Raccordement à l’AC et aux réseaux d’eau pluviales en ville : un intéressant jugement

Par un intéressant jugement, le TA de La Guyane a eu à connaître d’un recours requalifié comme étant de plein contentieux, des travaux étant demandés (pour mettre fin à un dommage) tendant :

  • à la réalisation de travaux d’aménagement d’un système de collecte des eaux pluviales et de ruissellement
  • au raccordement à l’assainissement collectif

La position de ce TA, qui certes repose sur une analyse au cas par cas, confirme les marges de manoeuvre qu’on les intercommunalités et/ou les communes, pour :

  • conserver des espaces en zone d’assainissement non collectif (ANC) même en ville (surtout dans un cas très atypique — mais classique dans ce département d’outre-mer — comme en l’espèce )
  • refuser (et ce point est plus rarement vu en jurisprudence même si le droit s’avère singulièrement clair depuis un arrêt du Conseil d’Etat rendu en 2022) la réalisation d’un réseau pour capter et évaluer les eaux pluviales urbaines. 

 


 

Source : maquette du SDEA d’Alsace Moselle (photographie coll. personnelle)

 

1/ sur le zonage ANC (assainissement non collectif)

 

Sur le non raccordement à l’assainissement collectif, nulle surprise à voir la demande rejetée.

En 2014, le Conseil d’Etat avait clairement rappelé que l’autorité communale ou intercommunale compétence va fixer la frontière entre zonages d’assainissement collectif (AC) et non collectif (SPANC) en tenant compte :

  • de la concentration de la population et des activités économiques productrices d’eaux usées sur leur territoire,
  • de la charge brute de pollution organique présente dans les eaux usées,
  • ainsi que des coûts respectifs des systèmes d’assainissement collectif et non collectif et de leurs effets sur l’environnement et la salubrité publique.

Cela résulte des articles L. 2224-10, R. 2224-6 à R. 2224-10 et R. 2224-19 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Mais dans cette même décision de 2014, ledit Conseil d’Etat précisait qu’en revanche :

« il résulte de l’article R. 2224-10 du CGCT que lorsque tout ou partie du territoire d’une commune est compris dans une agglomération d’assainissement, au sens de l’article R. 2224-6 du même code, dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour, la commune est tenue d’équiper cette partie du territoire d’un système de collecte des eaux usées.»
Source : Conseil d’État, 17 octobre 2014, 364720

En même temps, ce n’est pas parce qu’un bien se trouve en zone AC qu’il sera raccordé à l’AC. On peut rester en SPANC.

NB : point qui souvent soulève des difficultés au stade des actes notariés. Voir par exemple ici et .

Le fait de rester, ainsi, en ANC en zone qui est, ou qui semblerait devoir être, en zone AC… peut tenir :

  • au projet, lequel « peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations » (article R. 111-2 du Code de l’urbanisme par exemple : voir ici cet article ; cf. également l’usage qui peut être fait — ou non — de ce même article pour l’eau en cas d’insuffisance de la ressource, notre vidéo ici ; voir aussi pour ce qui est de s’opposer au raccordement du réseau d’assainissement en cas de construction ou transformation irrégulière : CE, 23 novembre 2022, Commune d’Esbly, req., n° 459043. Pour lire l’arrêt, cliquer ici. Pour voir l’article de mon associé N. Polubocsko à ce sujet, voir là. Puis voir une application intéressante avec CAA de Marseille, 6 avril 2023, n° 20MA00172)
  • ou à l’application de l’article R. 2224-7 du CGCT, lequel permet aux communes et EPCI de placer en zones d’assainissement non collectif les parties de leur territoire dans lesquelles l’installation d’un système de collecte des eaux usées ne se justifie pas, soit parce qu’elle ne présente pas d’intérêt pour l’environnement et la salubrité publique, soit parce que son coût serait excessif.
    Cette dernière sous-hypothèse a été fort heureusement précisée par une importante décision, confirmant que l’ANC est bien possible, sous certaines conditions, dans les agglomérations ayant atteint le seuil de 120 Kg/j. : Conseil d’État,13 juillet 2023, n° 454945, aux tables du recueil Lebon (voir ici cette décision et notre article, plus vaste à ce sujet, ainsi qu’une vidéo).

Donc, c’est sans grande surprise que l’on voit le TA de la Guyane accepter que la zone, visiblement très difficile à raccorder (lire les points 17 à 19 de ce jugement, qui sont tout à fait édifiants) soit en zone ANC… et donc les requérants étaient mal fondés à demander le raccordement à l’AC.

 

 

2/ sur la GEPU (gestion des eaux pluviales urbaines)

 

Mais c’est, semble-t-il, surtout à l’AC en tant que le réseau était unitaire, enlevant donc aussi les eaux pluviales (conséquentes en Guyane) qui intéressait les requérants.

Eaux pluviales, bas de gouttière , château de Chambord, coll. pers. 2022. Un cadre certes un peu différent de celui usuel à Cayenne

Or, et ce point est plus intéressant car un brin moins riche en jurisprudences, on voit aussi au terme d’une analyse in concreto fouillée le TA rejette aussi la demande de construction d’un réseau de traitement des eaux pluviales qui irait capter, évacuer et, au besoin, traiter ces masses d’eau.

Le TA a constaté que la résidence dispose de son propre réseau de gestion de ses eaux pluviales rejetées sur une autre parcelle privée. Alors que des carences, notamment lors de la conception et la construction ont été relevées, il a été jugé que les désordres ne peuvent être regardés comme imputables à l’absence de système global de collecte des eaux du secteur et au défaut de raccordement à un réseau d’assainissement collectif, ce qu’aucun texte n’impose… ce qui certes n’est pas discutable en zone ANC, s’agissant des effluents domestiques, mais ce qui, pour le pluvial pouvant s’écouler in fine vers le domaine public, est intéressant. Surtout sur le territoire d’une communauté d’agglomération ayant bien statutairement, comme toutes les communautés d’agglomération de France, une compétence obligatoire relative à la GEPU (gestion des eaux pluviales urbaines ; et en l’espèce nous sommes à Cayenne même ; voir ici).

Ceci dit, ce n’est pas une totale innovation de ce TA.

Ainsi le Conseil d’Etat pose nettement que (citons cet extrait, important et clair, du point 4 de la décision) :

    • « si les dispositions précitées confient au maire le soin d’assurer la sécurité et la salubrité publiques en prévenant notamment les inondations par des mesures appropriées et instituent un service public administratif de gestion des eaux pluviales urbaines dans les zones identifiées par les documents d’urbanisme comme ” urbanisées et à urbaniser “, elles n’ont ni pour objet ni ne sauraient avoir pour effet d’imposer aux communes et [intercommunalités éventuellement] compétentes la réalisation de réseaux d’évacuation pour absorber l’ensemble des eaux pluviales ruisselant sur leur territoire. »
    • Source : CE, 11 février 2022, n° 449831, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

 

3/ Voici cette décision

 

Source :

TA de La Guyane, 28 décembre 2023, Syndicat des copropriétaires de la Résidence Les Jardins de Suzini, n° 2000946

Voir sur le site dudit TA : http://guyane.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Retour-sur-trois-decisions-rendues-au-cours-de-l-annee-2023