Le premier arrêt de la Cour d’appel financière, confirmant la position de la Cour des comptes, donne le ton de ce que sera le nouveau régime de Responsabilité des gestionnaires publics

La réforme de la responsabilité financière des ordonnateurs et des comptables n’était pas une refonte : c’était une petite révolution dans le monde public, qui a donné lieu à quelques premières décisions tout à fait fondatrices. 

Or, en ce domaine, voici un an après la mise en oeuvre de ce nouveau régime, qu’une nouvelle-mini révolution apparaît ; la toute nouvelle Cour d’appel financière (CAF) rend sa toute première décision.

Et, fournissant implicitement d’importantes indications sur l’avenir de ce nouveau régime, cette Cour d’appel financière confirme la position de la Chambre du contentieux de la Cour des comptes, dans l’affaire Alpexpo.

Voyons ceci en détail.

 

  • I. Rappels liminaires
    • I.A. Rappels sur ce nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics (RGP)
    • I.B. Rappels sur le régime de la Cour d’appel financière (CAF) qui, donc, vient de rendre son premier arrêt 
  • II. Les enseignements à tirer de ce nouvel arrêt 
    • II.A. Une forme concise ; des leçons strictes sur les futures rédactions des requêtes en appels 
    • II.B. Une confirmation de l’analyse de la chambre du contentieux de la Cour de comptes en matière d’application, pour les faits antérieurs à 2023, de l’infraction financière relative aux avantages injustifiés lorsque ceux-ci bénéficiaient à la personne même du Justiciable
    • II.C. Une confirmation, aussi, de la position de la Cour des comptes, en matière de préjudice financier significatif, non sans quelques débats persistants cependant
  • Conclusion : un cap désormais à peu près clair ; des modalités encore à préciser.
    • Leçons sur le fond du droit 
    • Trois interrogations processuelles plus mineures  
    • Un régime juridique important, passionnant, mais qui — pour euphémiser — ne glisse pas vers un contentieux de masse   

 

 

I. Rappels liminaires

 

Pour commencer, dépeignons un peu le paysage de ce nouveau régime de responsabilité (I.A.) ainsi que celui de cette toute nouvelle Cour d’appel financière (I.B.).

 

I.A. Rappels sur ce nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics (RGP)

 

Après une conception complexe entre 2018 et 2021, ce nouveau régime est, pour l’essentiel, né de la loi de finances (n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022) puis de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, suivie par le décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022.

Il est à rappeler qu’avant cette réforme (et hors autres types de responsabilité, dont le disciplinaire, le pénal…) :

  • les comptables publics patents (ou de fait) devaient indemniser un éventuel manque dans les comptes (procédure de débet au titre d’une responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP)
  • les ordonnateurs (enfin… certains d’entre eux, ainsi que les comptables au moins en théorie) pouvaient être justiciables devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF, institution siégeant à la Cour des comptes et rendant quelques décisions par an).

C’est ce second régime qui a été retenu pour inspirer ce régime de responsabilité financière unifiée (une liste d’infractions financières donc).

Le nouveau régime unifié peut juger, dans un même mouvement, les deux acteurs de la chaîne financière :

  • ordonnateurs, hors élus (à quelques détails près), sans que l’on sache parfaitement si la Cour considérera comme tels des exécutants qui en réalité atteste de services faits ou autres décisions enclenchant ou validant par exemple ensuite un mandat de paiement
  • les comptables, qui au fil de l’instance pourront donc renvoyer la balle aux ordonnateurs, et réciproquement (et qui peuvent relever de cette nouvelle responsabilité même pour des faits antérieurs au 1er janvier 2023 car la CDBF pouvait connaître aussi — au moins sur le papier — de la responsabilité des comptables publics même si sa conception comme son fonctionnement conduisaient à ce qu’elle traite en réalité des ordonnateurs).

 

Les premières décisions de la Cour des comptes, en 2023, dans le cadre de ce nouveau régime furent donc — nécessairement — fondatrices :

Voir ensuite une décision importante, de la Cour des comptes (avec notamment le fait que l’importance de l’enjeu financier peut servir à qualifier la gravité de la faute grave de gestion alors qu’en théorie ces deux critères sont distincts, puisque cumulatifs) : Cour des comptes, 24 novembre 2023, n° S-2023-1382

Voir notre article :

 

Voir une vidéo plus longue (25 mn 16) retraçant les jurisprudences de 2023  :

https://youtu.be/-AziMuJn6TM

 

Voir aussi les vidéos suivantes

 

• Comment se préparer ? S’adapter ? S’assurer ? Avec une présentation courte puis l’intervention de M. Lionel Le Gall, Président de l’AMF (mutuelle d’assurances).

 

https://youtu.be/5r08HHGAnfc

 

Comment se préparer ? S’adapter ? S’assurer ? Avec une présentation courte puis l’intervention de M. Lionel Le Gall, Président de l’AMF (mutuelle d’assurances).

 

A ces questions, tentons de répondre avec cette petite vidéo de 11 mn 11, présenteé par Me Eric Landot avant une interview de :

https://youtu.be/LSztonEwRG0

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

 

• Présentation au lendemain de l’ordonnance, avec des interventions de Mme Stéphanie Damarey, Professeure des Universités, Agrégée de Droit public et du procureur général honoraire près la Cour des comptes M. Gilles Johanet

 

Voici une autre vidéo, bien plus détaillée sur certains aspects mais n’abordant pas (contrairement à celle ci-avant) les questions de protection fonctionnelle ou non, ni celles d’assurances, ni celle des « renvois de responsabilité « entre acteurs.

