Modifications (dont avenants) aux DSP : conseils opérationnels [VIDEO]

 

En amont et, surtout, en aval (avenant) de la signature d’une convention  délégation de service public, quelques évolutions sont possibles… Mais non sans pièges ni astuces. Abordons tout cela avec Me Evangelia Karamitrou, avocate associée du cabinet Landot & associés, au fil d’une vidéo, dont les conseils écrits se trouvent également retranscrits ci-dessous.

 

I. VIDEO sous forme d’interview

 

Voici cette vidéo, sous forme d’interview, d’une durée de 7 mn 05 :

https://youtu.be/3Cz6Bi3NEBU

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés :

 

II. Retranscription des questions de cette interview, des réponses avec, en sus, les compléments qui apparaissent à l’écran

 

1/ Si l’on se concentre bien, au sein du monde des concessions, sur les délégations de service public (DSP), on peut, tout d’abord, faire des modifications entre la passation et la signature… Mais celles-ci restent limitées ?

Oui mais il faut à chaque fois se poser trois questions :

1• est-ce que la modification porte atteinte au principe d’égalité de traitement (ex : la communication devra se faire en même temps pour tous les candidats) ? Un examen subtil s’impose alors au cas par cas

2• Comment laisser un délai suffisant permettant aux candidats de « prendre connaissance de ces modifications et d’adapter leur offre en conséquence » ? Là encore, prudence… Et examen au cas par cas à la lumière de la jurisprudence

3• Et surtout la modification est-elle substantielle au point de remettre en cause la mise en concurrence initiale ? Là encore, un examen précis s’impose.

2/ Et avec quels conseils à ce stade?

Je vous conseille, à ce stade, de :

• distinguer ce qui peut être imposé ou pas aux candidats à ce stade et divulgué eu égard au secret des affaires

• ne pas prendre les modifications à la légère en se disant que cela se « verra moins » au moment de la mise au point (cela peut être pire) ou au moment de l’exécution du contrat (les possibilités de passation d’un avenant étant limitées par le CCP)

• parfois ajouter une phase supplémentaire de négociation pour voir si une difficulté n’aurait pas d’autres solutions que celles envisagées par les services et BET en phase de passation.

Rappelons la formulation de l’article R. 3122-8 du CCP :

« Toute modification des documents de la consultation est communiquée à l’ensemble des opérateurs économiques, aux candidats admis à présenter une offre ou à tous les soumissionnaires, dans des conditions garantissant leur égalité et leur permettant de disposer d’un délai suffisant pour remettre leurs candidatures ou leurs offres. »

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Les modifications sont possibles mais doivent obligatoirement être communiquées à tous les candidats et doivent respecter trois conditions :

• Elles ne doivent pas porter atteinte au principe d’égalité de traitement (ex : la communication devra se faire en même temps pour tous les candidats) ;

• Elles doivent être assorties d’un délai suffisant permettant aux candidats de « prendre connaissance de ces modifications et d’adapter leur offre en conséquence » (CE, 9 février 2004, CU de Nantes, req. n°259369).

• Elles ne doivent pas être substantielles et remettre en cause la mise en concurrence initiale car sinon il faut recommencer la procédure dans son intégralité (il faut notamment rester cohérent par rapport aux informations fournies aux élus, en début de procédure, dans le cadre de l’article L. 1411-4 du CGCT).

 

3/ Puis ensuite il y a les avenants ou les modifications unilatérales. Avec quelques conditions de forme ?

1/ Avenant :

L’article L. 1411-6 du CGCT prévoit que tout projet d’avenant ne peut intervenir qu’après avoir respecté deux obligations :

• Vote de l’assemblée délibérante ;

• Si l’avenant entraîne une augmentation du montant global supérieure à 5 %, il est soumis à un avis obligatoire de la commission de DSP (avis qui doit être communiqué à l’assemblée délibérante mais qui n’est pas contraignant).

2/ La modification unilatérale par la personne publique :

• Il s’agit d’un pouvoir général applicable à tous les contrats administratifs et qui existe même sans clause dans le contrat (CE, 2 février 1983, Union des transports publics urbains et régionaux, req. n°34027) ;

• Aujourd’hui ce pouvoir est codifié à l’article L. 6 du CCP.

4/ De toute manière les modifications unilatérales restent limitées ?

