De l’intérêt, en urbanisme, de se fonder sur des données récentes, raisonnables et complètes…

Par ambition, par intérêt politique, par optimisme… ou pour contourner les diverses règles imposant une plus grande sobriété foncière, il n’est pas rare de voir des PLU, des PLUI et/ou des SCOT s’abandonner à des projections décorrélées de la réalité… voire fondées sur des données trop anciennes (en général un peu pour faire des économies d’études et beaucoup pour masquer l’accélération du déclin démographique de certains territoires). 

Le problème est que le juge censure ces petites ruses tissées en général de grosses ficelles, et ce avec rigueur et constance. 

De l’intérêt, en urbanisme, de se fonder sur des données récentes, raisonnables et complètes… Voyons ceci via deux illustrations jurisprudentielles récentes. 

Il va de soi qu’en urbanisme, il n’est pas question d’adopter un PLU ou un SCOT sur des données remontant à Mathusalem.

Néanmoins, régulièrement, le juge continue d’annuler des documents d’urbanisme ayant oublié cette évidence. Et leur énumération peut surprendre par sa régularité. Elle peut amuser aussi… mais au détriment des collectivités concernées.

Ajoutons qu’à l’heure du ZAN, le mode de calcul des espaces urbanisés impose, encore plus qu’auparavant, des données à jour. Puisque c’est sur la base de l’extension urbaine de ces dernières années (qui doit donc être bien chiffrée avec des informations récentes) qu’on pourra plafonner la future.

Alors un grand merci à Mme Amélie Dauger, DGS, d’avoir attiré mon attention sur deux décisions récentes qui illustrent à quel point, en effet, il s’impose de se fonder sur des décisions récentes et complètes :

  • dans la première décision, pour le PLUI valant SCOT pour une communauté de communes morbihanaise, :
    • la délibération de 2019 se fondait sur des données arrêtées en 2012, soit plus de 6 ans avant la date d’approbation du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), alors qu’entre temps la croissance de la population s’était considérablement tassée (ce qui avait été souligné par la commission d’enquête publique, le préfet, la MRAe…)
    • ceci se retrouve aussi, par voie de conséquence, en termes d’artificialisation des terres contrairement à la volonté affichée de sobriété foncière au point que :
      • « Les objectifs de croissance démographique définis par la communauté de communes Questembert communauté ont eu une incidence sur les objectifs retenus en matière de construction de logements et de consommation foncière et ce dernier objectif n’apparaît, à la date de la délibération contestée, compatible ni avec les besoins réels de la commune en matière de logement, ni avec la maîtrise du développement urbain, ni avec une utilisation économe des espaces naturels. Dans ces conditions, et en dépit de ce que la consommation d’espace projetée serait moins importante que celle qu’a connue le territoire au cours de la période précédente, le PLUi contesté doit être regardé comme incompatible avec le principe d’équilibre résultant du 1° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme.»
    • source : CAA Nantes, 26 mars 2024, 22NT03863
  • dans la seconde décision, qui nous fait passer d’Ouest en Est :
    • est retenue l’insuffisante du rapport de présentation (au sens de l’article L. 141-3 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable au litige) :
      • avec là encore des estimations démographiques largement surestimées selon le juge. Le syndicat de SCOT tablait sur « une augmentation de 20 % sur une période d’environ vingt ans », prévision autoqualifiées de « volontaristes ». Ce qui se comprend (vive le volontarisme en termes de politiques territoriales !) mais doit rester raisonnable qui ne se retrouvent, selon le juge, pas dans les « documents fournis par l’appelant » et qui sont contredits par les autres conclusions des personnes publiques (là encore, préfet, MRAe…).
      • l’insuffisance du rapport de présentation a été aussi constatée par le juge (avec hélas un laconisme sur ce point qui ne permet pas d’en savoir plus) s’agissant de la prise en considération du nombre de logements vacants
      • et par voie de conséquence un autre grief est retenu, fondé sur les articles L. 141-1 et sur l’article L. 101-2 du même code, que revoici donc, logiquement, et ce en ces termes :
      • 18. Les dispositions citées au point précédent énoncent des objectifs à prendre en compte par les collectivités publiques, au nombre desquels figurent le développement urbain maîtrisé et la gestion économe des sols. Il appartient aux auteurs d’un schéma de cohérence territoriale de déterminer le parti d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le schéma, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir ainsi que de fixer notamment en conséquence les besoins d’urbanisation. Leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu’au cas où elle serait entachée d’une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts.
        « 19. Il ressort des pièces du dossier qu’en raison de prévisions démographiques erronées, le conseil syndical a adopté par la délibération du 24 février 2020 un schéma de cohérence territorial qui prévoit sur une durée de quinze ans une artificialisation de 744 hectares de terrain, ce qui correspond à 6 % du territoire concerné par le SCOTAT soit une augmentation de 5,8 % de la surface des terrains artificialisés. Cette artificialisation supplémentaire a pour objectif la construction de 28 738 logements dont il n’est nullement établi qu’ils correspondent effectivement à un besoin de la population, au vu tant de son augmentation de manière générale que du taux de desserrement des ménages constaté dans le secteur. Par suite, le syndicat mixte n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont estimé que le comité syndical, qui de surcroît a fondé sa décision sur des faits matériellement inexistants, a commis une erreur manifeste dans l’application des dispositions citées au point 17 de cet arrêt.»
    • source : CAA de Nancy, 11 avril 2024, 23NC00784