Vaccination et Covid : la CEDH, avec ses nouvelles décisions, a une ligne claire et constante… dont la compréhension est hélas brouillée par des infox en tous sens [article mis à jour]

Article mis à jour au 11/10/2021

 

La CEDH vient de rendre une série de décisions.

Certains commentateurs en déduisent que la CEDH s’empare enfin du dossier et que bien sur la France sera condamnée pour avoir imposé le passe sanitaire et la vaccination. C’est pour l’essentiel faux même s’il faut évoquer la décision « Thévenon » rendue le 7 octobre 2021 par la cour (mais qu’il faut prendre pour ce qu’elle est et pas plus…)

D’autres commentateurs soulignent que la CEDH aurait rejeté tous les recours, via la décision « Zambrano », elle aussi rendue  le 7 octobre 2021. Ce qui n’est pas non plus totalement exact : au contraire, il semble possible que la CEDH s’empare du dossier au fond à bref délai.

Alors détaillons tout ceci car voir des décisions très claires, avec des communiqués de presse tout aussi clairs, de la Cour, continuer de donner lieu à autant d’infox donne tout simplement la nausée.

Un effet du vaccin sans doute… 

 

1/ Il est lu ici ou là que la CEDH est contre la vaccination obligatoire. Est-ce vrai ?

NON la CEDH ne prohibe pas le principe de la vaccination obligatoire. Elle en encadre les conditions et assure un contrôle de proportionnalité (y compris pour ce qui est des sanctions ou des effets sur les personnes qui refuseraient ladite vaccination), ce qui est très, très différent.

Pour la CEDH, est légale une stratégie de vaccination obligatoire répondant au besoin social impérieux de protéger la santé individuelle et publique contre les maladies bien connues de la médecine et d’éviter toute tendance à la baisse du taux de vaccination des enfants.

Une telle politique de vaccination obligatoire est  compatible avec l’intérêt supérieur des enfants, si des précautions nécessaires sont mises en place, notamment le contrôle de l’innocuité des vaccins employés et la recherche au cas par cas d’éventuelles contre indications.

La CEDH a estimé que n’était pas excessive en l’espèce l’amende infligée avec prise en compte de l’absence de conséquences pour l’éducation des enfants d’âge scolaire(caractère limité dans le temps des effets subis par les enfants requérants, leur statut vaccinal n’ayant pas eu d’incidence sur leur admission à l’école élémentaire).

La CEDH exerce sur ce point un contrôle de proportionnalité des mesures adoptées aux buts légitimes poursuivis.

Source :  voir l’arrêt (important) CEDH n° 47621/13 du 8 avril 2021, Vavricka c. République tchèque (§ 265 à 311).

 

 

2/ Peut-on saisir la CEDH avant épuisement des voies de droit interne ?

Oui mais dans des cas rares.

La CEDH (Cour européenne des Droits de l’Homme)… est une Cour que l’on ne saisit normalement qu’après épuisement des voies de droit interne.

OUI mais les requérants tentent à chaque fois de recourir à une procédure d’urgence, en général en se fondant sur les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.

En droit, il est vrai qu’existe un régime de référé même avant épuisement des voies de droit interne, devant la CEDH. Et ces requérants ont ainsi sorti En ce régime de son relatif anonymat, mettant sur le devant de la scène l’article 39 du règlement de la CEDH.

C’article 39 du règlement de la CEDH limite de telles saisines en adoption de mesures provisoires (sortes de référés donc) dans des cas très particuliers, à titre exceptionnel, lorsque les requérants seraient exposés – en l’absence de telles mesures – à un risque réel de dommages irréparables.

Sur cette notion, voir cette excellente fiche faite par les services de cette Cour, dont on rappelle qu’elle relève du Conseil de l’Europe (rien à avoir avec les institutions de l’UE donc) et qu’elle siège à Strasbourg :

 

 

3/ Dans le cadre très exceptionnel de cette sorte de référé (« adoption de mesures provisoires »)… la CEDH a-t-elle déjà eu à se prononcer sur le passe sanitaire et/ou sur la vaccination obligatoire contre la Covid-19 pour certains agents ?

Oui… et ce furent des rejets cinglants.

Avec les polémiques ébouriffantes que nous connaissons alimentées par de puissantes expertises sur Twitter, FaceBook et quelques médias, le 19 août 2021, 672 sapeurs-pompiers (professionnels et volontaires) des Services départementaux d’incendie et de secours de France (SDIS) ou travaillant dans le milieu hospitalier ont saisi la CEDH (Cour européenne des Droits de l’Homme)… au titre de ces procédures d’adoption de mesures provisoires (voir ci-avant 2/).

Leurs demandes étaient à ce titre radicales :

– À titre principal, de « suspendre l’obligation vaccinale telle que prévue par l’article 12 de la loi du 5 août 2021 ».

