Décision environnementale et prise en compte des besoins et des libres choix des générations futures… Le principe récemment dégagé par le Conseil constitutionnel, déjà transposé dans une ordonnance d’un TA !

Le 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel, validant le régime législatif pour le centre d’enfouissement de Bures pour les déchets radioactifs, avait posé un principe nouveau et important :

« 6. Il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. »

Avec bien sûr un contrôle du motif d’intérêt général et de la proportionnalité comme toujours en matière environnementale :

« 7. Les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.»

Source :

Décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres [Stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs], Conformité

… et nul doute que ce qui s’impose au législateur s’applique de plus fort à l’administration.

Cette importante décision n’aura pas mis longtemps avant que d’être, de manière assez éclatante, appliquée par un TA. En l’espèce, celui de Strasbourg.

Par une ordonnance de référé rendue le 7 novembre 2023, ce tribunal administratif a, en effet, suspendu l’arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin avait prolongé, pour une durée illimitée, l’autorisation donnée à la société des Mines de Potasse d’Alsace de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim.

Les faits de l’espèce, tels qu’appréhendés par le juge, apparaissent clairement via l’étude de l’urgence :

« 5. L’arrêté litigieux autorise le stockage de produits dangereux pour une durée illimitée et de manière irréversible à environ cinq cents mètres en-dessous de la nappe phréatique d’Alsace et il ressort des pièces du dossier que le démarrage des travaux nécessaires à sa réalisation est imminent. Par ailleurs, ces travaux doivent débuter par le remblayage définitif du bloc 15 où sont entreposés des déchets dont la nature est en partie indéterminée, comme l’a relevé la mission d’information sur le site de stockage souterrain de déchets Stocamine de l’Assemblée nationale dans un rapport déposé le 18 septembre 2018, ce qui a conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire actuellement confiée à Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique par le ministère public près le tribunal judiciaire de Strasbourg. Enfin, si le préfet du Haut-Rhin et la société des Mines de Potasse d’Alsace font valoir qu’il y a urgence à effectuer les travaux au motif que la mine ne serait accessible dans des conditions de sécurité acceptables que jusqu’en 2027, compte tenu notamment du phénomène convergence des galeries de stockage résultant du fluage du sel, ils ne démontrent pas que ces travaux n’auraient pu être effectués auparavant et ne sont dès lors pas fondés à se prévaloir de cette circonstance. Par suite, à supposer que les réserves formulées par la commission d’enquête publique le 26 juin 2023 aient été levées, la condition d’urgence prévue par les dispositions précitées doit, en tout état de cause, être considérée comme étant remplie.»

 

Mais c’est de manière laconique, quoique clairement en reprise de la formulation retenue par le Conseil constitutionnel (mais de manière étagement un brin abrégée, sans doute pour éviter d’avoir à transposer la référence au législateur, transposition qui eût été potentiellement source de difficultés en cas de recours contre l’ordonnance…) que le fond est abordé (la mise en gras souligné étant bien sûr de nous !) :

« 6. En l’état de l’instruction, les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 1er de la Charte de l’environnement, éclairé par le septième alinéa de son préambule, de celle de l’article L. 211-1 du code de l’environnement et de ce qu’il n’est pas justifié que les déchets stockés dans le bloc 15 ne peuvent être déstockés sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté. Par suite, il y a lieu d’ordonner la suspension de son exécution.»

Le lien avec le principe dégagé par le Conseil constitutionnel est particulièrement net quand on voit que c’est l’irréversibilité en l’espèce des mesures prises qui conduit largement à la censure, à savoir la prise en compte des besoins et des libres choix des générations futures… 

Le juge des référés de ce TA a également enjoint au préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la maintenance du site et de l’ensemble des galeries.

Voici cette décision :

TA Strasbourg, ord., 7 novembre 2023, n°307183