Confirmation : méconnaître une convention collective peut rendre une offre irrégulière (et priver l’entreprise de se prévaloir d’un intérêt lésé au sens de la jurisprudence Tarn-et-Garonne)

Nouvelle diffusion

En 2021, nous commentions un arrêt, très clair, de la CAA de Nantes avec un article intitulé : « méconnaître une convention collective peut rendre une offre irrégulière »… et ladite CAA en avait même déduit que l’entreprise ayant ainsi méconnu une convention collective ne peut ensuite se prévaloir d’un intérêt lésé au sens de la jurisprudence Tarn-et-Garonne.
Or, dans toute sa sévérité, cet arrêt nantais a été confirmé par le Conseil d’Etat.
Revenons, donc, sur cette question. 

 

I. Position, en 2021, du juge d’appel (et qui déjà était une confirmation en DSP d’un point assez constant en droit des marchés publics) . Et se tromper de convention collective pour une entreprise entraînait non pas l’inacceptabilité de son offre… mais son irrégularité. Et puisque cette offre aurait du être éliminée, l’entreprise qui l’a déposée ne peut se plaindre d’avoir un intérêt lésé au sens de la jurisprudence Tarn-et-Garonne

 

Alors même que ni la législation applicable en matière de passation de délégations de service public, ni le règlement de consultation de la délégation de service public en litige ne prévoient un examen des offres au regard de la convention collective appliquée par l’entreprise candidate, la CAA de Nantes avait posé « qu’une offre qui méconnaît les stipulations de la convention collective applicable doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur » au point de devoir être considérée comme irrégulière pour ce qui est de la recevabilité à un recours contentieux (Tarn-et-Garonne en l’espèce).

Cette position, sévère, de la CAA en matière de DSP était une confirmation de ce que l’on savait déjà en matière de marchés publics (CE, 11 décembre 2013, Société antillaise de sécurité, n° 372214, T.).

En l’espèce, la communauté de communes Granville Terre et Mer avait engagé une consultation en vue de l’attribution de la délégation de service public afférente à l’exploitation de son centre aquatique.

La Cour administrative d’appel avait alors rappelé qu’un :

« candidat dont la candidature ou l’offre est irrégulière n’est pas susceptible d’être lésé par les manquements qu’il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu’il dénonce. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur. Un candidat dont l’offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait soulever un moyen critiquant l’appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel moyen n’étant pas de ceux que le juge devrait relever d’office. »

Le juge de première instance avait estimé que la société requérante avait déposé une offre inacceptable dès lors que, eu égard à l’objet du contrat de délégation portant essentiellement sur la gestion d’installations sportives, le titulaire de la délégation de service public ne pouvait faire application que de la convention collective nationale du sport et non, comme le prévoyait la société ADL, de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (ELAC).

Les premiers juges en ont déduit que les manquements qu’elle invoquait n’avaient pu la léser.

Après avoir analysé les champs d’application des conventions collectives en cause (une convention collective s’appliquant au regard de l’activité principal de l’employeur ou, parfois, de l’établissement, pour schématiser à grands traits), la cour a validé ce raisonnement du juge de premier degré, en posant que :

« 7. D’une part, il résulte des dispositions citées au point 5 qu’alors même que ni la législation alors applicable en matière de passation de délégations de service public, dont l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, ni le règlement de consultation de la délégation de service public en litige ne prévoyait un examen des candidatures au regard de la convention collective appliquée par l’entreprise candidate, une offre qui méconnaît les stipulations d’une convention collective doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur et revêt, dès lors, un caractère irrégulier. »

Dès lors :

« 9. Il résulte de tout ce qui précède que l’offre de la société ADL, méconnaissant les stipulations de la convention collective nationale du sport, doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur. Son offre était ainsi irrégulière, et non inacceptable ainsi qu’il a été jugé en première instance, et aurait pu pour ce motif être éliminée. Cette société n’est alors pas susceptible d’avoir été lésée par les différents manquements qu’elle invoque, alors même que son offre a été classée à l’issue de la procédure de passation du marché et rejetée pour un autre motif. Elle n’est pas davantage fondée à soutenir utilement que l’offre retenue aurait dû être écartée comme irrégulière ou inacceptable.
« 10. Il résulte de tout ce qui précède que la société ADL n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. »

