Liquidations de sociétés : morts-vivants et contentieux administratif [VIDEO et article]

La perte de la personnalité morale d’une société en cours d’instance ne prive pas d’objet sa requête… et il incombe au juge, si l’affaire n’est pas en l’état d’être déjà jugée, de laisser à cette partie à l’instance le temps de s’adapter. 

Voyons cela au fil d’une vidéo puis d’un article. 

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I. COURTE VIDEO

Voici tout d’abord une courte vidéo (3 mn 10) à ce sujet :

https://youtu.be/wiKU_O5V8kU

 

II. ARTICLE

 

La personnalité morale de la société ne survit pas à sa liquidation (art. L. 237-2 du code du commerce ; art. 1844-8 du code civil).

Mais, même après la mort, la société peut, façon walking dead, continuer de bouger, et de défendre un peu ses intérêts, y compris devant le juge administratif.

Même après liquidation judiciaire, une société peut désigner un liquidateur amiable pour le recouvrement de ses créances. Le Conseil d’Etat, déjà en 2008, en avait déduit qu’est recevable une demande présentée par le liquidateur amiable d’une société, présentée devant le juge administratif et tendant à l’indemnisation du préjudice subi du fait de délais excessifs de jugement devant le juge administratif.

Sources : CE, 28 novembre 2008, SARL Le Club et autres, n° 298152, rec. T. p. 848. A comparer avec Cass. com., 16 janvier 2007, Société Vallourec Précision Etirage, n° 05-14591 ; Cass. com., 16 octobre 2007, Me Guerreiro, n° 06-16057.

NB : sur le point de savoir à qui adresser les avis de mise en recouvrement, voir la décision n° 456830 du Conseil d’Etat en date du 7 avril 2023 (voir ici cette décision et notre article). 

 

Dans la continuité de cette décision n°298152 de 2008, la Haute Assemblée avait admis que même après la clôture de sa liquidation, il est loisible à la société morte-vivante de demander la désignation par le tribunal de commerce d’un mandataire ad hoc à l’effet de la représenter pour engager ou poursuivre en son nom des actions devant les juridictions.

Source : CE, 12 décembre 2014, Société Euro-Car SPRL, n° 356871, rec. T. p. 785. 

Elle peut aussi être incluse dans le champ d’une expertise après désignation d’un mandataire chargé de la représenter et au besoin le juge des référés doit examiner, d’office le cas échéant, « la demande d’inclusion d’une société liquidée dans le champ d’une expertise au regard du droit de l’Etat d’ouverture de la procédure de liquidation ».

Source : CE, 2 décembre 2016, SAS Entreprise Jean Lefebvre Nord et autre, n° 385469, rec. T. p. 874.

Sur cette lancée, de manière plus large encore, le Conseil d’Etat a, en 2023, confirmé que :

« L’article L. 237-2 du code de commerce, aux termes duquel la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu’à la clôture de celle-ci, ne fait pas obstacle à ce que, même après la clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif par l’effet d’un jugement de liquidation judiciaire, une société demande la désignation par le tribunal de commerce d’un mandataire ad hoc à l’effet de la représenter pour engager ou poursuivre en son nom des actions devant les juridictions. »

Avec un apport nouveau plus vaste que les applications antérieures :

« 1) Il s’ensuit que la perte de la personnalité morale d’une société en cours d’instance ne prive pas d’objet sa requête. »

D’où aussi une conséquence quant à l’office du juge (dans le même sens que ce qui était tranché dans l’arrêt de 2016 précité). Car en pareil cas le juge a face à lui une alternative :

  • SOIT il peut « y statuer dès lors que l’affaire est en l’état d’être jugée à la date à laquelle il est informée de cette perte »
  • SOIT (si l’affaire n’est pas en état d’être jugée) « surseoir à statuer pour permettre à la société de demander au tribunal de commerce la désignation d’un administrateur ad hoc pour la représenter dans l’instance. »

 

En l’espèce, une société demandait au TA d’annuler le contrat conclu entre une commune et une autre société  pour l’attribution, dans le cadre d’une délégation de service public (concession de plage).

L’affaire arrive devant la CAA et la commune décide de se pourvoir en cassation contre l’arrêt avant dire droit par lequel ladite CAA avait sursis à statuer sur la requête… jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois afin de permettre la désignation, par le tribunal compétent, d’un administrateur ad hoc pour représenter celle-ci.

Le Conseil d’Etat refuse donc au motif qu’au contraire le juge DOIT en pareil cas soit statuer si l’affaire est en l’état d’être jugée, soit surseoir à statuer le temps pour la société, certes disparue, de « demander au tribunal de commerce la désignation d’un administrateur ad hoc pour la représenter dans l’instance.»

La commune est donc déboutée.

Source :

Conseil d’État, 28 novembre 2023, n° 468865, aux tables du recueil Lebon