Vous « danthonysiez » ? Vous « czabajisiez » ? Et bien « démeyétisez » maintenant !

Si un décret est signé en Conseil des Ministres, il est de jurisprudence constante qu’il doit être signé par le Président de la République et que, sauf si ledit décret en dispose lui-même autrement, ce décret devra être modifié avec la signature dudit Président de la République. 

Les cas où le décret en dispose lui-même autrement conduisent à des cas de ce que l’on appelle désormais, en un ou deux mots, la démeyétisation.

Le Conseil d’Etat vient de poser qu’une telle démeyétisation (et donc que l’indication que le décret prévoit lui-même sa future possible modification sans la signature présidentielle) si ces articles sont identifiés par un « R. » ou un « D. » (altos que les articles identifiés par un « R*. » et « D*. » requerront, eux, pour être modifié, la signature de l’Elysée). 

 


 

Rares sont les cas où le nom d’un requérant, en droit administratif, a finit par former un verbe ou un substantif. Mais certaines de ces parties ont ainsi gagné leur passeport pour l’immortalité. On « danthonyse » un moyen. On « czabjise » l’appréciation d’un délai.

Voir aussi l’ “édénisation” de l’office du juge de l’excès de pouvoir  CE, Sect., 21 déc. 2018, Soc. Eden, req. n° 409678 (voir ici et ).

Et, désormais, parfois on devra parler de « démeyétisation »… le terme venant même d’être érigé en nom d’abstrats dans les futures tables du rec.

Cela provient du célèbre arrêt CE, Ass., 10 septembre 1992, Meyet, n°s 140376 et autres, p. 327… non sans risque de polysémie pour ce nouveau verbe puisque cette décision du Conseil d’Etat avait divers apports, y compris en matière de référendum par exemple.

Mais pour la « démeyétisation » on remontrera plutôt, étymologiquement, à  cet extrait des tables du recueil Lebon d’alors (la mise en gras souligné est de nous bien évidemment) :

« Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres ». Aux termes de l’article 21 : « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement … Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire ». Il résulte de ces dispositions que des décrets doivent être signés par le Président de la République dès lors qu’ils ont été délibérés en Conseil des ministres, même si aucun texte n’imposait cette délibération. »

Puis, principe de parallélisme des compétences… voire parallélisme des formes et des procédures oblige, modifier un tel texte impose d’en recourir de nouveau à la signature du Président de la République (PR) :

« […] Annulation pour incompétence du décret du Premier ministre n° 93-256 du 24 février 1993 modifiant le décret délibéré en Conseil des ministres n° 59-1193 du 13 octobre 1959 fixant le régime de l’indemnité pour charges militaires.»
Source : Conseil d’Etat, 27 avril 1994, 147203 148545, rec. p. 191

Continuons notre travail étymologique (avec l’aide précieuse des conclusions de M. Nicolas Agnoux, ci-dessous référencées).

Car en 1996 le juge admettait un tempérament à l’application du principe de parallélisme des formes et des procédures imposant que ce qui a été signé par le PR soit modifié avec la signature dudit PR :

« Article 4 du décret du 10 juillet 1948, dans sa rédaction issue de l’article 2 du décret n° 74-845 du 11 octobre 1974 signé par le Président de la République après avis du Conseil des ministres, prévoyant que les indemnités bénéficiant aux personnels civils et militaires de l’Etat relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite sont attribuées par décret. Le Premier ministre est compétent, en vertu de cette disposition, pour modifier un décret antérieur relatif aux indemnités perçues par une catégorie de personnel, alors même que ce dernier aurait été délibéré en Conseil des ministres et signé par le Président de la République. Légalité du décret n° 89-753 du 18 octobre 1989 portant attribution d’une indemnité compensatrice à certains techniciens d’études et de fabrication du ministère de la défense en tant qu’il abroge ou modifie certaines dispositions du décret n° 62-1389 du 23 novembre 1962, signé par le Président de la République après avoir été délibéré en Conseil des ministres.»

Source : CE, 9 septembre 1996, Min. de la Défense c/ Collas et a., 140970, rec. p. 347

C’est, semble-t-il, avec cet arrêt CE, 9 septembre 1996, n°140970… que l’on a commencé à parler de « dé-meyétisation » en un ou deux mots. 

Là encore, merci à M. Agnoux pour ses éclairantes conclusions sur ce point (lequel mentionne aussi le vocable de « dé-cfdtisation » par référence à l’arrêt CE Ass. 3 juillet 1998, n° 177248 … terme que j’avoue n’avoir jamais entendu).

Cette décision de 1996, cette « démeyétisation »

Entorse commode au principe de parallélisme des compétences, voire à celui des formes et des procédures ? QUE NENNI.

Car ce principe cesse de s’appliquer en présence d’un texte spécial… Quitte à ce que ce soit comme en l’espèce le texte à modifier, justement.

Et là, le texte qui admet que l’on déroge à ce parallélisme est le texte à modifier, lui-même. Pourquoi pas. Un peu comme si celui-ci incluait une délégation (de compétences) pour l’avenir.

En tous cas, c’est donc cette décision de 1996 qui se trouve encore affinée par une nouvelle décision du Conseil d’Etat en date du 5 février 2024, et qui détaille et amplifie les cas d’une telle possible démeyétisation, et ce en ces termes pour citer le futur résumé des tables du rec. (la mise en gras et souligné étant bien sûr de nous) :

« Il résulte du premier alinéa de l’article 13 de la Constitution et de son article 21 que les décrets doivent être signés par le Président de la République dès lors qu’ils ont été délibérés en conseil des ministres, même si aucun texte n’imposait cette délibération. Les dispositions créées ou modifiées par un tel décret ne peuvent, en principe, être ultérieurement modifiées que par décret délibéré en Conseil des ministres. Il en va toutefois autrement soit lorsque ce décret prévoit qu’elles peuvent être modifiées par décret en Conseil d’Etat ou par décret simple, soit lorsque les dispositions ainsi créées ou modifiées par ce décret sont codifiées dans des conditions qui manifestent qu’elles relèvent du décret en Conseil d’Etat ou du décret simple. Ainsi, pour le cas d’un code dont les articles identifiés par un « R. » ou un « D. » signifient que leurs dispositions relèvent, respectivement, du décret en Conseil d’Etat ou du décret simple et dont les articles identifiés par un « R*. » et « D*. » signifient qu’elles relèvent de décrets, en Conseil d’Etat ou simple, délibérés en conseil des ministres, les dispositions des articles identifiés par un « R. » ou « D. » peuvent être modifiées par un décret non délibéré en conseil des ministres alors même qu’elle ont été créées ou modifiées par un décret ainsi délibéré

 

NB : sur le fond, est validé le décret 2022-1078. Voir à ce sujet :

 

Source :

Conseil d’État, 5 février 2024, n° 470962, Association Centres de lavage indépendants , aux tables du recueil Lebon

Voir les conclusions de M. Nicolas AGNOUX, Rapporteur public :