Commande publique et action indemnitaire pour pratiques anticoncurrentielles : quand la prescription commence-t-elle ? [VIDEO]

Nouvelle diffusion 6 mois après l’arrêt de Section du Conseil d’État, 9 mai 2023, n° 451710, au recueil Lebon

Commande publique et action indemnitaire pour pratiques anticoncurrentielles : quand la prescription commence-t-elle ?

Réponse au fil d’une vidéo puis d’un article.

 

 

I. VIDEO

Voici une courte vidéo (5 mn 08) que je présente avec mon associée Evangelia Karamitrou :

https://youtu.be/yNrZz7cXNHQ

 

II. ARTICLE

En cas de pratique anticoncurrentielle, le juge accepte, surtout depuis 2020, une riposte juridique plus vigoureuse des personnes publiques victimes.

Sources : CE, 10 juillet 2020 n° 420045 et n° 430864 [2 espèces différentes] ; CE, 10 juillet 2020 n° 429522 ; CE, 27 mars 2020, n° 420491 et n° 421758 [2 espèces différentes].

Il admet même une mise en cause solidaire des entreprises concernées, même non cocontractantes. Il peut donc y avoir imputabilité aux membres de l’entente (« effet d’ombrelle ») .

Source : CE, 12 octobre 2020, n° 432981 433423 433477 433563 433564, aux tables. 

Avec une prescription à durée variable selon la date de connaissance des faits (avec application d’une règle de succession des règles dans le temps)

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient, sur le fondement de l’article 2270-1 du code civil, par dix ans à compter de la manifestation du dommage.

Après l’entrée en vigueur de cette loi et jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, l’article 2224 du code civil prévoit que ces actions se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de les exercer.

A noter : cette ordonnance de 2017 maintient un délai de prescription de 5 ans, mais avec un point de départ plus tardif désormais (voir sur ce point le rapport de l’ordonnance, lire à compter de la description du chapitre II : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034160176?tab_selection=all&searchField=ALL&query=2017-303&page=1&init=true).

L’arrêt du 12 octobre 2020, précité, précise la prescription applicable quand une personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l’étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle avait été victime à la date de la publication de la décision de la Commission européenne sanctionnant l’entente et que court alors :

• le délai prévu par l’article 2270-1 du code civil ayant commencé à courir à cette date devant expirer au bout de dix ans.

• mais ensuite aussi le délai de cinq ans prévu par l’article 2224 du code civil, ayant commencé à courir le 19 juin 2008, lendemain de la publication de la loi du 17 juin, expirant à une date antérieure.

Lorsque le tribunal administratif est saisi avant cette dernière date, l’action indemnitaire n’est pas prescrite, conclut le juge.

Source : CE, 12 octobre 2020, n° 432981 433423 433477 433563 433564, aux tables

Oui mais quand commence-t-il ce délai ? Quel est le point de départ en matière de prescription ?

L’arrêt précité du 12 octobre 2020 précise que ce point de départ est lorsque la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l’étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle avait été victime.

Source : CE, 12 octobre 2020, n° 432981 433423 433477 433563 433564, aux tables

En 1988, la région Île-de-France a lancé un programme de rénovation et de reconstruction de lycées… avec de nombreuses pratiques anticoncurrentielles pour des sommes faramineuses.

241 marchés publics, dont 101 marchés avec des entreprises de travaux publics, ont été conclus entre 1988 et 1997 pour un coût global de 23,3 milliards de francs soit plus de 3,5 milliards d’euros.

Avec des sanctions (par le juge pénal et par le Conseil de la concurrence) en 2007.

À partir de 2010, la nouvelle direction de la région Île-de-France a saisi la justice civile puis administrative afin d’obtenir la réparation du préjudice matériel qu’elle a subi du fait de ces pratiques anticoncurrentielles.

En CAA puis devant le Conseil d’Etat s’est posée la question de savoir si ces sommes étaient, ou non, prescrites.

Le Conseil d’Etat juge que lorsque les organes dirigeants d’une personne publique ont participé aux pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, de sorte qu’elle n’a pu faire valoir ses droits à réparation en raison de leur implication, la prescription ne peut débuter que lorsque ses nouveaux organes dirigeants, étrangers aux pratiques litigieuses, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l’étendue de ces pratiques.

En l’espèce, la Région ne pouvait faire valoir ses droits plus tôt : ses dirigeants de l’époque avaient eux-mêmes pris part à la fraude et l’étendue des pratiques n’était pas connue avant la décision du Conseil de la concurrence de 2007. C’est pourquoi la saisine de la justice en 2010 a bien été faite dans les délais.

D’où le résumé des tables que voici, pour cette décision qui sera publiée en intégral au recueil Lebon :

« Il résulte de l’article 2224 du code civil, du II de l’article 26 de loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, de l’article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, des articles L. 481-1 et L. 482-1 du code de commerce et de l’article 12 de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Après l’entrée en vigueur de cette loi, la prescription de ces conclusions est régie par l’article 2224 du code civil fixant une prescription de cinq ans. S’applique, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 mars 2017 relatives aux actions en dommage et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, l’article L. 482-1 du code de commerce. 2) a) Pour l’application de l’ensemble de ces dispositions, le délai de prescription qu’elles prévoient ne peut commencer à courir avant la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l’étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés. b) Dans l’hypothèse où le préjudice de la personne publique résulte de pratiques auxquelles ses organes dirigeants ont participé, de sorte qu’en raison de leur implication elle n’a pu faire valoir ses droits à réparation, la prescription ne peut courir qu’à la date à laquelle, après le remplacement de ses organes dirigeants, les nouveaux organes dirigeants, étrangers à la mise en oeuvre des pratiques anticoncurrentielles, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l’étendue de ces pratiques. »

Avec, aussi, cet apport en matière de recevabilité des pourvois contre des arrêts avant-dire droit (expertise notamment) :

« La recevabilité d’un pourvoi dirigé contre un arrêt avant-dire droit se bornant à prescrire une expertise est limitée à la contestation de l’utilité de cette expertise et à la contestation des motifs de cet arrêt qui constituent le soutien nécessaire de la mesure d’instruction ordonnée. 2) Motifs de l’arrêt avant-dire-droit retenant l’engagement de la responsabilité des auteurs du dommage, en tenant compte d’une faute commise par la victime. Dispositif de l’arrêt ordonnant une expertise sur le montant du préjudice subi et réformant le jugement, qui avait rejeté la demande tendant à l’engagement de la responsabilité, en ce qu’il est contraire à l’arrêt. Un pourvoi dirigé contre cet arrêt avant-dire-droit est recevable à contester l’arrêt en tant qu’il engage la responsabilité des auteurs du dommage et en tant qu’il retient un partage de responsabilité entre ces auteurs et la victime. »

Voir sur ces points  : CE, 22 novembre 2019, SNCF Mobilités, n° 418645, T. pp. 603-605-819 ; CE, 12 octobre 2020, Société Mersen et autres, n°s 432981 433423 433477 433563 433564, T. pp. 638-822-990. Rappr., s’agissant de la recevabilité en appel, CE, 10 octobre 2018, Communauté d’agglomération du bassin de Thau et autres, n°s 402975 402983 403052, T. pp. 836-864-869.

Source :

Conseil d’État, Section, 9 mai 2023, n° 451710, au recueil Lebon