– À titre subsidiaire, de « suspendre les dispositions prévoyant l’interdiction d’exercer leur activité, opposée aux personnes n’ayant pas satisfait à l’obligation vaccinale », et de « suspendre les dispositions prévoyant l’interruption du versement de leur rémunération pour les personnes qui n’auraient pas satisfait à l’obligation vaccinale, telle que prévue par l’article 12 de la loi du 5 août 2021 ».

Ces requérants étaient très optimistes sur ces procédures. Y’en a qui osent tout… Et leurs recours fut rejeté.

Source : CEDH, 25 août 2021, Abgrall c. France, n° 41950/21 

Bis repetita ensuite avec la Grèce. Avec là encore des rejets de la CEDH par des décisions en date du 9 septembre 2021 :

  • Requête n° 43375/21 (Kakaletri et autres c. Grèce), introduite par 24 requérants dont 18 médecins indépendants et six salariés travaillant dans des établissements médicaux publics hellènes.
  • Requête n° 43910/21 (Theofanopoulou et autres c. Grèce), introduite par six fonctionnaires travaillant dans des établissements médicaux publics (médecins/infirmier/secouriste) grecs.

 

 

4/ Certes mais ces premières décisions d’août et de septembre de la CEDH ne sont que justifiées que par des simples considérations de procédure ?

Pas tout à fait : elles fournissent déjà un premier enseignement sur le fond du droit. Mais ces indications ne sont pas à sur-interpréter.

En effet la vaccination à court terme ne fait donc pas, selon la CEDH courir « un risque réel de dommages irréparables » à ces agents, ce qui est donc en soi déjà un premier enseignement… même s’il ne faut pas sur-interpréter des décisions rendues dans cette sorte de référé devant la CEDH.

D’autant que la CEDH à ce stade n’a pas eu à faire son contrôle de proportionnalité entre mesures prises et vaccination avec le volet d’appréciation des sanctions pour ceux qui refusent cette obligation vaccinale.

 

 

5/ Toutefois, la CEDH ne sera-t-elle pas tenue de bouger sous le flot des près de 18000 requêtes résultant de l’initiative d’un universitaire français, M. G. Zambrano ?

NON, bien au contraire. Une décision rédigée avec vigueur, rendue le 7 octobre 2021 par la CEDH, va tout à fait en sens contraire de ce qui était espéré via des harangues aussi youtubesques que gaguesques.

En effet, hier, dans sa décision rendue dans l’affaire Zambrano c. France (requête no 41994/21), la Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable.

Citons un extrait du communiqué de la Cour (le soulignement et la mise en gras sont de nous), d’une vivacité de plume rare dans les productions de cette juridiction :

« L’affaire concerne un maître de conférences, Guillaume Zambrano, qui se plaint du passe sanitaire institué en France en 2021 et qui a créé un mouvement pour lutter contre celui-ci. Sur son site, il propose à ses visiteurs de simplement compléter un formulaire déjà prérempli, afin de multiplier les saisines de la Cour européenne et de former une sorte de recours collectif, tout en insistant en des termes exempts d’ambiguïté sur le fait que l’objectif poursuivi est de provoquer « l’embouteillage, l’engorgement, l’inondation » de la Cour, de « paralyser son fonctionnement » ou encore « de forcer la porte d’entrée de la Cour » « pour faire dérailler le système ».
La Cour relève que la requête de M. Zambrano est irrecevable pour plusieurs raisons, à savoir notamment le non-épuisement des voies de recours internes et le caractère abusif de celle-ci au sens des dispositions de l’article 35 §§ 1 et 3 (conditions de recevabilité) de la Convention. Cette décision est définitive. En particulier, la Cour constate que M. Zambrano n’a pas contesté devant le juge administratif le respect par la loi du 5 août 2021 des articles de la Convention qu’il invoque devant la Cour. Elle note ainsi qu’un requérant qui saisit le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret d’application d’une loi ou une décision refusant d’abroger un tel décret peut invoquer, par la voie de l’exception, l’inconventionnalité de cette loi à l’appui de ses conclusions d’annulation. La Cour estime également que la démarche de M. Zambrano est manifestement contraire à la vocation du droit de recours individuel. Selon elle, il vise délibérément à nuire au mécanisme de la Convention et au fonctionnement de la Cour, dans le cadre de ce qu’il qualifie de « stratégie judiciaire » et qui s’avère en réalité contraire à l’esprit de la Convention et aux objectifs qu’elle poursuit.
La Cour constate aussi que près de 18 000 requêtes standardisées, introduites dans le cadre de la démarche initiée par M. Zambrano, ne remplissent pas toutes les conditions posées par l’article 47 § 1 (contenu d’une requête individuelle) du règlement de la Cour, malgré le délai accordé à leur représentant pour se conformer aux exigences pertinentes. Elles ne peuvent donc pas être examinées par la Cour.
[…] »

Requiem pour un con…tentieux de masse qui cache son nom.

