Quand Tarn-et-Garonne débouche le port de Marseille…

Quand est conclue une convention d’occupation domaniale… et que le requérant attaque non pas celle-ci (par un recours dit « Tarn-et-Garonne »)  mais son acte d’approbation (par un recours pour excès de pouvoir), le juge confirme que les moyens que le requérant peut soulever s’avèrent fort peu nombreux. Bref, c’est une sardine procédurale qui a débouché, sinon le port de Marseille, tout au moins des fonds marins tous proches. 

 

Le projet de Musée Subaquatique de Marseille (MSM) devait être le tout premier musée totalement immergé en Méditerranée. Mais il a eu une histoire juridique et pratique riche de nombreux rebondissements (voir ici), dont moult péripéties contentieuses.

Un des points débattus était la légalité de l’acte par lequel le préfet Bouches-du-Rhône avait accordé à l’association Les Amis du musée subaquatique de Marseille la concession d’utilisation des dépendances du domaine public maritime pour une durée de 15 ans, en vue de créer au large de l’anse des Catalans à Marseille, à 100 m du rivage, ce musée subaquatique de 10 statues de 1,50 m de hauteur, en béton inerte, immergées sur des fonds de 5 m de profondeur et sur une superficie de 400 m2.

Voyons la position du TA de Marseille, puis celle du Conseil d’Etat (décision du 16 juillet 2020). Avec un enseignement juridique : l’interprétation limitée des vices propres pouvant être soulevés dans un recours contre l’acte d’approbation d’une convention d’occupation domaniale… quand en sus ou à la place le requérant n’a pas eu l’habilité d’engager un recours Tarn-et-Garonne.

 

I. La position du TA de Marseille

 

Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille avait suspendu l’exécution de ladite décision préfectorale autorisant le projet de musée subaquatique de Marseille.

Le juge des référés du tribunal avait estimé  tout d’abord que l’imminence, tant de l’immersion des statues, devant intervenir au mois mai 2019, que de l’ouverture au public du musée subaquatique, prévue pour le 8 juin 2019, était de nature à caractériser une situation d’urgence.

Surtout, le TA avait identifié deux moyens de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté, deux moyens qui sont autant d’indication sur que faire en pareil cas :

  • le juge des référés de ce TA avait d’abord accueilli favorablement le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques, qui impose à l’autorité compétente, avant de délivrer un titre habilitant une personne, qui en a spontanément manifesté l’intérêt, à occuper une dépendance du domaine public, de s’assurer au préalable par une publicité suffisante, de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente.Ce juge relève, à cet égard, qu’aucune des mesures prises dans le cadre de cette procédure ne pouvait être considérée comme ayant eu explicitement un tel objet.
  • Le juge des référés estime aussi que, faute que le dossier d’enquête publique ait comporté une note de présentation du projet envisagé, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 123-8 du code de l’environnement, énumérant les pièces à fournir pour permettre au public de donner un avis éclairé, est également de nature à faire naître un autre doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

 

Le TA avait prononcé, en conséquence, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 19 novembre 2018 autorisant l’utilisation des dépendances du domaine public maritime en vue de la réalisation du projet de musée subaquatique.

 

Voici cette décision : TA Marseille, 18 avril 2019, n° 1902792 :

 

II. La position du Conseil d’Etat

 

Le Conseil d’Etat commence par noter que les requérants n’ont pas attaqué le contrat conclu, mais l’arrêté.

Donc les requérants n’ont pas attaqué le contrat (la convention d’occupation domaniale) à l’occasion d’un recours où ils eussent pu soulever les problèmes de publicité et de mise en concurrence via ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne ».

Depuis l’arrêt éponyme, un tel recours des tiers est, sous certaines conditions, possible, directement, contre un contrat.

Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ou en l’espèce l’arrêté préfectoral.. ne sont plus recevables (sauf au titre de leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé ou d’actes antérieurs à 2014). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici).

Le juge va donc en général rejeter les recours contre les délibérations ou contre les arrêtés approuvant un contrat, mais accepter les recours contre ces actes administratifs pour les parties décisoires de ces délibérations qui, schématiquement, sont détachables des stipulations contractuelles (qui, elles, doivent donc donner lieu à des recours Tarn-et-Garonne en cas de recours de tiers).