Dans cette vidéo de plus de 18 mn, là encore, je présente ce régime, avant que de m’entretenir avec :

  • Mme Stéphanie Damarey,
    Professeure des Universités, Agrégée de Droit public, directrice du Master 2 Finances et fiscalité publiques. Au nombre de ses ouvrages parus, citons le Précis Dalloz, Droit public financier, Dalloz, Oct. 2018.
  • M. Gilles Johanet
    procureur général honoraire près la Cour des comptes

 

https://youtu.be/2npL2E88v5c

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

 

Crédits photographiques : montage depuis une photo (collection personnelle), d’une part, et une photo d’Alexas Fotos (Pixabay)

 

I.B. Rappels sur le régime de la Cour d’appel financière (CAF) qui, donc, vient de rendre son premier arrêt

 

Dans ce régime, et au contraire de ce qui était prévu initialement, c’est directement la Cour des comptes qui est en effet juge de première instance. Puis intervient une toute nouvelle « Cour d’appel financière » (CAF) composée à parité entre membres du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes (+ 2 personnes qualifiées). Les membres de la Cour d’appel financière sont nommés par décret du Premier ministre pour une durée de cinq ans.

Ensuite, le Conseil d’Etat sera juge de cassation, pour les audacieux qui iront contester devant la Haute Assemblée une décision d’appel adoptée… à 40 % par des conseillers d’Etat. Autant dire que les recours en cassation seront à envisager, soit lorsqu’il est utile de le faire pour ensuite aller devant la CEDH dans les cas où cela est possible, soit pour les affaires dont on sait qu’elles continuent de donner lieu à débats entre juristes solides.

La toute nouvelle Cour d’appel financière (CAF), qui dont vient de rendre son premier arrêt, connaît de l’appel des arrêts de la chambre du contentieux (à ne plus appeler « 7e chambre ») de la Cour des comptes… laquelle d’ailleurs lui fournit son siège et son secrétariat.

Lorsqu’elle statue en formation plénière, la Cour d’appel financière est présidée par son président (ou à défaut par son suppléant qui sera le membre de la chambre le plus anciennement nommé.. et en cas d’égalité dans les dates de nomination, par le plus âgé).

Le président peut également présider la Cour d’appel financière lorsqu’elle statue en chambre.

Chaque chambre comprend cinq membres titulaires et cinq membres suppléants désignés par le président de la Cour d’appel financière. La composition de chaque chambre assure une représentation équilibrée des différentes catégories de membres de la Cour d’appel financière.

Le président de la Cour d’appel financière peut décider l’inscription directe d’une affaire en formation plénière.

Un régime de vacance est prévu (on va piocher dans la chambre d’à-côté).

La Cour d’appel financière ne peut valablement délibérer en formation plénière ou en chambre que si, respectivement, six ou trois au moins des membres de la formation de jugement sont présents, dont au moins un membre du Conseil d’Etat et un magistrat de la Cour des comptes.

Des membres du Conseil d’Etat, des magistrats de l’ordre judiciaire, des personnes mentionnées à l’article L. 112-1 (autres membres de la Cour des comptes), des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes peuvent être désignés par le président de la Cour d’appel financière pour apporter leur concours au membre chargé de l’instruction. Ils sont nommés pour une durée de trois ans par arrêté du Premier ministre pris sur proposition du président de la Cour d’appel financière.

Le président de la Cour d’appel financière nomme un ou plusieurs greffiers choisis parmi les fonctionnaires de la Cour des comptes, qui prêtent serment devant lui.

Les membres de la CAF sont à ce jour :

• membres titulaires émanant de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat :

– Mme Catherine BERGEAL, présidente de section au Conseil d’Etat ;
– M. Jean-Claude HASSAN, conseiller d’Etat ;
– M. Tanneguy LARZUL, conseiller d’Etat ;
– M. Alain SEBAN, conseiller d’Etat ;
– Mme Nathalie CASAS, conseillère maître à la Cour des comptes ;
– M. Philippe GEOFFROY, conseiller maître à la Cour des comptes ;
– Mme Marie PITTET, conseillère maître à la Cour des comptes ;
– M. Thierry SAVY, conseiller maître à la Cour des comptes.

• membres titulaires en qualité de personnalités qualifiées :

– Mme Béatrice ABOLLIVIER, administratrice de l’Etat du grade transitoire ;
– M. François AUVIGNE, inspecteur général des finances.

• membres suppléants émanant de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat :

– Mme Valérie DELAHAYE-GUILLOCHEAU, conseillère d’Etat en service extraordinaire ;
– M. Frédéric DIEU, conseiller d’Etat ;
– M. Marc EL NOUCHI, conseiller d’Etat ;
– M. Frédéric GUEUDAR-DELAHAYE, conseiller d’Etat ;
– Mme Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître à la Cour des comptes ;
– M. Alain LEVIONNOIS, conseiller maître à la Cour des comptes ;
– M. Christian MICHAUT, conseiller maître à la Cour des comptes ;
– Mme Sylvie VERGNET, conseillère maître à la Cour des comptes.

• membres suppléants en qualité de personnalités qualifiées :

– M. François CARAYON, inspecteur général des affaires sociales ;
– Mme Béatrice GILLE, administratrice de l’Etat du grade transitoire.

