Acquérir ou refuser d’acquérir un bien du domaine privé est une décision qui relève du juge administratif

Dans une affaire concernant une boucherie cannoise, le Tribunal des conflits a tranché : acquérir ou refuser d’acquérir un bien du domaine privé est une décision qui relève du juge administratif, tant pour l’appréciation de son illégalité supposée que pour la responsabilité qui peut en résulter.
Cette décision, à tout le moins, écorne les contours de sa devancière
TC, 22 novembre 2010, Société Brasserie du théâtre c/ Commune de Reims, n° C3764

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Le conseil municipal de la commune de Cannes a approuvé la proposition d’acquisition d’un fonds de commerce d’une boucherie. Il en résulte un compromis de vente. Mais, in fine, la commune décide de ne pas acquérir ce bien.

La boucherie attaque cette décision. Nul doute qu’il s’agit d’un bien qui, s’il avait été acquis, eut été au moins dans un premier temps du domaine privé de la collectivité. Mais cela n’en reste pas moins un acte de la collectivité, à propos d’un tel bien.

Or, la summa divisio en ce domaine est opérée entre :

  • la compétence du juge administratif pour connaître des actes de disposition portant sur le domaine (même privé) des personnes publiques. En 1982, par exemple, le Conseil d’Etat s’est estimé compétent pour connaître de la légalité d’une délibération par laquelle un conseil municipal décidait de vendre, sans aucune condition, un terrain à un particulier (avec création, par cette délibération, de droits au profit de l’acheteur : CE, 8 janvier 1982, Epoux Hostetter, n° 21510 ; ou sans création de droits si la délibération se contente d’autoriser le maire à signer une promesse de vente : CE, 2 avril 2015, commune de Case-Pilote, n° 364539 ; il en résulte que c’est alors le juge administratif qui va régler des problèmes classiques en droit privé consistant à savoir s’il y a eu ou non promesse synallagmatique de vente : CE, 15 mars 2017, Société Bowling du Hainaut, n° 393407),
  • la compétence du juge judiciaire pour connaître des actes de gestion du domaine privé (TC, 18 juin 2001, Lelaidier, n°C3241). Cette catégorie s’étend même à toute « contestation par une personne privée de l’acte, qu’il s’agisse d’une délibération du conseil municipal ou d’une décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu’en soit la forme, dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance » (sauf bien sûr si la convention d’occupation litigieuse comporte une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun : TC, 22 novembre 2010, Société Brasserie du théâtre c/ Commune de Reims, n° C3764 ; voir ensuite TC, 12 février 2018, n° C4109)

 

On le voit, notamment avec l’arrêt précité Société Brasserie du théâtre c/ Commune de Reims, la compétence judiciaire reste large, sauf clause exorbitante.

Mais cela allait-il jusqu’à donner compétence au juge judiciaire pour un refus d’acquérir le bien, dans cette affaire de boucherie cannoise ?

NON, vient de répondre le Tribunal des conflits par une décision qui prend un peu de champ par rapport à l’arrêt précité Société Brasserie du théâtre c/ Commune de Reims.

Dans cette nouvelle décision, le Tribunal des conflits juge que l’acte d’une personne publique, qu’il s’agisse d’une délibération ou d’une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif :

« 2. L’acte d’une personne publique, qu’il s’agisse d’une délibération ou d’une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif. Il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchée la responsabilité de cette personne publique à raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait.»

 

Source :

 

TRIBUNAL DES CONFLITS, 13 mars 2023, n° 4260 (ou C4260 ou C-4260)