Oui, le sujet est complexe et les réponses à apporter aussi ; si on veut schématiser il faut :

• se fonder sur l’intérêt général ;

• ne pas concerner les clauses financières à quelques subtilités près ;

• ne peut bouleverser l’équilibre financier du contrat.

… Hors certaines spécificités propres aux circonstances exceptionnelles et, parfois, à l’imprévision.

Il s’agit d’un pouvoir encadré :

• Ne peut se fonder que sur l’intérêt général ;

• Ne peut concerner les clauses financières. En revanche, il peut concerner les clauses tarifaires du service (CE, 31 juillet 2009, Société les Sables d’or, req. n°303876);

• Ne peut bouleverser l’équilibre financier du contrat (L. 6 et L. 3135-2 du CCP). Par conséquent, le cocontractant aura le droit à la réparation intégrale du préjudice (CE, 27 octobre 1978, Ville de Saint-Malo, req. n°05722). Le non-respect de cette obligation est une faute suffisamment grave de la part de la personne publique pour entraîner la résiliation de la convention aux torts de cette dernière (CE, 12 mars 1999, SA Méribel 92, req. n°17664).

5/ Donc on aura surtout des cas d’avenants classiques… Avec là encore des pièges à éviter ?

Oui il faut alors procéder en deux temps :

• vérifier qu’on ne change pas la nature du contrat

• puis s’assurer qu’on a un argumentaire solide pour faire rentrer l’avenant dans une des 6 hypothèses permettant de le passer… non sans difficultés parfois.

6/ Première étape donc pour notre avenant : ne pas transformer la nature du contrat donc ?

Oui on ne peut changer l’équilibre du contrat au point, par exemple, de transformer une DSP en marché (ou autre contrat).

Mon conseil à ce stade est de se faire accompagner par un avocat, certes, mais aussi de faire faire une simulation financière pour sécuriser les choses en cas de contentieux. Y compris pour éviter les menaces au pénal.

Il faut veiller, au préalable, conformément au second alinéa de l’article L. 3135-1 du CCP, que la modification envisagée n’ait pas pour effet de changer la nature globale du contrat :

• CE, 15 novembre 2017, Commune d’Aix-en-Provence, req. n°409728 : avenant qui exclut le stationnement hors voirie d’une DSP ayant pour objet la gestion du service public du stationnement sur la voirie et hors de la voirie est une modification qui change la nature globale du contrat ;

• CE, avis, 26 avril 2018, n°394398 : la modification d’une concession qui retire les missions relatives à la construction de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes et les remplace par des missions relatives à l’aérodrome Nantes-Atlantique alors que la concession initiale avait un double objet (construction de l’aéroport NDL et gestion de l’aérodrome Nantes-Atlantique) est une modification qui change la nature globale du contrat.

7/ Et puis, seconde étape, il y a les fameux six critères alternatifs permettant de fonder en droit un avenant…

Oui et là je vous ai tout mis à l’écran… mais en pratique c’est le gros du travail qui, alors, est à accomplir.

Voici ce que je vous conseille : vous faites un tableau avec en colonne les 6 cas ici listés. Avec quelques sous-hypothèses.

Et en ligne les modifications demandées.

Et vous voyez ce qui passe ou pas… En droit. Les difficultés, avec l’aide d’un financier et un expert technique au besoin… vous les transformez en argument de négociation avec le délégataire…

Et attention nombre de délégataires n’hésitent pas à demander des choses impossibles et indues. Le droit sera alors non seulement votre protection, mais aussi votre outil de négociation. Attention au pénal!

L’article L. 3135-1 du CCP énumère six hypothèses dans lesquelles un contrat de concession peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence :

1) Les modifications qui, quel que soit le montant, étaient prévues dans les documents contractuels initiaux (art. L. 3135-1 1° du CCP).

Elles doivent prendre la forme de clauses de réexamen ou d’options claires, précises et sans équivoque (art. R. 3135-1 du CCP).

Ne pourront être rédigées de manière générale car devront indiquer « le champ d’application et la nature des modifications ou options envisageables, ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage » (art. R. 3135-1 du CCP).

2) La réalisation de travaux ou de services supplémentaires devenus nécessaires (L. 3135-1 2° du CCP).

Deux conditions doivent être remplies :

• Un changement de concessionnaire est impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment aux exigences d’interchangeabilité ou d’interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants acquis dans le cadre de la concession initiale (art. R. 3135-2 du CCP) ;

• les prestations supplémentaires ne peuvent être supérieures à 50% du montant du contrat initial (art. R. 3135-3 du CCP).