NB : on notera que nul texte ne vient préciser si l’ordre d’appel des suppléants est dans l’ordre de la liste (et en ce cas l’absence du 2e titulaire donnerait lieu à l’appel du 1e suppléant dans la liste du même ordre de juridiction, par exemple) ou si à chaque titulaire est affecté un suppléant (l’absence de la 3e magistrate titulaire de la Cour des comptes donnant lieu à appel de la 3e suppléante émanant de ladite cour). Une absence de précision qui, quand je suis rédacteur d’acte, suffirait pour me faire foudroyer par une sous-préfecture. Mais passons et supposons que faute de texte à chaque titulaire est affecté le suppléant qui a le même numéro d’ordre dans cette liste nonobstant l’absence desdits numéros d’ordre. 

Dès leur nomination, ces membres doivent remettre une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts au président de la Cour d’appel financière.

Source :

 

Au JO de ce 13 décembre 2023, ont été publiés les deux textes réglementaires suivants :

 

On notera que les dispositions de ce décret et de cet arrêté s’appliquent aux indemnités résultant de l’activité de la Cour d’appel financière à compter de l’année 2023… Ce qui rend ce texte rétroactif pour les prestations assurées avant le 14 décembre 2023.

En cas de litige, cette rétroactivité serait sans doute jugée légale (voir par analogie CE, 12 novembre 2020, n° 425340, à publier aux tables du recueil Lebon… Voir aussi CE, 25 février 1949, Ecole Gerson, rec. p. 426 ;  dérogation rappelée dans CE, Ass., 16 mars 1956, Garrigou, op.cit. ; CAA Paris, 30 mars 1999, Dalloz 99, IR, p. 163… Voir notre article ici

Au sujet du régime des ressources humaines et des rémunérations de la CAF, voir :

Légende : indemnisation reçue par les magistrats assurant une vacation rue Cambon (allégorie)

 

II. Les enseignements à tirer de ce nouvel arrêt

 

Pour la première fois, toute toute 1e fois, la CAF a rendu un arrêt. Et c’est un rejet, net, de l’appel formé par le Parquet financier, tant sur la question de l’intérêt personnel et de la sanction de l’avantage injustifié pour soi-même (II.A.), qu’en matière de préjudice financier significatif (II.B.), ce qui donne quelques indications sur ce nouveau régime, d’une part, tout en laissant dans l’incertitude d’importantes questions, d’autre part.  

 

Toute première fois, Jeanne Mas, 45 tours, 1984

 

II.A. Une forme concise ; des leçons strictes sur les futures rédactions des requêtes en appels

 

Nous voici donc face au premier arrêt de cette nouvelle Cour d’appel financière.

Et, déjà, un constat s’impose ; l’arrêt se trouve rédigé de manière très synthétique, dense, non sans quelques zones d’ombres.

Adieu la légendaire précision, développée au fil de nombreux et précis paragraphes, de la Cour des comptes. Retour au style élégant mais parfois flou à force d’être résumé, qui sied au Conseil d’Etat.

Un mot à ce sujet d’ailleurs : le Procureur général a reproché à l’arrêt attaqué d’être insuffisamment motivé, mais sans en déduire immédiatement qu’il devait en résulter une censure. Cela suffit à ce que ce moyen d’appel ne soit pas considéré comme tel, entraînant le rejet du moyen. C’est du brutal. A retenir pour tout appelant futur… Citons la CAF :

« Si le procureur général appelant soutient que l’arrêt attaqué serait insuffisamment motivé sur plusieurs points, contrairement aux exigences de l’article R. 142-3-13 du code des juridictions financières, il ne conclut pas qu’il devrait, pour ce motif, être annulé. »

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Idem, un peu plus loin, quand la CAF tacle la requête en appel en ces termes, sur l’autre volet, à savoir celui de la faute grave entraînant un préjudice financier significatif :

« 13. A cet égard, et en premier lieu, le ministère public n’établit pas, en se bornant à énumérer le montant des dépenses afférentes « aux contrats passés en méconnaissance des règles de la commande publique », que ces dépenses auraient pu être moindres – dans des proportions qu’au demeurant, il ne précise pas – si ces règles avaient été respectées.»

Là encore, donc, se trouve un message aux futurs appelants : ceux-ci doivent en pareil cas bien démontrer le montant du différentiel financier, au moins à titre estimatif, entre ce qui a été dépensé et ce qui l’aurait été si les règles de la commande publique avaient été respectées (ce qui peut être un travail considérable).

 

 

II.B. Une confirmation de l’analyse de la chambre du contentieux de la Cour de comptes en matière d’application, pour les faits antérieurs à 2023, de l’infraction financière relative aux avantages injustifiés lorsque ceux-ci bénéficiaient à la personne même du Justiciable

 

L’arrêt Alpexpo, première décision de la Chambre du contentieux dans le cadre du nouveau régime, est souvent résumée par la question de l’intérêt personnel ou, plus précisément, pour reprendre la nomenclature des infractions financières, de l’octroi d’avantages injustifiés.

C’EST À TORT car :

  • d’une part, l’arrêt Alpexpo avait bien d’autres apports (prescription, avantages injustifiés et notion de faute grave, qualité d’ordonnateur possible ou non par des contrats de « management de transition », etc.)
  • d’autre part, car cette question de l’avantage injustifié a été précisée par la chambre du contentieux de la Cour des comptes, ensuite, via une autre décision « RRTL » (certes confirmative et sans grande surprise)

 

Sources : C. cptes, 11 mai 2023, Alpexpo, n°Arrêt n° S-2023-0604 aff 836 ; C. cptes, 20 octobre 2023, Régie régionale des transports des Landes (RRTL), n° S-2023-1184.

