe de confiance légitime, dès lors qu’ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes l’a jugé, notamment dans son arrêt du 29 avril 2004, Italie c/ Commission C-91/01, aussi longtemps que la Commission européenne n’a pas pris une décision d’approbation et que le délai de recours contre une telle décision n’est pas expiré, le bénéficiaire n’a pas de certitude quant à la légalité de l’aide, de sorte que ce principe ne peut être utilement invoqué. D’autre part, l’existence d’une circonstance exceptionnelle ne peut être retenue au regard du principe de proportionnalité, dès lors qu’ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne l’a jugé, notamment dans son arrêt du 11 mars 2010 Centre d’exportation du livre français (CELF II) C-1/09, la récupération d’une aide illégalement accordée, en vue du rétablissement de la situation antérieure, ne saurait être considérée en principe comme une mesure disproportionnée. Enfin, en se bornant à soutenir que la récupération des intérêts présenterait des difficultés techniques et mettrait les collectivités destinataires et les entreprises bénéficiaires dans une situation difficile, les requérants n’établissent pas que la récupération des intérêts en cause est absolument impossible.

14. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée de la région Ile-de-France doit être annulée en tant seulement qu’elle ne procède pas à la récupération des intérêts.

Sur les conclusions à fin d’injonction

15. L’exécution de la présente décision implique nécessairement, sans que puissent être utilement invoquées à ce stade les règles de prescription de l’article 2224 du code civil, d’enjoindre à la région Ile-de-France de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, les mesures nécessaires pour assurer le paiement, par chaque entreprise ayant exercé une activité sur un marché ouvert à la concurrence et ayant bénéficié du régime d’aides illégalement mis à exécution, des montants correspondant aux intérêts, calculés conformément au règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en oeuvre du règlement (UE) n° 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, que l’entreprise aurait acquittés si elle avait dû emprunter sur le marché le montant de sa subvention entre la date à laquelle elle lui a été versée et celle de la décision de la Commission européenne, c’est-à-dire le 2 février 2017, compte tenu, toutefois, des fractions de l’aide qui ont, le cas échéant, donné lieu, avant cette dernière date, à une réduction de la subvention d’exploitation à titre d’amortissements et compte tenu de l’éventuelle déduction, à cette occasion, d’intérêts financiers.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge du SATV et de la société des Autocars R. Suzanne qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 3 000 euros à répartir à parts égales, entre la SATV et à la société des Autocars R. Suzanne au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : L’intervention de la société Transports Marne et Morin, de la société Cars Hourtoule, de la société Daniel Meyer Transports et de l’organisation professionnelle des transports d’Ile-de-France est admise.
Article 2 : Les articles 3 à 6 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 27 novembre 2015 sont annulés.
Article 3 : La décision par laquelle la région Ile-de-France a refusé de procéder à la récupération des aides accordées en application des délibérations des 20 octobre 1994, 1er octobre 1998 et 1er octobre 2001 est annulée en tant seulement qu’elle ne procède pas à la récupération des intérêts.
Article 4 : Il est enjoint à la région Ile-de-France de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, les mesures nécessaires pour assurer le paiement, par chaque entreprise ayant exercé une activité sur un marché ouvert à la concurrence et ayant bénéficié du régime d’aides illégalement mis à exécution, des montants correspondant aux intérêts, calculés conformément au règlement n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en oeuvre du règlement (UE) n° 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, que l’entreprise aurait acquitté si elle avait dû emprunter sur le marché le montant de sa subvention entre la date à laquelle elle lui a été versée et le 2 février 2017, compte tenu, toutefois, des fractions de l’aide qui ont, le cas échéant, donné lieu, avant cette dernière date, à une réduction de la subvention d’exploitation à titre d’amortissements et compte tenu de l’éventuelle déduction, à cette occasion, d’intérêts financiers.
Article 5 : La région Ile-de-France versera la somme de 3 000 euros, à répartir à parts égales entre au Syndicat autonome des transporteurs de voyageurs et à la société des Autocars R. Suzanne, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par la région Ile-de-France, en appel et devant le Conseil d’Etat, ainsi que par les sociétés intervenantes, devant la cour administrative d’appel, sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la région Ile-de-France, au Syndicat autonome des transporteurs de voyageurs, à la société des Autocars R, Suzanne, à la société Transports Marne et Morin, à la société Cars Hourtoule, à la société Daniel Meyer Transports, à l’organisation professionnelle des transports d’Ile-de-France, à la société RATP Développement, à la société Transdev Ile-de-France, à la société Transports Rapides automobiles, à la société Cars Lacroix, à la société Transports Interurbains Val d’Oise, à la société des Courriers d’Ile-de-France à la société Ceobus, à la société Compagnie des transports voyageurs interurbains du Mantois, à la société des Transports de Saint-Quentin-en-Yvelines, à la société Les Cars Perrier, à la société Tim Bus, à la société Keolis Val d’Oise, à la société Garrel et Navarre, de la société Athis Cars, à la société Transports par autocars, de la société Transports Voyageurs Devillairs, à la société Keolis Yvelines, à la société Versaillaise de Transports urbains et à la société Transports voyageurs du Mantois.