3) Les modifications sont rendues nécessaires par l’apparition de circonstances imprévues (art. L. 3135-1 3° du CCP) :

• L’article R. 3135-5 du CCP précise qu’il s’agit des « circonstances qu’une autorité concédante diligente ne pouvait pas prévoir » et ajoute que la limite de 50% du montant du contrat initial est également applicable dans ce cas.

• Les champs d’application respectifs des « circonstances imprévues » et des « prestations devenues nécessaires » ne sont pas évidents. La jurisprudence devra les préciser mais il est probable que ces notions soient interprétées de manière assez restrictive.

4) Modifications qui ont pour effet de remplacer le concessionnaire initial par un tiers (art. L. 3135-1 4° et R. 3135-7  du CCP). Mais normalement, à la lecture du R.3135-7 on comprend que cette modification est substantielle et pas possible.

Cependant, deux hypothèses permettent la modification du   concessionnaire (art. R. 3135-6 du CCP) :

• Soit la substitution est prévue dans le contrat initial ;

• Soit le concessionnaire fait l’objet d’une opération de restructuration mais ce nouveau concessionnaire devra alors justifier qu’il remplit les capacités économiques, financières et professionnelles exigées lors du contrat initial.

Ces nouvelles dispositions s’opposent à la jurisprudence traditionnelle du CE sur la cession de DSP qui considérait que la seule condition à la cession était l’autorisation du délégant et que le pouvoir de refuser n’était même pas un pouvoir discrétionnaire (CE, Avis, 8 juin 2000, req. n°141654).

5) Modifications qui sont non-substantielles (article L. 3135-1 5° du CCP).

L’article R. 3135-7 du CCP énumère, de manière non-exhaustive, quatre modifications qui sont considérées comme substantielles.

1° Modifications qui introduisent des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l’admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d’une offre autre que celle initialement retenue (art. R. 3135-7 1° du CCP).

CJUE, 7 septembre 2016, Finn Frogne A/S, aff. C-549/14 : modifications des éléments d’un contrat, consistant en une importante réduction de son objet, peuvent avoir pour effet de le mettre à la portée d’un plus grand nombre d’opérateurs économiques.

CE, avis, 26 avril 2018, req. n°394398 : la modification d’une concession qui retire les missions relatives à la construction de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes et les remplace par des missions relatives à l’aérodrome Nantes-Atlantique alors que la concession initiale avait un double objet (construction de l’aéroport NDL et gestion de l’aérodrome Nantes-Atlantique) est une modification qui si elle avait figuré dans la procédure de passation initiale, aurait attiré davantage de participants ou permis l’admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d’une offre autre que celle initialement retenue.

2° Modifications qui changent l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire (R. 3135-7 2° du CCP) :

Article L. 3135-1 6° du CCP: une modification de 10% du montant de la concession initiale dans la limite de 5 548 000€ HT ne constitue pas une modification substantielle.

En revanche, a contrario, il n’y a pas de seuil mécanique au-delà duquel il s’agira d’une modification de l’équilibre économique. Cela dépendra de l’appréciation au cas par cas :

CE,  9 mars 2018, Compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, req. n°409972 : la hausse des tarifs du service, comprise entre 31 % et 48 % et qui dépasse la compensation des augmentations de charges liées à de nouvelles obligations de service public  correspond à une modification substantielle .

3° Modifications qui étendent considérablement le champ d’application du contrat de concession (art. R. 3135-7 3° du CCP)

Formule large qui semble concerner le champ d’application matériel (objet de la concession), temporel (durée de la concession) ou géographique de la concession.

4° Modification qui a pour effet de remplacer le concessionnaire auquel l’autorité concédante a initialement attribué le contrat de concession par un nouveau concessionnaire, en dehors des hypothèses visées à l’article R. 3135-6 (art. R. 3135-7 3° du CCP)

Hypothèses du R. 3135-6 :

• en cas de clause de réexamen ou d’une option et

• dans le cas d’une cession du contrat de concession, à la suite d’opérations de restructuration du concessionnaire initial.

6) Modification de 10 % du montant de la concession initiale dans la limite de 5 548 000€ HT (article L. 3135-1 6° du CCP).

Si plusieurs avenants sont conclus, il faut prendre en compte leur montant cumulé pour vérifier si le seuil de 10 % est dépassé.