Revenons donc aux fondamentaux, à commencer par la formulation même de cette infraction, que recèle depuis le 1er janvier 2023 l’article L.131-12, du CJF, lequel dispose que :

« Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui, ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3. »

NB : cette formulation, qui reprend pour partie celle de l’ancienne mouture du CJF, n’est d’ailleurs pas sans susciter quelques mauvaises compréhensions récurrentes dans le monde public. En effet, ce texte, qui pour ceux qui s’adonnent aux joies du pénal propre aux personnes publiques, évoque le favoritisme de l’article 432-14 du code pénal (où se retrouve la notion « d’avantage injustifié ») alors que nous sommes là dans une infraction financière qui évoque, sur le fond,  bien plus la prise illégale d’intérêts de l’article 432-12 de ce même code. 

 

Or, l’infraction financière antérieure, prévue en droit relevant de la CDBF jusqu’au 31 décembre 2022, était un brin moins étendue en ce qu’elle censurait les avantages à autrui, mais non les avantages à soi-même.

En l’espèce, la décision de renvoi saisissait la Cour de nombreuses dépenses effectuées par la dirigeante de fait, susceptibles de constituer des avantages injustifiés octroyés à autrui, ou à soi-même, dont un voyage aux Etats-Unis au profit de l’époux de la personne renvoyée, un stage de golf et des frais de taxi (!…).

Ces dépenses étaient intervenues avant l’entrée en vigueur du nouvel article L.131-12 du CJF qui sanctionne désormais l’avantage injustifié accordé à autrui ou à soi-même. A l’époque des faits, l’article L. 313-6 du CJF en vigueur permettait seulement de sanctionner l’octroi d’avantages à autrui, de sorte que la Cour a considéré que les nouvelles dispositions ne pouvaient être mises en œuvre de façon rétroactive.

Sauf que sur ce point, le Ministère public n’était pas sans avoir une augmentation subtile qui, selon nous, ne manquait pas d’atouts.

Citons le résumé qu’en faisait la Cour des comptes au point 37 de l’arrêt Alpexpo de mai 2023 :

« 37. Le ministère public a invité la Cour à considérer que si les dispositions de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières ne permettaient pas de sanctionner l’octroi d’avantages indus à soi-même, les mêmes faits pouvaient cependant être appréhendés sur le fondement de l’article L. 313-4 et qu’en conséquence, c’est sans élargissement du champ des faits poursuivis, désormais susceptibles d’être sanctionnés par la chambre du contentieux de la Cour des comptes, que pourraient être invoqués aujourd’hui à l’appui de la décision de renvoi les dispositions des articles L. 131-9 et L. 131-12 du code des juridictions financières, à la condition expresse, toutefois, que soient réunis les éléments constitutifs de ces infractions telles que l’ordonnance du 23 mars 2022 précitée en a modifié la définition.»

 

De fait, il pouvait sembler possible de rattraper assez largement des personnes coupables de dérives financières via cette infraction, antérieure au 1er janvier 2023 donc, de l’ancien article L. 313-4 du CJF applicable à l’époque des faits, et qui réprime celui qui :

«  […] aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées […] »

… quitte à appliquer alors les infractions actuellement correspondantes avec une atténuation in mitius… 

Car la nouvelle infraction correspondante est celle de l’article L. 131-9 du CJF, sans sa nouvelle rédaction :

« Tout justiciable au sens de l’article L. 131-1 qui, par une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’Etat, des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1, commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible des sanctions prévues à la section 3.
« Les autorités de tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, lorsqu’elles ont approuvé les faits mentionnés au premier alinéa, sont passibles des mêmes sanctions.
« Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable.»

 

Si l’on veut résumer la situation on aboutit donc aux deux questions suivantes, tels qu’avaient à les juger les membres de la chambre du contentieux de la Cour des comptes :

    1. devait-on, pouvait-on, appliquer aux faits antérieurs à 2023… une infraction qui n’existait pas avant 2023 ? Et là, la réponse du juge financier ne pouvait qu’être simple, propre à toute formation contentieuse sanctionnatrice : pas de rétroactivité des règles sanctionnatrices sauf in mitius (donc sauf en cas de nouvelle règle moins sévère).
      Sources : CE, avis, Section, 5 avril 1996, n°176611, rec. p. 116 ; CE, 3 décembre 1999, n° 162925 ; CE, Ass., 1er mars 1991, n° 112820 ; CE, Ass., 16 février 2009, n° 274000… voir ensuite par exemple CAA Marseille, 25 février 2019, 18MA01094 ; et voir pour une application quand la loi plus douce est en fait un changement total de régime : CAA Lyon, 24 octobre 2019, n° 17LY01678.  Ce régime s’applique à toutes les sanctions administratives, y compris l’inéligibilité (CE, 9 juin 2021,Elections municipales et communautaires d’Apatou (Guyane), n° 447336 449019, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; à comparer pour cause de régime distinct en Guyane à CE, 22 juillet 2022, n° 462037, à mentionner aux tables du recueil Lebon).
    2. mais ne pouvait-on, dire que les autres anciennes infractions financières dont avait à connaître la CDBF (dont certaines restaient assez floues, susceptibles de larges marges de manoeuvre au cas par cas… dont l’infraction de feu l’article l’article L. 313-4 du CJF antérieur à 2023) ? MAIS dans ce cas, il fallait :
      • SOIT prouver que l’avantage fait à soi-même était une méconnaissance de l’infraction de l’article L. 313-4 de l’ancienne mouture du CJF… ce qu’il était sans doute, mais en plus (application de cette sanction in mitius) qu’étaient alors réunies les autres conditions de l’actuel article L. 131-9, précité, du CJF actuel (avec notamment un préjudice financier significatif)
      • SOIT que la chambre du contentieux de la Cour des comptes  accepte un glissement : poursuites avant le 1er janvier 2023 devant la CDBF au titre de l’ancien article L. 313-4 du CJF puis condamnation pour l’avantage à soi-même…. au titre non de l’actuel L. 131-9, mais de l’actuel L. 131-12 du CJF (sans aucune application in mitius).
        Cette seconde voie était un peu hardie. 