Il peut en résulter des situations complexes. Voir par exemple :

 

DONC faute d’avoir fait un recours Tarn-et-Garonne en sus du recours contre l’arrêté, les requérants ne pouvaient soulever, dans le cadre du recours ainsi par eux engagé, des moyens relatifs au contrat lui-même.

Vae victis.

Dura lex sed lex.

Et autres maximes latines…

Exit le moyen tiré des mises en concurrence et publicité.

Exit aussi les autres moyens soulevés par la demande :

« qui ne mettent en cause aucun vice propre à l’acte d’approbation dès lors qu’ils sont tirés, en premier lieu, du non-respect de l’obligation de procéder à une évaluation environnementale préalable du projet prévue par l’article L. 122-1 du code de l’environnement, en deuxième lieu, de la méconnaissance de la règle posée par l’article R. 2124-1 du code général de la propriété des personnes publiques selon laquelle la concession des dépendances du domaine public maritime ne peut être conclue qu’  » en vue de leur affectation à l’usage du public, à un service public ou à une opération d’intérêt général « , ainsi que de la règle, résultant de l’article L. 2124-1 du code général de la propriété des personnes publiques, selon laquelle  » Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques (…) « , en troisième lieu, de l’incompatibilité de la concession domaniale avec les objectifs du plan d’action pour le milieu marin de la sous-région  » Méditerranée occidentale  » et, enfin, de l’erreur manifeste d’appréciation commise en accordant cette concession sans connaissance suffisante du contenu artistique du projet porté par l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille et de ses garanties financières. »

… C’est sur ce point que la décision du Conseil d’Etat est intéressante, nous semble-t-il, en ce qu’elle donne vraiment une acception, une interprétation limitée des vices propres pouvant être soulevés dans un recours contre l’acte d’approbation d’une convention d’occupation domaniale. 

 

 

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Iconographie (dessin) : atlantis-3110079_960_720.jpg sur Pixabay par werner22brigitte / 4878 photos

VOICI CETTE DÉCISION :

 

 

Conseil d’État

N° 430518
ECLI:FR:CECHR:2020:430518.20200716
Inédit au recueil Lebon
8ème – 3ème chambres réunies
M. Bastien Lignereux, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; LE PRADO, avocats

Lecture du jeudi 16 juillet 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

L’association Collectif de défense du littoral 13 a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 19 novembre 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé la convention conclue en vue de la concession à l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille de l’utilisation de dépendances du domaine public maritime pour une durée de 15 ans en vue de créer, au large de l’anse des Catalans à Marseille un  » musée subaquatique  » composé de statues immergées. Par une ordonnance n° 1902792 du 18 avril 2019, ce juge des référés, après avoir admis l’intervention en défense de l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille, a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 et 22 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille demande au Conseil d’Etat d’annuler les articles 2 à 4 de cette ordonnance et de mettre à la charge de l’association Collectif de défense du littoral 13 une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille et à Me Le Prado, avocat de l’association collectif de défense du littoral 13 ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. « .

2. Aux termes de l’article L. 2124-3 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Pour l’application des articles L. 2124-1 et L. 2124-2 et sans préjudice des articles L. 2124-27 à L. 2124-30, des concessions d’utilisation du domaine public maritime comportant maintien des terrains concédés dans le domaine public peuvent être accordées. Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions d’instruction et de délivrance de ces concessions. / Les concessions d’utilisation du domaine public maritime en dehors des ports font l’objet, avant leur approbation, d’une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement. (…) « . Aux termes de l’article R. 2124-2 de ce code :  » La demande de concession est adressée au préfet. (…) « . Aux termes de l’article R. 2124-7 du même code :  » Le projet fait l’objet, préalablement à son approbation, d’une enquête publique menée dans les formes prévues par les articles R. 123-2 à R. 123-27 du code de l’environnement. (…) A l’issue de l’enquête publique, la convention est approuvée par arrêté du préfet. En cas d’avis défavorable du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, le préfet peut néanmoins approuver la convention par arrêté motivé. (…) « .