Dès lors, se tromper de convention collective pour cette entreprise entraînait non pas l’inacceptabilité de son offre… mais son irrégularité. Et puisque cette offre aurait du être éliminée, l’entreprise qui l’a déposée ne peut se plaindre d’avoir un intérêt lésé au sens de la jurisprudence Tarn-et-Garonne.

NB de rappel : ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne » (capitale Montauban, qu’il est malsain de quitter même au contentieux), depuis l’arrêt éponyme, est le recours possible, directement, contre un contrat. Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ne sont plus recevables (sauf cas particuliers notamment pour leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé ou d’actes antérieurs à 2014). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici). Mais seuls les tiers lésés (et le préfet et les membres des assemblées délibérantes locales concernées) peuvent valablement déposer de tels recours. 

Source : CAA Nantes, 18 juin 2021, n° 20NT03004. 

NB 2 : voir la vidéo que j’avais faite en juillet 2021 au lendemain de cet arrêt (3 mn 47) :

https://youtu.be/zl-vkhe8Vyc

 

 

 

II. Une éclatante confirmation devant le Conseil d’Etat

 

La Haute Assemblée a ensuite confirmé cette position de la CAA de Nantes.

Le Conseil d’Etat commence par poser qu’il résulte de l’article L. 2261-15 du code du travail que les stipulations d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel rendues obligatoires par arrêté ministériel s’imposent aux candidats à l’octroi d’une délégation de service public (DSP) lorsqu’ils entrent dans le champ d’application de cette convention.

Par suite, il en déduit qu’une offre finale mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par l’autorité concédante et doit être écartée comme irrégulière par celle-ci…. privant la société :

  • lors de l’examen de son offre, de l’espoir de voir celle-ci être considérée comme recevable
  • au contentieux, de la possibilité de brandir un intérêt lésé pour tenter de fonder son recours Tarn-et-Garonne

 

Soit :

« 8. En estimant, après avoir relevé que l’activité confiée à l’attributaire de la délégation de service public en litige avait pour objet la gestion d’un équipement, composé de deux bassins et d’une fosse de plongée, dont la vocation est principalement sportive alors même qu’il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente, qu’elle ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d’application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels et qu’elle relève dès lors de la convention nationale du sport, la cour, qui n’était pas tenue de saisir l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle eu égard à la jurisprudence établie du juge judiciaire sur ce point, n’a pas commis d’erreur de droit, ni dénaturé les faits de l’espèce.
« 
9. En dernier lieu, alors même que l’offre du concurrent évincé demandant l’annulation du contrat de délégation de service public a été classée et notée, le pouvoir adjudicateur et l’attributaire du contrat peuvent se prévaloir devant le juge du caractère irrégulier de son offre pour soutenir que le demandeur ne peut utilement soulever un moyen critiquant l’appréciation des autres offres. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en écartant comme inopérants, au motif que son offre était irrégulière, les moyens qu’elle soulevait, nonobstant la circonstance, d’une part, que son offre ayant été classée et notée, ces moyens, en lien direct avec sa notation, étaient liés au motif de son éviction et, d’autre part, que le motif d’irrégularité de son offre n’avait pas été opposé par l’autorité concédante mais par l’attributaire de la concession.
« 
10. Il résulte de ce qui précède que la société Action développement loisir n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Par suite, son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Action développement loisir, sur le fondement de ces mêmes dispositions, une somme de 3 000 euros à verser, d’une part, à la société Vert Marine et, d’autre part, à la communauté de communes Granville Terre et Mer.»

 

Source :

Conseil d’État, 10 octobre 2022, n° 455691, aux tables du recueil Lebon