 

C’est pas un raisonnement un brin alambiqué (et, pour tout dire, qui nous semble pouvoir être débattu… ou qui à le moins s’avère peu motivé0) que la Cour des comptes avait en mai 2023 rejeté cette partie du réquisitoire :

« 38. S’il apparaît bien que l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée n’a pas, sur ce point précis, élargi le périmètre des faits sanctionnables, du moins en apparence, il demeure que le nouvel article L. 131-12 du code des juridictions financières décrit une infraction qui présente les caractéristiques d’une loi complexe, modifiant la loi ancienne sur deux points non divisibles de sens opposé. Au cas d’espèce, l’extension portée par l’ordonnance précitée de l’infraction aux avantages indus procurés à soi-même, ne peut avoir de portée rétroactive et s’appliquer à des faits survenus avant le 1er janvier 2023.
« 39. Au reste, bien que le fait de procurer à soi-même un avantage indu aurait pu être appréhendé, jusqu’au 31 décembre 2022, au titre de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières, dès lors qu’était prouvé un manquement à une règle d’exécution de la dépense, les conditions nouvelles dont un tel manquement est aujourd’hui assorti par l’article L. 131-9, ne permettent pas de qualifier ici une infraction sur le fondement de la loi nouvelle.»

Sur le fond, peu de choses étaient à dire :

« 41.Certaines des dépenses, dont la décision de renvoi allègue l’irrégularité, comme susceptibles de présenter un caractère étranger à l’objet social d’ALPEXPO, mais qui ne peuvent pas être qualifiées d’avantages indus procurés à autrui, ne sauraient faire l’objet d’une sanction au titre des dispositions du code des juridictions financières aujourd’hui applicables.

« 42.Toutefois, en procédant à l’achat d’un billet d’avion, au bénéfice de son conjoint, dans le cadre d’un déplacement aux États-Unis d’Amérique pour un montant de 3 149 € en janvier 2014, fût-ce au terme d’un échange de courriels avec M.X, président- directeur général, MmeZ a engagé, au bénéfice d’autrui, une dépense étrangère à l’objet social de la société ALPEXPO, sans lien avec la mission de celle-ci et en contradiction avec les règles d’exécution des dépenses de l’organisme. MmeZ a agi en méconnaissance de ses obligations, puisqu’elle a violé les règles applicables à l’utilisation des cartes de paiement d’ALPEXPO ainsi que les règles statutaires de la société d’économie mixte dont l’article 19, réformé en 2015, dispose que le directeur général exerce ses pouvoirs dans la limite de l’objet social.

« 43. À cette occasion et en faisant supporter à la société ALPEXPO une dépense étrangère à son objet, elle a, non seulement procuré à autrui un avantage injustifié, mais encore causé un préjudice à la société. Au demeurant, il apparaît que MmeZ a également agi par intérêt personnel, direct et indirect, s’agissant des avantages qu’elle a procurés à son conjoint, avec lequel elle entretient un lien suffisant pour établir l’existence d’un tel intérêt.»

… le dernier membre de phrase de ce point 43 étant un délice de rédaction administrative.

 

Ainsi, seuls les frais relatifs au voyage aux Etats-Unis, exposés au profit de l’époux de la personne renvoyée, ont été appréhendés par la Juridiction pour qualifier l’infraction de l’article L.131-12 et l’imputer à la dirigeante de fait, visée sur ce grief par le ministère public.

… lequel a donc fait appel.

La CAF commence par résumer ainsi cette partie des faits et procédures :

« […] Mme Z a engagé des dépenses étrangères à l’objet social de la société, soit au bénéfice de son conjoint, soit au sien propre. La chambre du contentieux a jugé, par l’arrêt attaqué, qui n’est pas contesté sur ce point, que l’engagement de dépenses au bénéfice de son conjoint était constitutif de l’infraction d’avantage injustifié procuré à autrui, tant au sens de l’ancien article L. 313-6 du code des juridictions financières qu’à celui de son nouvel article L. 131-12. La chambre du contentieux a, en revanche, jugé que les dépenses engagées par Mme Z pour son profit personnel, de 12 500 euros environ, ne pouvaient être incriminées ni sur le fondement de l’article L. 313-6, ni sur celui du nouvel article L. 131-12.»

 

Puis elle rappelle le principe de non rétroactivité, sauf in mitius, des règles sanctionnatrices nouvelles, et ce sans grande surprise :

« 5. En vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Il découle de ce principe la règle selon laquelle la loi répressive nouvelle ne peut s’appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur et doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux auteurs d’infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des décisions devenues irrévocables.»

 

Puis aux points 6 et 7 du nouvel arrêt, la Cour d’appel financière rappelle les règles antérieures comme les dispositions nouvelles.