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que, par un arrêté du 19 novembre 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé la convention conclue avec l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille lui accordant l’utilisation de dépendances du domaine public maritime pour une durée de 15 ans en vue de créer, au large de l’anse des Catalans à Marseille un  » musée subaquatique  » composé de statues immergées. L’association Les amis du musée subaquatique de Marseille se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 18 avril 2019 par laquelle le juges des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de suspension de l’exécution de cet arrêté présentée par l’association Collectif de défense du littoral 13 sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

4. Indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, dans les conditions définies par la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat. Ils ne peuvent toutefois soulever, dans le cadre d’un tel recours, que des moyens tirés de vices propres à l’acte d’approbation, et non des moyens relatifs au contrat lui-même.

5. Pour prononcer la suspension de l’arrêté préfectoral approuvant, sur le fondement des dispositions réglementaires du code général de la propriété des personnes publiques citées au point 2, la convention domaniale conclue avec l’association MSM, le juge des référés du tribunal administratif a jugé qu’étaient propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de cet arrêté, le moyen tiré de la méconnaissance de l’exigence de publicité prévue par l’article L. 2122-1-4 du même code, aux termes duquel :  » Lorsque la délivrance du titre mentionné à l’article L. 2122-1 intervient à la suite d’une manifestation d’intérêt spontanée, l’autorité compétente doit s’assurer au préalable par une publicité suffisante, de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente. « , ainsi que le moyen tiré de la méconnaissance des règles de composition du dossier d’enquête publique définies par l’article R. 123-8 du code de l’environnement. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 4 que de tels moyens, mettant en cause la régularité de la procédure conduisant à la conclusion de la convention domaniale et non des vices propres à l’acte d’approbation, ne pouvaient être utilement soulevés à l’appui du recours en excès de pouvoir dirigé contre l’arrêté préfectoral portant approbation de la convention. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif a méconnu son office en jugeant que ces moyens étaient de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté contesté. Les articles 2 à 4 de son ordonnance doivent dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens du pourvoi, être annulés.

6. Il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler dans cette mesure l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par le collectif de défense du littoral 13.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les moyens tirés de la méconnaissance de l’exigence de publicité prévue par l’article L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques et de la méconnaissance des règles de composition du dossier d’enquête publique définies par l’article R. 123-8 du code de l’environnement ne sauraient être regardés comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué dès lors qu’ils ne peuvent être utilement soulevés à l’appui du recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet arrêté. Il en va par ailleurs de même des autres moyens soulevés par la demande, qui ne mettent en cause aucun vice propre à l’acte d’approbation dès lors qu’ils sont tirés, en premier lieu, du non-respect de l’obligation de procéder à une évaluation environnementale préalable du projet prévue par l’article L. 122-1 du code de l’environnement, en deuxième lieu, de la méconnaissance de la règle posée par l’article R. 2124-1 du code général de la propriété des personnes publiques selon laquelle la concession des dépendances du domaine public maritime ne peut être conclue qu’  » en vue de leur affectation à l’usage du public, à un service public ou à une opération d’intérêt général « , ainsi que de la règle, résultant de l’article L. 2124-1 du code général de la propriété des personnes publiques, selon laquelle  » Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques (…) « , en troisième lieu, de l’incompatibilité de la concession domaniale avec les objectifs du plan d’action pour le milieu marin de la sous-région  » Méditerranée occidentale  » et, enfin, de l’erreur manifeste d’appréciation commise en accordant cette concession sans connaissance suffisante du contenu artistique du projet porté par l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille et de ses garanties financières.

8. Il en résulte, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que le collectif de défense du littoral 13 n’est pas fondé à demander la suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral du 19 novembre 2018.

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat et de l’association MSM qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du collectif de défense du littoral 13 la somme de 4 000 euros à verser au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille au titre de l’ensemble de la procédure.

D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 à 4 de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 18 avril 2019 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par le collectif de défense du littoral 13 au juge des référés du tribunal administratif de Marseille ainsi que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le collectif de défense du littoral 13 versera à l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’association Les amis du musée subaquatique de Marseille, à l’association Collectif de défense du littoral 13 et au ministre de l’intérieur.