Les procédures tenant à ce que soient exécutées les jugements et arrêts des juridictions administratives sont devenues multiples et, même, efficaces. Au nombre de celles-ci se trouve la saisine directe du juge afin que soient exécutées les décisions de celui-ci (I).
Le régime d’échanges contradictoire de pièces lors de telles procédures vient d’être précisé par le Conseil d’Etat (II).

I. Petit rappel du régime de saisine du juge pour que soient exécutées ses décisions
Pour que les jugements et arrêts des juridictions administratives soient bel et bien exécutées, tout un arsenal s’est développé :
- avec des injonctions dites « préventives » dès la décision du juge (art. L. 911-1 et s. du CJA)… selon un régime d’ailleurs précisé par deux très importantes et récentes décision du Conseil d’Etat (CE, Ass., 11 oct. 2023, Amnesty International France, n° 454836 ; CE, Ass., 11 octobre 2023, LDH et autres, n° 467771 et 467781.. Voir ici pour un article et une vidéo à ce sujet)
- demande d’inscription au budget et/ou de mandatement d’office des dépenses correspondantes
- saisine du juge pour lui demander comment appliquer la décision (article R. 921-1 du CHA)
- parfois recours en annulation de la décision de refus d’exécuter la décision
- rares cas de sanction pénale pour une telle inexécution (notamment s’il en résulte une mise en danger de la vie d’autrui, pour certains pouvoirs de police par exemple)
- régime de responsabilité devant la Cour des comptes des élus et des agents publics qui, y compris par inertie, s’opposent à cette application des jugements et arrêts… voir Cour des comptes, 31 mai 2023, Commune d’Ajaccio, n°S-2023-0667.Voir antérieurement CDBF, 20 déc. 2001, n° 469 et CDBF, 11 févr. 1998, n°122-346. Infractions financières : 1° et 2° de l’article L. 131-14 du Code des juridictions financières (CJF). Voir ici un article et là une vidéo.
- et puis, il y a le régime de saisine, à nouveau, du juge pour que soit exécutée la décision de celui-ci. Citons sur ce point les articles L. 911-4 et L. 911-5 du CJA :
- « Article L. 911-4
En cas d’inexécution d’un jugement ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d’en assurer l’exécution.
Si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas défini les mesures d’exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d’exécution et prononcer une astreinte. - « Article L. 911-5
En cas d’inexécution d’une de ses décisions ou d’une décision rendue par une juridiction administrative autre qu’un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat peut, même d’office, lorsque cette décision n’a pas défini les mesures d’exécution, procéder à cette définition, fixer un délai d’exécution et prononcer une astreinte contre les personnes morales en cause.
Lorsqu’une astreinte a déjà été prononcée en application de l’article L. 911-3, il n’est pas prononcé de nouvelle astreinte.
Les pouvoirs attribués au Conseil d’Etat par le présent article peuvent être exercés par le président de la section du contentieux.[…] »
- « Article L. 911-4
Il s’agit bien uniquement de demander l’exécution de la chose jugée, et nullement de rejuger l’affaire. Dès 2004, le Conseil d’Etat a ainsi bien précisé que s’il appartient au juge de l’exécution, saisi sur le fondement des dispositions de cet article L. 911-4, d’ordonner l’exécution de la chose jugée, il n’a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l’exécution lui est demandée (CE, 3 mai 2004, n° 250730, rec. T. pp. 838-841).
Il s’agit en effet de faire respecter aussi le principe de la chose jugée et de considérer les limites de ce régime qui n’est pas une faculté de rejuger une affaire, et ce même si la saisine du juge est alors effectuée en plein contentieux ce qui conduit la juridiction à pouvoir prendre en compte les faits au jour où il statue CE, 4 juillet 1997, n° 156298, RFDA 1997, p. 815, concl. R. Abraham). Quoiqu’on soit en plein contentieux, ce recours est dispensé de ministère d’avocat (solution implicite : CE, 29 mai 2019, n° 424730 ; voir explicitement à l’article R. 911-4 du CJA).
Cela dit, le juge peut, à cette occasion, « apprécier l’opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou qu’il prescrit lui-même par la fixation d’un délai d’exécution et le prononcé d’une astreinte suivi, le cas échéant, de la liquidation de celle-ci, en tenant compte tant des circonstances de droit et de fait existant à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par les parties tenues de procéder à l’exécution de la chose jugée ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l’être » (CE, 23 mars 2015, n° 366813, rec. p. 111).
En cas d’inexécution d’une décision juridictionnelle avant dire droit de régularisation (urbanisme ; autorisation environnementale), ce mode d’emploi est cependant à nuancer (même si alors le cadre n’est plus exactement celui de l’article L. 911-4 du CJA ; voir par exemple les décisions du Conseil d’Etat n°440028 du 9 novembre 2021 et n°420554 du 16 février 2022).
Au contraire des injonctions « préventives » des articles L. 911-1 et s. du CJA, précités, des injonctions prononcées dans ce cadre sont souvent appelées « injonctions a posteriori ».
L’office du juge ne s’étend pas alors à une rectification des erreurs de droit ou matérielles dont serait entachée la décision de Justice à exécuter, mais le juge peut interpréter cette décision dans la mesure nécessaire pour en définir les mesures d’exécution… si cette décision est entachée d’une obscurité ou d’une ambiguïté qui, en rendant impossible la détermination de l’étendue des obligations qui incombent aux parties du fait de cette décision, font obstacle à son exécution (CE, 23 novembre 2005, Société Eiffage TP, n° 271329, rec. p. 524 ; voir aussi CE, 29 juin 2011, SCI La Lauzière et autres, n°327080 327256 327332, rec. p. 308).
NB : ceci se combine naturellement avec le régime de liquidation des astreintes des articles L. 911-6 et suivants du CJA (avec quelques souplesses depuis une décision n° 452354, en date du 27 mars 2023, du Conseil d’Etat).
Ceci dit, l’appréciation au cas par cas du point de savoir si la décision du juge, au fond, a bien été exécutée, ou non, laisse à celui-ci une large marge de manoeuvre :
- ainsi le juge a-t-il estimé que l’obligation pour une commune « retirer le crucifix apposé dans la salle du conseil municipal » avait bien été exécutée par le fait que cette commune avait bien déplacé ce crucifix… du mur à une vitrine de la salle municipale où étaient montrés, façon ostensoir, divers objets (CAA Nantes, 12 avril 2001, 00NT01993).
- pour un cas d’exécution correcte du dispositif de la décision de la juridiction, et non des motifs (des considérants, à l’époque), voir CE, 9 mai 2005, 256912, aux tables. … conduisant à une condamnation de l’Etat en l’espèce à payer une somme en principal sans les intérêts pourtant mentionnés dans les considérants de la décision ! (le requérant aurait du soit faire appel soit demander une rectification matérielle).
- sur un cas plus classique d’obligation d’adopter un complément de plan de prévention des risques naturels d’inondation (PPRI) après l’annulation partielle de celui-ci, voir CAA Marseille, 10 juillet 2009, 09MA00849).
La saisine du juge dans le cadre de cet article L. 911-4 du CJA se fait en général après l’écoulement d’un délai… délai fixé
La demande tendant à ce que le tribunal administratif prescrive les mesures nécessaires à l’exécution d’un jugement définitif de ce tribunal, en assortissant, le cas échéant, ces prescriptions d’une astreintes, est encadrée par des conditions de délai (article R. 921-1-1 du CJA) :
- dans le principe elle « ne peut être présentée, sauf décision explicite de refus d’exécution opposée par l’autorité administrative, avant l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement »
- « Toutefois, en ce qui concerne les décisions ordonnant une mesure d’urgence, la demande peut être présentée sans délai »… et même elle DOIT l’être promptement en pareil cas… sinon le juge risque vite d’estimer qu’il n’y a plus d’urgence, rendant la demande irrecevable, surtout en référé liberté (CE, 24 décembre 2021, n° 435622, à mentionner aux tables du recueil Lebon).
NB : sur le juge compétent pour statuer en ces domaines en cas d’appel ou de recours en cassation, ainsi que sur la possibilité en ces domaines pour le TA ou la CAA de renvoyer pour avis au Conseil d’Etat, voir les dispositions des articles R. 921-2 et suivants du CJA.
Les procédures applicables à ce stade se trouvent définies par les articles R. 921-6 et suivants du CJA, ainsi que par les articles R. 911-1 et suivants de ce même code.
Avec une phase qui n’est pas en soi juridictionnelle et une phase qui l’est, si le juge en décide ainsi.
La phase juridictionnelle de cette procédure s’ouvre :
- dans le cas où le président estime nécessaire de prescrire des mesures d’exécution par voie juridictionnelle, et notamment de prononcer une astreinte,
- ou lorsque le demandeur le sollicite dans le mois qui suit la notification du classement de l’affaire (décidé en vertu du dernier alinéa de l’article R. 921-5 du CJA)
- à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la saisine du juge (à charge alors pour le président de la cour ou du tribunal d’ouvrir par ordonnance une procédure juridictionnelle).
Précisons enfin que ce régime n’est pas celui que l’on applique (ce qui n’interdit pas les injonctions) « lorsque le juge du contrat, saisi par l’administration en vue de prononcer une obligation de faire à l’encontre de l’ancien cocontractant de l’administration, fait application du principe général selon lequel les juges ont la faculté de prononcer une injonction assortie d’une astreinte en vue de l’exécution de leurs décisions » (CE, 11 juillet 2018 (et non le 12/7 comme indiqué par erreur sur certaines pages du site du CE…) , n°407865.