Avant que de trancher sur le fait que l’infraction nouvelle étant plus étendue, il n’est pas possible de l’appliquer aux faits antérieurs à son entrée en vigueur :

« 8.  Il résulte des dispositions du code des juridictions financières antérieures au 1er janvier 2023 mentionnées au point 6, telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour de discipline budgétaire et financière, que si, avant le 1er janvier 2023, l’octroi d’un avantage à soi-même pouvait résulter d’une infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses et constituer, par suite, une circonstance aggravante de l’infraction définie à l’article L. 313-4, un tel agissement ne constituait pas, en lui-même, une infraction punissable sur le fondement des dispositions de ce code. Eu égard à sa nouveauté, l’infraction créée par l’article L. 131-12 cité au point 7 ne peut, par suite, et pour le motif exposé au point 5, s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur.
«
9. Il résulte de ce qui précède que le ministère public appelant n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par l’arrêt attaqué, la chambre du contentieux de la Cour des comptes a écarté tout caractère rétroactif à l’article L. 131-12 du code des juridictions financières, en tant qu’il porte sur les avantages injustifiés procurés à soi-même.»

C’est beau et clair comme l’antique. Trop. Car à force de concision de cette rédaction, son lecteur en subit une frustration. En effet :

  • SOIT le ministère public appelant a juste tenté de prétendre que l’article L. 131-12, nouveau, pouvait sanctionner des faits antérieurs à 2023 pour des avantages injustifiés à soi-même… et en ce cas le parquet ne pouvait que perdre et se voir objecter ces points 8 et 9 de l’arrêt 
  • SOIT comme en première instance ledit Procureur général a tenté d’opérer un glissement (faits condamnables avant 2023 au sens de l’ancien article L. 313-6 du code des juridictions financières… pouvant donner lieu maintenant à sanction au titre du nouvel article L. 131-12 du CJF sans aller chercher les cas de loi nouvelle plus douce propres à l’actuel L. 131-9 du CJF)… et dans ce cas la relative subtilité de ce raisonnement eût du, selon nous, conduire à tout le moins à une explicitation plus détaillée du raisonnement, en rejet, de la CAF. SAUF que ce point est en réalité traité indirectement semble-t-il, via l’appréciation d’une faute grave de gestion avec préjudice financier significatif (point II.C. ci-dessous) ce qui implicitement, mais implicitement seulement hélas, revient à refuser le possible glissement ancien L. 313-6 -> nouveau L. 131-12 (sans faute grave et préjudice financier significatif) susmentionné 

1/ Pour ce qui est de cette affaire Alpexpo :

• soit la CAF n’a pas répondu à tous les moyens (ou toutes les branches des moyens) du Ministère public, ce qui serait étrange,

• soit le Parquet n’a pas soutenu dans son appel certains raisonnements qu’il avait tenté en première instance, ce qui serait plus étrange encore. 

2/ Pour ce qui est des avantages à soi-même antérieurs à 2023

Est-ce à dire qu’il n’y aura jamais de sanction pour les avantages à soi-même pour des faits antérieurs à 2023 ? NON. Mais les faits antérieurs à 2023 d’avantage à soi-même ne pourront donc être réprimés que par des poursuites sur la base de feu l’ancien article L. 313-6 du code des juridictions financières… avec en ce cas une sanction que si à cette occasion trois conditions se trouvent réunies :

  1. des violations des règles financières exigées par cet article 
  2. qui sont des fautes graves 
  3. avec un préjudice financier significatif (au regard de la taille de la structure).

 

 

II.C. Une confirmation, aussi, de la position de la Cour des comptes, en matière de préjudice financier significatif, non sans quelques débats persistants cependant

 

En première instance, la Cour des comptes avait eu également à connaître de ce même fondement de l’article L.131-9 du CJF, à savoir celui d’une faute grave ayant entrainé un préjudice significatif au détriment de la société ALPEXPO.

Cette infraction (et son infraction complémentaire de l’article suivant du CJF) alimente nombre d’inquiétudes en raison du flou de ses constitutifs, à savoir pour s’en tenir au premier alinéa :

  • infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’Etat, des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1 (or les règles relatives aux recettes et aux dépenses peuvent être déjà assez larges, mais celles relatives à la gestion des biens sont multiples et parfois incertaines)
  • une faute grave (formulation rassurante il est vrai)
  • un préjudice financier significatif (sur ce point, en application de la jurisprudence, abondante, sur la RPP,  nous avions déjà début 2023 quelques éléments sur ce qu’il faut entendre par là : voir par exemple : Conseil d’État, 28 décembre 2022, n° 441052, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; Cour des comptes, 12 mai 2023, SMPRR, n° S-2023-0573)

 

Sur ce point, la Cour des comptes, dans son arrêt Alpexpo de mai 2023, donc, a considéré que, nonobstant la matérialité des manquements poursuivis, relatifs notamment à des défauts de surveillance des actes de la dirigeante de fait et de mauvaise tenue des comptes, le principe de rétroactivité des dispositions répressives réputées les plus douces devait prévaloir.

Citons la Cour :

« 49. L’article L. 313-4 du code des juridictions financières, applicable jusqu’au 31 décembre 2022 et invoqué à l’appui du réquisitoire introductif du 16 mai 2019 susvisé, disposait que « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui […] aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’État ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1 ». Depuis le 1er janvier 2023, il a été substitué à cette infraction, celle codifiée à l’article L. 131-9 du code des juridictions financières aux termes duquel « Tout justiciable au sens de l’article L. 131-1 qui, par une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État, des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1, commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible des sanctions prévues à la section 3./Les autorités de tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, lorsqu’elles ont approuvé les faits mentionnés au premier alinéa, sont passibles des mêmes sanctions. / Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable ».
« 50. Le principe précité de la rétroactivité des seules dispositions réputées plus douces vaut également pour la détermination de l’amende fixée désormais par l’article L. 131-16 du code des juridictions financières, dont le plafond est désormais inférieur à celui fixé, par la législation abrogée, pour l’infraction définie par l’ancien article L. 313-4.»