Voici cette décision :

CEDH, 7 octobre 2021, no 41994/21 Guillaume ZAMBRANO contre la France

 

 

 

6/ Des médias ont signalé cette décision « Zambrano »… et ont parfois tranché en posant que cela sonne le glas des recours des antivax. Est-ce vrai ?

NON, pas totalement.

Car dans le même temps la CEDH a accepté d’examiner un autre recours : celui de Pierrick Thevenon.

 

 

7/ Ah. Et comme on peut le lire sur des forums de ceux qui sont contre cette obligation vaccinale, depuis hier, cette décision « Thévenon » en réalité va conduire à censurer la France ? Le simple fait que la CEDH s’empare de ce dossier n’est-il pas un signe ?

C’est très incertain. Expliquons pourquoi.

Les recours précités Abgrall, les recours grecs, les milliers de recours « Zambrano » ont été rejetés pour des raisons de procédure. Mais, déjà, on apprenait que la vaccination à court terme ne fait donc pas, pour la CEDH courir « un risque réel de dommages irréparables » à ces agents.

Alors pourquoi avoir accepté le recours « Thevenon » ?

Parce que M. Thevenon, cette fois-ci, au delà du recours en « mesure provisoire » qu’il avait déposé comme M. Abgrall (voir ci-avant 3/), a cette fois fait un recours classique au fond.

Quoique ce point soit à vérifier car il nous a été indiqué, par un des requérants semble-t-il, que ce recours était aussi sur la même base que les recours dits « Zambrano ». SAUF que la CEDH  commence son instruction en demandant à l’Etat français si les voies de droit interne sont bien épuisées (question que l’on peut certes poser, mais sans que cela ait un effet en réalité, sans que cela soit opérant, si on est en recours « mesures provisoires »).
Ce recours de ce que l’on peut voir en ligne (i.e. pas grand chose il est vrai) ne conduit pas à penser que c’est un recours article 39… Voir : https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22appno%22:[%2246061/21%22],%22itemid%22:[%22001-212466%22]}

Donc la CEDH accepte de l’examiner. C’est aussi simple que cela.

Et là, deux solutions :

  • soit il ressort de l’instruction (des questions ont été posées aux parties à ce sujet, dès hier, par la CEDH) que les voies de droit interne ne sont pas épuisées pour ce requérant (lequel est un sapeur-pompier professionnel refusant la vaccination obligatoire)… et nul doute que son recours sera ensuite rejeté pour irrecevabilité
  • soit il ressort de l’instruction que les voies de droit interne sont bien épuisées (ce dont on peut douter pour des raisons de délais mais bon à voir…) et en ce cas la CEDH examinera l’affaire au fond.

CAR LA DÉCISION THEVENON du 7 octobre 2021 EST UNE DÉCISION DE NON REJET, ET PAS UNE DÉCISION AU FOND DONNANT RAISON À CE SAPEUR POMPIER « ANTIVAX » (ou assimilé) CONTRAIREMENT À CE QUI EST PARFOIS AFFIRMÉ SUR LES RESEAUX SOCIAUX…

Et même dans cette dernière hypothèse, celle de l’admissibilité du recours dans son principe, je serais très surpris qu’il n’en résulte pas un rejet au fond. Car les précautions sur ce point de la loi française me semblent tout à fait passer aisément au crible de l’arrêt CEDH n° 47621/13 du 8 avril 2021, Vavricka c. République tchèque (§ 265 à 311)… évoqué ci-avant au point 1/… surtout si l’on combine cela avec les formations de la décision Abgrall précitée (voir ci-avant au point 4/).

Certes il y a-t-il une différence entre l’affaire n° 47621/13 d’avril 2021 et celle liée à la gestion de la pandémie en France… et oui la CEDH veut sans doute profiter de cette affaire (et/ou de quelques autres) pour fixer des limites sur ce point, c’est évident… limites qui seront sans doute un peu plus strictes s’agissant de vaccins qui ont été traités massivement contre le/la Covid-19 (donc avec un retour sur expérience énorme… mais avec un recul temporel faible, c’est vrai) et surtout avec des mesures sanitaires différentes que celles des vaccinations obligatoires usuelles. Le point qui diffère surtout, c’est que les conséquences sur les agents s’avèrent fort différentes de celles examinées dans l’affaire n° 47621/13. C’est là qu’une différence pourrait s’inviter et nous surprendre. Mais entre le fait que sur Thevenon les premières question posées sont sur l’épuisement des voies internes, ou non… et le fait que le mode d’emploi de la décision n° 47621/13 d’avril 2021 ne sera sans doute pas non plus bouleversé et qu’à cette aune là il me semble que le droit français respecte ledit mode d’emploi… je continue à penser qu’il est très très probable que le recours Thevenon sera rejeté. Ceci dit, il est toujours prudent d’être circonspect avant une décision de Justice. Mais bon là, même sans boule de cristal, je me lance et maintient une prévision pessimiste pour les auteurs de ce recours.

 

Voici cette décision :

CEDH, 5e S., 7 octobre 2021, Patrick Thevenon c. France, no 46061/21