II. Nouveautés de la décision du 21 novembre 2023
Il a été précisé ci-avant qu’après la saisine du juge par une partie, dans le cadre de l’article L. 911-4 du CJA, il y a une phase non juridictionnelle, puis — le cas échéant — une phase juridictionnelle.
Le Conseil d’Etat vient de décider que le contradictoire s’imposait dans la seconde de ces phases, et non dans la première.
Avec le futur résumé des tables du recueil Lebon que voici sur ce point précis :
« 5. Il résulte de ce qui est dit au point 3 que le ministre de l’intérieur et des outre-mer qui, après l’ouverture de la procédure juridictionnelle, n’a pas produit de mémoire en défense malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n’est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier au motif qu’il ne vise pas les éléments qu’il a transmis le 16 juillet 2020, pendant la phase d’instruction administrative de la demande d’exécution. Il appartenait toutefois au juge, après l’ouverture de la procédure juridictionnelle, de verser ces éléments au dossier de cette procédure et, compte tenu des échanges contradictoires, d’en tenir compte. En s’abstenant de verser ces éléments au dossier de la procédure juridictionnelle afin qu’ils puissent être débattus contradictoirement et pris en compte, le tribunal administratif a, en conséquence, méconnu son office.
« 6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le ministre de l’intérieur et des outre-mer est fondé à demander l’annulation du jugement attaqué.»
Source :
Conseil d’État, 21 novembre 2023, n° 466680, aux tables du recueil Lebon

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