Que la loi nouvelle soit plus douce, soit. Mais que l’on n’y trouve pas en l’espèce de faute grave ni de préjudice financier significatif était révélateur de l’intention de la chambre du contentieux de la Cour des comptes de ne censurer que les fautes réellement conséquentes :

« 51. Conformément au principe précité de la rétroactivité des seules dispositions réputées plus douces, ainsi qu’il est rappelé au point 18, la loi nouvelle plus douce se saisit de toutes les infractions antérieures constatées et non définitivement jugées, sous la condition qu’elles répondent à la définition de la loi nouvelle. Ainsi, en exigeant la démonstration d’une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, la nouvelle disposition, contenue dans l’article L. 131-9 du code des juridictions financières, doit être considérée comme une loi nouvelle plus douce par rapport à l’ancien article L. 313-4 : elle peut dès lors s’appliquer aux faits antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance susvisée.
Sur la qualification juridique des faits au regard des exigences de l’article L. 131-9 du code des juridictions financières
« 52.Indépendamment des manquements poursuivis et de leur gravité supposée, dans la limite des seuls éléments relatifs à l’existence d’un préjudice financier significatif, dont la Cour est saisie, il demeure impossible d’apprécier le montant des sommes dont Mme Z serait restée redevable, alors qu’il n’est pas suffisamment démontré que l’exécution du contrat passé avec MCG Managers ait constitué une dépense ayant contribué à aggraver le résultat financier de la société ALPEXPO. Il en va de même des contrats qui auraient été conclus au cours de la période non prescrite, sans avoir été précédés d’une publicité ou d’une mise en concurrence suffisantes, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu’ils auraient entraîné un préjudice financier significatif, au détriment de la société.
« 53. Dès lors, le préjudice financier et son caractère significatif, au sens de l’article L. 131-9 précité du code des juridictions financières, entré en vigueur le 1er janvier 2023, ne sont pas établis. Ainsi, tous les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis. En conséquence, il y a lieu de relaxer des fins des poursuites engagées à leur encontre MM.X et Y. »`

Ainsi, dès lors que le préjudice financier et son caractère significatif, au sens de l’article L. 131-9 précité du CJF, entré en vigueur le 1er janvier 2023, n’étaient pas suffisamment établis, l’infraction portée par cet article ne pouvait être qualifiée et il y avait lieu de relaxer des fins des poursuites les présidents successifs de la société ALPEXPO visés à ce titre par la décision de renvoi, selon la Cour des comptes.

Sur ce point, encore, le ministère public de la Cour des comptes avait interjeté appel.

Or, entre temps, les notions de préjudice financier significatif et de faute grave avaient donné lieu à d’importantes précisions de la part de la Cour des comptes.

En effet, la Cour des comptes a ensuite posé qu’un enjeu financier peut servir à qualifier la gravité de la faute grave de gestion alors qu’en théorie ces deux critères sont distincts, puisque cumulatifs) : Cour des comptes, 24 novembre 2023, Caisse de crédit municipal de Bordeaux (CCMB), n° S-2023-1382

Voir notre article :

Dans cet arrêt de novembre 2023, la chambre du contentieux de la Cour des comptes posait que l’importance de l’enjeu financier peut servir à qualifier la gravité de la faute grave de gestion alors qu’en théorie ces deux critères auraient pu (du ?) être conçus distincts, puisque cumulatifs.

Il allait être intéressant de savoir si, en dépit de la concision de son premier arrêt, la CAF allait confirmer ou infirmer ce point.

Or, la CAF sur ce point pose que :

« 12. […] Sans qu’il soit nécessaire d’établir le montant exact du préjudice financier éventuel, l’ordre de grandeur de ce préjudice doit être évalué avec une précision suffisante pour pouvoir ensuite être apprécié au regard des éléments financiers de l’entité ou du service concerné. Lorsque, par ailleurs et comme en l’espèce, cette entité ou ce service n’est pas tenu d’établir et d’approuver un budget, il convient de se référer aux éléments financiers pertinents selon le régime juridique et comptable applicable à cette entité ou à ce service, tels notamment ceux qui ressortent du bilan ou du compte de résultat. Il appartient au juge de fonder sa décision sur les pièces apportées au cours de la procédure et contradictoirement discutées devant lui.
« 13. A cet égard, et en premier lieu, le ministère public n’établit pas, en se bornant à énumérer le montant des dépenses afférentes « aux contrats passés en méconnaissance des règles de la commande publique », que ces dépenses auraient pu être moindres – dans des proportions qu’au demeurant, il ne précise pas – si ces règles avaient été respectées.»

 

Décomposons ces points :

  • au stade des poursuites, il ne suffit donc pas (voir les points 12 et 13 du nouvel arrêt) il ne faut certes pas faire un chiffrage précis, mais à tout le moins indiquer un ordre de grandeur dudit préjudice financier 
  • ce qui s’apprécie (au risque de me répéter, désolé) :
    • sur la base des documents financiers classiques (certes) après contradictoire 
    • pour les cas de non respect de la commande publique par une appréciation du différentiel entre ce qui a été dépensé et ce qui l’aurait été si les règles de la commande publique avaient été respectées
      … ce qui s’avèrera très très difficile en pratique à démontrer pour le ministère public… donc à ce compte là toute altération des règles de la commande publique finira par reprendre le chemin, ô combien plus dangereux, du juge pénal au titre de l’article 432-14 du code pénal
  • et ce sans massifier les montants : si une dépense a porté sur plusieurs objets, ceux-ci doivent être distingués et analyses un par un :
  • les points 14 et 15 ensuite démontrent que le préjudice financier sera significatif en comparant les masses en cause (15 000 € n’étant pas un montant significatif sur un CA [HT ?] moyen de plus de 6M€/an).

