Émeutes : Un maire peut-il légalement instaurer une mesure de couvre-feu durant la nuit pour prévenir des troubles à l’ordre public ? [article de M. P.-L. AGBOBLY]

Article d’un de nos stagiaires M. Pierre-Louis AGBOBLY

 Un arrêté municipal du 29 juin 2023 a été adopté par le maire de la commune de Clamart et prévoyait l’instauration d’un couvre-feu de 21h à 6h du 29 juin 2023 au 3 juillet 2023.

Cet arrêté a fait l’objet de deux demandes de suspension par la voie du « référé liberté » de l’article L521-2 du Code de justice administrative :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Ces deux requêtes ont fait l’objet de deux ordonnances différentes mais dont les motifs retenus par le juge des référés sont sensiblement les mêmes.

Il était soutenu au sein des deux requêtes que la mesure aurait porté une atteinte grave et illégale à :

  • la liberté d’aller et venir
  • la liberté d’entreprendre
  • la liberté de travailler
  • le droit au respect de la vie privée et familiale

La première requête, introduite par un professionnel du droit, soutenait que la mesure adoptée serait trop générale en ce qu’elle serait motivée en termes généraux, qu’elle s’appliquerait sur une trop grande zone de la commune et ne prévoirait aucune dérogation notamment pour motif professionnel. La seconde requête évoquait, quant à elle, que la mesure porterait une atteinte disproportionnée, inadaptée et non nécessaire puisqu’elle s’applique dans un quartier où aucun trouble à l’ordre public n’aurait été constaté depuis le début des émeutes.

Ainsi le juge des référés du TA de Cergy-Pontoise devait-il opérer un contrôle de proportionnalité (CE, 19 mai 1933, Benjamin , n° 17413, au rec.) sur la mesure de police administrative adoptée par le maire de la commune de Clamart.

Pour ce faire, de manière commune au sein des deux décisions, le juge retient de manière très concrète les différents troubles à l’ordre public déjà constatés sur le territoire de la commune :

« des atteintes graves aux biens et à la sécurité des personnes ont d’ores et déjà été commises et constatées sur le territoire de la commune de Clamart depuis la soirée du 27 juin 2023, telles que d’importantes destructions par le feu de biens publics et notamment de mobiliers urbains, de moyens de transports publics et d’une rame du tramway T6 passant sur le territoire de la commune compris dans le périmètre du couvre-feu. De nombreux pillages et destructions de commerces, des menaces sur des agents du service public et des mises en danger de la vie d’autrui, ont aussi été constatés dans cette même zone.

 

Sont aussi relevés les risques de réitération de ce type d’évènements sur le territoire de la commune :

« Par ailleurs, la mesure contestée est justifiée par les éléments de preuve rapportés au cours de l’audience qui établissent l’existence d’appels précis et réitérés sur les réseaux sociaux à des actions concertées de violences et de destructions sur la commune de Clamar».

 

Enfin, il est retenu par le juge des référés que la mesure n’a vocation à s’appliquer que sur une très courte durée (un week-end seulement au moment où le recours est introduit). La mesure est donc limitée dans le temps.

De l’autre côté, le juge des référés prend en compte la situation personnelle de chaque requérant pour justifier le rejet des requêtes :

Au sein de la première ordonnance, le requérant faisait valoir sa qualité d’auxiliaire de justice (avocat en l’occurrence) et des exigences du service public de la justice qui en découlent (déplacements durant la période de couvre-feu). L’interdiction de déplacement constituerait « une assignation à résidence » empêchant le requérant d’exercer sa profession. A cette spécificité, le juge des référés retient que l’arrêté prévoit des dérogations aux obligations qu’impliquent le couvre-feu notamment pour les personnes qui concourent au service public de la justice. Sur ce point, il est relevé par le juge que le requérant entrait dans le champ de ces dérogations et ne justifiait ainsi d’une atteinte directe et personnelle dans les droits et libertés allégués.

Au sein de la seconde ordonnance, la requérante faisait valoir le fait qu’elle habite un quartier de la ville qui n’avait pas été touché par les émeutes (le quartier de la gare) alors que ce même quartier entre dans le champ d’application territorial de l’arrêté litigieux. L’interdiction l’empêcherait de mener une vie familiale normale. A cela, il est répondu que le quartier où réside la requérante présente une « vulnérabilité particulière » qui justifie telle une applicabilité.

Ainsi, au regard des circonstances (troubles à l’ordre public passés et sûrement à venir) et du caractère limité dans le temps de l’interdiction, la mesure est parfaitement proportionnée aux buts poursuivis, selon le juge des référés.

 

Source :

‎TA de Cergy-Pontoise, ord., 30 juin 2023, n° 2308852 et n° 2308902 [2 esp.]