Qui passe entre les gouttes… ne peut se plaindre de la durée de la pluie. Certes. Mais étendre ce parapluie aux contrôles devant les CRC (sauf débet) n’allait vraiment pas de soi…

Un comptable public concerné par une longue procédure devant les juridictions financières… mais sans être mis en cause personnellement… n’est pas fondé à demander indemnisation à l’Etat en tant que « justiciable ayant droit à ce que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable ». Ce qui n’allait pas forcément de soi puisque ce contrôle des comptes des comptables tel que pratiqué, en l’espèce, avant la réforme conduite par l’ordonnance du 23 mars 2022, était bien un contrôle juridictionnel pouvant engager la responsabilité personnelle, pécuniaire, du comptable public.

Bref, qui passe entre les gouttes… ne peut se plaindre de la durée de la pluie. Ce qui est logique. Mais pour le Conseil d’Etat, étendre ce principe aux contrôles des comptes des comptables publics d’avant l’ordonnance de 2022… c’est vraiment ouvrir bien grand le parapluie.

Il n’est pas certain que la CEDH serait d’accord, d’ailleurs. Ni que la frontière sur le moment où sera considéré comme mis en cause, personnellement, le comptable, en ressorte très clairement. 

 


 

 

 

Régulièrement, les Etats, dont la France, se font condamner par la CEDH pour la durée excessive de leurs procédures juridictionnelles.

Exemple : CEDH, 18 mars 2021, PETRELLA c. ITALIE, requête no 24340/07. 

Ainsi le Conseil d’Etat a-t-il censuré de telles méconnaissances, estimant notamment en 2002 que 7 ans de réflexion… c’était beaucoup pour une affaire simple. Citons le résumé des tables :

« Il résulte des stipulations des articles 6, paragraphe 1 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lorsque le litige entre dans leur champ d’application, ainsi que, dans tous les cas, des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Un délai de jugement de 7 ans et 6 mois pour une requête qui ne présente pas de difficulté particulière excède le délai raisonnable. »
Source : CE, Ass., 28 juin 2002, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Magiera, n° 239575, rec. p. 247.

 

 

Un arrêt du Conseil d’Etat vient :

  • de confirmer que, bien évidemment, cela s’applique aux contentieux propres aux juridictions financières du monde administratif (CRTC avant la réforme entrée en vigueur au 1/1/2023 ; Cour des comptes ; Cour d’appel financière… et CE). Nul ne pouvait en douter.
  • de préciser que le droit à indemnisation qui en résulte :
    • ne s’applique qu’aux justiciables (certes)
    • et que n’est pas un tel justiciable le comptable public dont la responsabilité personnelle n’a pas été mise en cause. Et ce même si ce comptable public :
      • avait vu ses comptes certes vérifiés par la CRC au titre d’une procédure, à l’époque, dans le cadre antérieur à la réforme de la responsabilité unifiée des comptables et des ordonnateurs entrée en vigueur au 1er janvier 2023, était juridictionnelle
      • a sans doute suivi avec anxiété tous les épisodes du feuilleton juridictionnel le concernant. 

 

Bref, un justiciable a droit à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable… Encore faut-il être directement justiciable.

Voici le futur résumé des tales du rec. sur ce point tel que préfiguré sur la base Ariane :

« Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, telles les juridictions financières, que les justiciables ont droit à ce que leur cause soit jugée dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Par suite, lorsque la longueur d’une procédure juridictionnelle les mettant en cause a excédé une durée raisonnable et leur a causé de ce fait un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi provoqué par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le comptable dont la régularité des comptes est vérifiée par la chambre régionale des comptes (CRC), en application des articles L. 111-1 et L. 211-1 du code des juridictions financières (CJF) dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, et qui n’a pas été appelé dans la procédure en qualité de mis en cause, n’est pas un justiciable au sens des règles énoncées ci-dessus.»

 

 

En l’espèce, en janvier 1999, un trésorier-payeur-général a saisi la CRC de l’ensemble des comptes établis par un comptable public au titre d’opérations, concernant un lycée professionnel, pour les exercices de 1994 à 1998, à t-divers titres.

La CRC a fini par donner quitus à ce comptable, et ce au terme de trois jugements, entre 2001 et en 2005, puis par une ordonnance du Président de la CRC rendue en 2012.

Le Conseil d’Etat commence par rappeler le principe de base :

« 3. D’autre part, il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, telles les juridictions financières, que les justiciables ont droit à ce que leur cause soit jugée dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Par suite, lorsque la longueur d’une procédure juridictionnelle les mettant en cause a excédé une durée raisonnable et leur a causé de ce fait un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi provoqué par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. »

Certes.

Mais, et c’est là le point principal :

« 4. Le comptable public dont la régularité des comptes est, en application des dispositions mentionnées au point 2, vérifiée par la chambre régionale des comptes, et qui n’a pas été appelé dans la procédure en qualité de mis en cause, n’est pas un justiciable au sens des règles énoncées au point 3. »
« […]
« 6. Il résulte également de l’instruction que la procédure rappelée au point précédent s’est déroulée sans mise en cause de M. A… en sa qualité de comptable public, en vue de sa mise en débet. Cette procédure ne peut donc être regardée comme une des procédures juridictionnelles mentionnées au point 3, et M. A… n’a jamais eu la qualité de justiciable. Par suite, ce dernier n’est pas fondé à demander la réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de la durée de la procédure conduite devant la chambre régionale des comptes de la Martinique. »

… Ce qui vu le caractère juridictionnel du contrôle des comptes tel que pratiqué avant la réforme l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.. n’allait vraiment pas de soi.

Il n’est pas certain que la CEDH serait d’accord, d’ailleurs. Ni que la frontière sur le moment où sera considéré comme mis en cause, personnellement, le comptable, en ressorte très clairement.

Si la responsabilité pour durée excessive de la Justice s’applique au comptable uniquement mis en débet (dans le régime applicable avant 2023, encore une fois)… cela reviendrait à ne juger la durée du contentieux qu’à l’aune de son verdict final, ce qui n’est pas du tout conforme au principe de cette indemnisation pour contentieux à durée excessive (d’ailleurs sinon cela revient à pouvoir n’indemniser que les personnes condamnées et pas celles dont les comptes ont été validés avec quitus !? et qui pourtant avaient encore moins de raison de subir un contentieux à durée excessive ?). Cela dit, à ce sujet précis, on pourrait déduire que la frontière serait la possible évocation d’une mise en débet au fil de la procédure (voir le point 6., précité, de la décision du Conseil d’Etat)… Ce qui est très artificiel puisque tout contrôle à l’époque des comptes, un peu long et compliqué, faisait craindre une mise en débet au comptable public ! C’était évidement là, à l’époque, sa crainte première au moindre écueil dans ce contrôle. L’ignorer relève de la naïveté ou de l’aveuglement.

Bref, on comprend que le Conseil d’Etat ait ouvert le parapluie pour les CRC et CTC (CRTC donc, dans notre petit monde) dont les tâches sont ardues

Il nous semble qu’il eût été été mieux inspiré d’accepter de tels recours par principe, quitte à être compréhensif sur les difficultés des CRTC. Cette solution plus favorable aux justiciables eût conduit à un petit flux de contentieux qu’il est plus commode de bloquer ab initio… Mais nul doute que jamais le conseil d’Etat ne ce sera abaissé à prendre ces paramètres vulgaires en considération.

 

Source :

Conseil d’État, 31 octobre 2023, n° 464858, aux tables du recueil Lebon