 

On notera qu’à cette occasion :

  • on a la confirmation que le préjudice financier significatif s’apprécie en fonction des montants en cause 
  • mais sans confirmation encore (ce qui est normal vu que dans l’affaire Alpexpo il était difficile de considérer les fautes de gestion comme mineures…) de la règle de l’arrêt précité Caisse de crédit municipal de Bordeaux (CCMB), selon lequel l’importance de l’enjeu financier peut servir à apprécier la gravité de la faute grave de gestion.

 

 

 

Conclusion : un cap désormais à peu près clair ; des modalités encore à préciser.

Leçons sur le fond du droit

Les conclusions à ce stade s’avèrent donc assez claires pour certains points :

  • la CAF imposera que chaque moyen d’appel soit développé et que le grief correspondant soit bien indiqué comme étant de nature à entraîner la censure par le juge d’appel (et non pas sembler être une critique incidente, « en passant »)
  • les faits antérieurs à 2023 d’avantage à soi-même ne pourront donc être réprimés que par des poursuites sur la base de feu l’ancien article L. 313-6 du code des juridictions financières… avec en ce cas une sanction que si à cette occasion trois conditions se trouvent réunies :
    1. des violations des règles financières exigées par cet article 
    2. qui sont des fautes graves 
    3. avec un préjudice financier significatif (au regard de la taille de la structure).

     

  • les montants en cause devront être subdistingués méconnaissance par méconnaissance et non massifiés (et en cas de violation des règles de concurrence et de publicité, le montant à prendre ne compte sera celui de la différence entre les sommes exposées et ce que la commande aurait pu permettre comme dépense… ce qui s’avèrera très très difficile en pratique à démontrer pour le ministère public… donc à ce compte là toute altération des règles de la commande publique finira par reprendre le chemin, ô combien plus dangereux, du juge pénal au titre de l’article 432-14 du code pénal)
  • le préjudice financier significatif s’apprécie en comparant les montants occasionnés par les manquements et le montant des volumes financiers de la structure (et le tout sur la base des documents financiers du type de structure en cause)

 

Trois interrogations processuelles plus mineures

Continuons par trois interrogations, assez mineures et plus processuelles :

  • Si les moyens de l’appel du Procureur général avaient été accueillis, la CAF aurait-elle rejugé l’ensemble ou s’estime-t-elle tenue de n’aborder que les moyens de l’appel par une interprétation stricte du principe d’interdiction de statuer ultra petita ? A suivre… 
  • va-t-on vers un régime de contradictoire en ligne, comme avec Telerecours, devant les juridictions administratives financières ? Car le mode d’échange des écritures, à ce stade, n’est pas encore tout à fait opérationnel.
  • Ne serait-il pas utile — par une réforme à venir ou par la généralisation d’une pratique au stade de l’instruction  — que, quand un ordonnateur est concerné, il soit mis en place un régime où l’on inviterait le comptable public (ou son équivalent — DCF pour les caisses de Sécurité sociale par exemple) à témoigner ? Non pas en tant « qu’intervenant » (puisque c’est alors au soutien des positions de l’une ou de l’autre partie) mais en témoignage à l’invite du rapporteur et/ou du Ministère public ? C’est déjà en partie pratiqué, mais pas d’une manière systématique. 

 

Un régime juridique important, passionnant, mais qui — pour euphémiser — ne glisse pas vers un contentieux de masse

 

Ajoutons quelques éléments moins juridiques, mais tout aussi opérationnels :

  •  ces critères sont exigeants pour les poursuites (notamment celui sur l’appréciation des montants en cause pour le préjudice financier significatif) , ce que des avocats en défense comme nous le sommes ne peuvent que saluer bien entendu  
  •  ce qui combiné avec la situation des ressources humaines à la Cour, même avec le recours massif aux membres des CRTC…

… devrait conduire à une volumétrie oscillant entre 10 et 40, voire 50 affaires jugées par an pour la Cour des comptes (avec un volume bien plus grand d’affaires mises en instruction mais n’allant pas jusqu’à l’audience)… soit un chiffre très en dessous donc d’autres pronostics faits antérieurement. 

On voit poindre la direction prise par cette réforme importante, pour un domaine de responsabilité tout à fait passionnant, mais qui pour l’instant, donc, ne glisse pas vers des contentieux de masse…

Et c’est regrettable car l’espoir de beaucoup, dont nous, était que ce type de responsabilité, avec des juges connaissant le monde public, dotés de vrais pouvoirs d’enquête et avec une forte méthodologie contradictoire, pouvait à terme conduire à de vrais procès pour un grand nombre de sujets qui, à tort selon nous, aujourd’hui, conduisent au pénal (d’ailleurs souvent après signalement des CRC-CTC). Ce glissement qui éviterait les excès du pénal pour des erreurs qui ne choquent pas la morale commune… n’est pas la voie suivie à ce jour. Il est possible de le regretter. 

 

 

Voici cet arrêt

 

CAF, 1e ch., 12 janvier 2024, Alpexpo, n° 2024-01 (aff. CAF-2023-01)